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CROI 2012 - Conference report

Jour 2 - La CROI 2012, quelque part entre le début et la fin du sida.

mercredi 7 mars 2012

Étonnante perspective que celle qui émerge des plénières de ce deuxième jour de conférence. Entre les perspectives d’espoir théoriques et les analyse pragmatique d’une réalité effrayante par Wafa El Sadr et l’extraordinaire humilité dans laquelle nous a placé Mickael Emerman en nous situant à l’échelle de l’évolution de la vie, il y avait vraiment de quoi perdre ses repères ce mardi matin à Seattle.

Jour 1 : Lundi 5 Mars
Jour 2 : Mardi 6 Mars
Jour 3 - Mercredi 7 Mars
Jour 4 - Jeudi 8 Mars

La CROI 2012, quelque part entre le début et la fin du sida

La première plénière de ce mardi matin à Seattle était consacrée à la dimension préventive du traitement des séropositifs. Wafa El Sadr est connue comme une scientifique engagée. Elle œuvre depuis de nombreuses années avec acharnement sur des programmes de recherche opérationnelle et a toujours maintenu une vision de terrain très affinée que complète remarquablement sa maîtrise des enjeux.

Elle proposait ce matin un tour d’horizon de l’état des connaissances sur le traitement comme outil de prévention dont, bien entendu, la pierre angulaire est constituée par les résultats de l’essai HPTN 052 publiés en 2011 (voir Reactup "Prévention de la transmission du VIH-1 par un traitement précoce").

Elle a également rappelé les principales études réalisées précédemment qui tentaient déjà de démontrer cette dimension préventive du traitement des séropositifs à partir des données épidémiologiques, études qui n’avaient toutefois pas la puissance démonstrative de l’essai HPTN 052 de Myron Cohen, de l’étude du Canadien Julio Montaner sur la Colombie britannique ou encore du travail réalisé à San Francisco sur la relation entre charge virale communautaire et risque de transmission du VIH.

L’analyse des données concernant les séropositifs aux Etats-Unis montre que des 1.178.350 séropositifs en 2011, 80% seulement ont été testés, 70% de ceux-ci ont été au contact d’une structure de soins, dont 66% sont suivis régulièrement, 89% de ceux-ci ont un traitement antirétroviral dont 77% , soit 328.475 personnes ont une charge virale en dessous de 200 copies pas ml. Ce qu’elle nomme le continuum de prise en charge du VIH est donc la donnée essentielle à prendre en compte pour estimer l’efficacité que l’on peut attendre des antirétroviraux en prévention au niveau de la population. Comme on le voit ici aux Etats-Unis 70% des séropositifs n’ont pas une charge virale contrôlée. Cette cascade de valeurs constitue donc un outil essentiel pour mesurer les faiblesses du système et prendre les mesures qui s’imposent pour améliorer le résultat final. [1]

Wafa El Sadr a aussi présenté des données présentant une analyse de la situation en Afrique, largement en dessous des valeurs occidentales alors que le continent représente l’essentiel de l’épidémie.

Dans sa conclusion, la chercheuse américaine constatait que malgré la galvanisation autour des résultats de l’essai HPTN052 et le potentiel énorme que représente la dimension préventive du traitement antirétroviral des séropositifs, il reste un effort gigantesque à accomplir pour en tirer le bénéfice escompté que prédisent les modélisations mathématiques d’éradication de l’épidémie à des horizons plus ou moins proches, selon l’optimisme des paramètres choisis. Les efforts à entreprendre restent démesurés, notamment face au désengagement des bailleurs de fonds de la lutte contre le sida à l’échelle internationale.

Cette présentation a surpris plus d’un auditeur. Wafa El Sadr s’est montrée sous un jour qu’on ne lui connaissait pas, très laconique, très factuelle, elle a presque semblé bridée par comparaison avec la force d’engagement à laquelle elle nous avait habitués. Ce n’est que dans ses conclusions qu’elle a effleuré les questions d’éthique et d’équité que posent l’accès aux soins et au traitement. Elle s’est démarquée de la position de certains chercheurs plaidant pour un traitement précoce en ne proposant aucun objectif, position entendable compte tenu des si nombreux engagements jamais tenus. Mais peut-être a-t-elle estimé que la vérité des faits serait plus puissante qu’un appel à l’engagement.

Et si Darwin avait connu le sida, comment aurait-il présenté l’évolution des espèces ?

