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la réponse d’Act Up-Paris à Ségolène Royal

mercredi 1er août 2001

Paris, le 1er août 2001

Madame la Ministre,

Par un courrier daté du 18 juillet 2001, vous entendez répondre à nos communiqués de presse concernant la censure par le gouvernement des deux spots de prévention sida dont la diffusion était prévue pour cet été. Il est dommage que, sur un sujet aussi grave, vous ne vous soyez pas exprimée publiquement, comme nous l’avions suggéré à votre collaborateur lors d’une conversation téléphonique le 21 juin dernier.

Vous prétendez d’une part que les campagnes censurées n’auraient pas été efficaces. Comment pouvez-vous en juger, puisque ces spots ne seront jamais diffusés, en grande partie à cause de vous ? Comme tous nos autres interlocuteurs, vous nous opposez, sans jamais vouloir le reconnaître, vos propres préjugés pour déterminer ce que serait une bonne campagne. Comme eux, vous refusez de courir le risque de mettre en place une communication qui trancherait radicalement avec tout ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui.

Tous les motifs censés justifier votre opposition à ces spots n’en sont pas. Prétendre en effet qu’ils ne parlent pas de pratiques sexuelles à risques et des moyens de se protéger relève de la mauvaise foi - une seule vision de ces films prouve le contraire. Affirmer comme vous le faites qu’ils n’étaient pas ciblés est tout aussi hypocrite. Tant le contenu des spots que les objectifs affichés par la Direction Générale de la Santé le montrent : ces films s’adressaient aux hétérosexuels et aux homosexuels multipartenaires.

Vos arguments sont donc irrecevables. Et nous continuerons à dénoncer votre attitude et celle de votre gouvernement.

Vous refusez d’être taxée de puritanisme. C’est pourtant cette attitude qui a motivé votre refus au Service d’Information du Gouvernement. Selon les propres termes du directeur du SIG, Bernard Candiard, c’était le caractère « pornographique » d’autres séquences qui a justifié votre avis. Comme si un spot de prévention pouvait être assimilé à un film X !

Cautionneriez-vous la censure d’une campagne de prévention routière ou de lutte contre le tabagisme ? Vous n’avez eu aucun scrupule à demander l’interdiction d’un spot de prévention du sida, pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec des impératifs de santé publique. Avec 5000 contaminations par an, une reprise des pratiques à risques chez les homosexuels comme chez les hétérosexuels, cette attitude est criminelle. Vous pouvez vous sentir blessée par ces termes, mais il faudra bien que vous et votre gouvernement rendiez des comptes sur votre lâcheté politique en matière de lutte contre le sida.

Pour votre défense, vous faites valoir les acquis que vous avez obtenus en matière d’éducation à la sexualité dans le milieu scolaire. D’une part, cela n’ôte rien à votre responsabilité sur le sujet qui nous concerne aujourd’hui. D’autre part, cette mesure n’a fait que rattraper le retard scandaleux que la France avait pris en la matière, et elle reste d’ailleurs largement insuffisante : comment tenir un discours d’information et de prévention englobant les MST, la contraception, l’IVG, l’homophobie, la misogynie, les violences faites aux femmes, le viol, etc. en seulement deux heures obligatoires au collège ? Devons-nous enfin vous rappeler qu’en 1998, vous vous êtes opposée à la diffusion dans les écoles et les collèges d’une brochure, qui, selon vous, incitait à la débauche ? Il n’y a donc aucune raison de tirer fierté de vos « acquis » en matière de prévention à l’école.

Vous suggérez enfin que l’on « ose montrer des malades en fin de vie » pour une campagne vraiment efficace. Ce n’est pas nous que vous devez convaincre. Depuis 12 ans que nous existons, nous demandons que les campagnes de prévention et d’information s’adressent aussi aux personnes atteintes. D’ailleurs, pourquoi vous limiter aux malades en fin de vie ? Uniquement pour éveiller la pitié du grand public ? Ne pouvez-vous envisager qu’il existe des personnes séropositives ou malades qui ne sont pas à l’agonie, qui ont une vie et une sexualité active, et à qui les pouvoirs publics devraient s’adresser ? Là encore, votre image des séropositifs et votre conception des campagnes de prévention sont particulièrement défaillantes.

Nous ne serions pas arrivés à cette situation si l’ensemble du gouvernement, du ministère de la Santé au Premier Ministre, en passant par tous les ministères concernés, était à l’écoute des associations de lutte contre le sida, qui, elles, travaillent sur le terrain et connaissent les problèmes réels. Le processus d’élaboration, et surtout de validation des campagnes excluent les associatifs et autorisent des responsables, comme vous, à prendre des décisons arbitraires, fondées sur des logiques qui n’ont rien à voir avec les impératifs de santé.

Souhaitant que ces éléments soient désormais pris en compte, nous vous prions, Madame la Ministre, d’agréer l’expression de nos salutations distinguées,

Emmanuelle Cosse, Présidente d’Act Up-Paris
Jérôme Martin, Vice-Président d’Act Up-Paris


Une copie de ce courrier a également été adressée à : Lionel Jospin ; Bernard Candiard, Service d’Information du Gouvernement ; Bernard Kouchner ; Eric Chevallier, Ministère de la Santé ; Gilles Brucker, Ministère de la Santé ; Suzanne Gugliemi, Division sida, DGS ; Lucien Abenhaim, DGS ; Elizabeth Guigou ; Aides, Sida Info Service ; Le Monde ; Libération et Têtu