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L’encellulement individuel n’est plus un droit : un recul qui méprise les malades incarcéréEs
mardi 13 avril 2010
Le Conseil d’Etat vient de valider [1] le décret du 10 juin 2008 alors que celui-ci viole le droit à l’encellulement individuel des personnes incarcérées. Une remise en cause particulièrement scandaleuse pour les malades incarcéréEs.
Saisis par l’Observatoire International des Prisons, les juges du Conseil d’Etat ont estimé que l’administration pénitentiaire devait faire face à une surpopulation endémique particulièrement forte en maison d’arrêt. Ils ont dès lors considéré qu’on pouvait légitimement porter atteinte à un des droits les plus fondamentaux de tout prisonnier : le droit à l’encellulement individuel, mesure minimum au respect du droit à l’intimité et à la dignité des personnes.
Le décret du 10 juin 2008 dispose que, pour bénéficier de l’encellulement individuel, les personnes incarcérées en détention provisoire doivent adresser une requête écrite à la direction de la maison d’arrêt. Si cela n’est pas possible, elle pourra éventuellement leur proposer une place dans un autre établissement au mépris du maintien des liens familiaux et des droits de la défense.
Ce décret et cette décision relèvent d’une politique répressive inacceptable faisant des droits des prisonniers des « faveurs » devant être réclamées pour éventuellement être accordées.
Est-il encore nécessaire de le rappeler : l’incarcération dans un établissement pénitentiaire est une mesure attentatoire à la liberté d’aller et venir – point.
Depuis 1994, le principe de prise en charge médicale d’une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population a été consacré et réaffirmé par la loi pénitentiaire de novembre 2009. Lorsqu’une personne est malade, il est essentiel qu’elle puisse être seule en cellule afin de préserver son intimité, sa dignité.
Lorsqu’on est séropositif, que la distribution des médicaments, voire leur conservation, s’effectue en cellule et que des convocations régulières pour des bilans sanguins sont distribuées par courrier, comment faire respecter le secret médical vis-à-vis des codétenus ?
Lorsqu’on est séropositif, cela signifie devoir supporter tous les effets de la maladie alors même qu’on est incarcéré : nausées, vertiges, vomissements, diarrhées, douleurs permanentes, fatigue chronique, effets secondaires des trithérapies particulièrement invalidants…
Tous ces symptômes n’ont pas à être partagés avec d’autres prisonniers, sous peine de stigmatisation, de discrimination. De plus, la promiscuité en cellule multiplie et aggrave inévitablement les risques de maladies opportunistes et de co-infection.
Cette décision de justice est scandaleuse puisqu’elle vient – pour des raisons « matérielles » et en violation totale des droits humains – porter une atteinte manifeste au droit à l’encellulement individuel.
L’inhumanité d’une telle pratique est d’autant plus criante qu’elle concerne des personnes placées en détention provisoire, qui n’ont donc pas encore été jugées et sont, à ce titre, supposées bénéficier de la présomption d’innocence.
Act Up-Paris exige le respect inconditionnel au droit à l’encellulement individuel.
Act Up-Paris rappelle que l’incarcération de toute personne malade ne peut être considérée comme une mesure respectueuse des droits humains et revendique une mise en œuvre systématique des alternatives à l’incarcération pour toute personne séropositive.
L’encellulement individuel est inscrit depuis 1875 dans le code de procédure pénale (article 716) et consacré par la loi du 15 juin 2000. Le Conseil de l’Europe (règle pénitentiaire européenne 18-5) considère ce droit comme fondamental, c’est-à-dire inconditionnel et la Cour européenne des droits de l’homme en sanctionne toute violation. Pourtant, devant la surpopulation carcérale, en 2000 et 2003 le Parlement a autorisé l’Administration pénitentiaire à déroger à cette règle, repoussant de cinq ans l’entrée en application de ce principe. Par un décret du 10 juin 2008, le gouvernement a non seulement repoussé encore de cinq ans sa mise en œuvre, mais y porte une atteinte inacceptable.
Le décret du 10 juin 2008 renverse le droit reconnu à un encellulement individuel et le transforme en une simple possibilité, sur la base d’une demande du prévenu.
Selon le décret, en l’absence de places disponibles dans la maison d’arrêt, le chef d’établissement dispose de deux mois pour faire des propositions de transfèrement dans d’autres établissements après autorisation du juge d’instruction.
En raison de la surpopulation quasi-généralisée des maisons d’arrêts, le prévenu demandant à bénéficier d’un encellulement individuel risque de se voir proposer une place dans un établissement fort éloigné de son lieu de résidence habituelle. Il devra choisir entre bénéficier de conditions d’incarcération dignes d’une part et maintenir des liens familiaux ou des contacts directs avec son avocat d’autre part.
L’OIP a attaqué ce décrêt devant la plus haute juridiction administrative française. Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt le 29 mars 2010 confirmant le décret du 10 juin alors même que ce dernier est très clairement illégal – et ce, au nom de la réalité matérielle.Comme le rappelle Catherine Morin-Desailly, sénatrice de Seine-Maritime, sur son blog :
« Lors des débats sur le projet de loi pénitentiaire, à la différence du Gouvernement, la Commission des lois a réaffirmé le principe de l’encellulement individuel, elle s’est ainsi opposée à la banalisation juridique de l’encellulement collectif. l’affirmation de ce principe dans la loi est indispensable d’une part au nom du respect de la dignité de la personne humaine, et de son intégrité physique et psychique et d’autre part afin d’être en conformité avec les normes européennes.
Même si en pratique, au regard de l’état des prisons françaises, ce principe n’est pas pleinement respecté, le législateur doit affirmer ce principe du droit à l’encellulement individuel et les pouvoirs publics doivent prendre les mesures nécessaires pour tendre vers cet objectif. Ce n’est pas le droit qu’il faut aligner sur la pratique mais la réalité qui doit se conformer aux règles de droit ».
[1] Par un arrêt du 29 mars 2010