C’est en quelque sorte la question qu’on pouvait se poser en écoutant ce matin Mickael Emerman nous parler des virus, des singes et des humains. Ce chercheur de Seattle a d’emblée déstabilisé l’auditoire en proposant une échelle de temps graduée en millions d’années. Mais pourtant c’est bien du sida qu’il parlait. Ses questions nous ont emmené loin des préoccupations cliniques. Il s’est interrogé sur le passage des primates à l’homme en examinant l’adaptation immunitaire des espèces hôtes aux infections virales en général et aux lentivirus (la famille du VIH) en particulier. Une manière particulière de revoir la sélection des espèces. Dans une population donnée, vulnérable à un virus donné, explique-t-il, il existe un très petit nombre d’individus dont les caractéristiques génétiques issues des évolutions antérieures leur permettent d’être plus efficaces à résister à l’infection virale.

Si l’on fait on bond dans le temps, on retrouve ces mêmes individus constituant la population majoritaire de l’espèce alors que les individus vulnérables ont disparu tandis que, d’un autre côté, les virus aussi ont évolué sous la pression grandissante de la résistance de leurs hôtes. Et le cycle recommence.

Dès lors qu’on analyse l’arbre de l’évolution sous l’angle des gènes de l’immunité dont on sait qu’ils font partie des secteurs du génome les plus évolutifs, on découvre que les divergences entre branches permettent des évolutions parallèles indépendantes. Ainsi, les principales protéines de résistance virale intracellulaires qui contrôlent la réplication du VIS spécifique de l’espèce, le virus simien équivalent du VIH, on constate que certaines évolutions ont pu avoir lieu avant ou après la divergence entre branches.

Mais si les gènes de l’immunité évoluent ainsi par sélection, ceux des virus aussi. Ils s’adaptent progressivement à l’évolution de leur hôte. Et ce sont les possibles bonds de cette évolution qui vont permettre de franchir à un moment donné la barre des espèces.

Ainsi, à partir de l’examen des principaux gènes des mécanismes de résistance cellulaire et de leurs antagonistes viraux, on peut retracer les marques principales de cette évolution conjointe. Ces principaux facteurs cellulaires dénommés APOBEC, Tetherin et SAMHD1, ont tous leur antagoniste viral, respectivement Vif, Vpu et Vpx, des protéines codées par le génome viral capable de contrecarrer les mécanismes cellulaires. Mais si la sélection chez certains singes leur a permis de contrôler le virus en produisant la protéine 3DE de la famille des APOBEC, cette évolution est postérieure à la séparation d’avec les humanoïdes chez qui APOBEC3G n’arrive pas à contrôler le virus parce qu’elle est inhibée par la protéine Vif. Il s’agissait donc bien dans cet exemple d’une sélection positive de l’hôte lors du passage de la barrière des espèces par le VIS du singe, dès lors appelé VIH. Mais cette adaptation peut ne pas être suffisante. Si c’est la protéine Nef qui permet le contrôle de Tetherin chez le singe, il a fallu une autre évolution au virus pour passer à l’homme, la création de la protéine Vpu, elle-même issue de l’évolution de Vpx.
Diverses adaptations du même ordre ont été nécessaires pour différencier les virus des chimpanzés transmis ensuite à l’homme comme VIH-1 de ceux du singe sooty-Mangabey qui, transmis à l’homme, ont produit le VIH-2.

Cette reconstitution de l’histoire à laquelle nous conviait Mickael Emerman nous semble bien complexe. Et pourtant, il nous invite en guise de conclusion à imaginer en parallèle la même histoire qui a conduit l’évolution millénaire des virus pour aboutir à ce qu’il nomme les virus modernes, variole, rougeole ou encore SRAS. Si Darwin avait été virologue…


Etonnantes plénières à Seattle ce mardi. De quoi s’interroger sur le bénéfice de l’évolution humaine capable d’efforts extraordinaires pour comprendre le monde qui nous entoure et incapable des plus simples efforts pour sauvegarder son espèce des fléaux qui la menacent. Faudra-t-il attendre le prochain million d’années pour voir l’espèce humaine débarrassée du VIH ?


[1En France, les différentes sources permettent d’établir cette cascade de données et montrent une valeur autour de 50%, nettement meilleure que les chiffres américains mais jugée insuffisante actuellement par les épidémiologistes pour atteindre une régression significative de l’épidémie NDLR.