Accueil > Traitements Recherche > Femmes dans les essais cliniques : prolonger la réflexion et agir

Femmes dans les essais cliniques : prolonger la réflexion et agir

mercredi 30 octobre 2013

En demandant la parité femmes – hommes dans les essais cliniques nous sommes parvenuEs à ouvrir un dossier porté depuis plusieurs années par la commission Traitements & Recherche d’Act Up-Paris, le Collectif interassociatif Femmes & VIH et le groupe interassociatif TRT-5. C’est celui d’une véritable connaissance et reconnaissance des spécificités des femmes dans le champ thérapeutique du VIH, comme nous nous y consacrons, par ailleurs, pour d’autres populations minoritaires ou minorisées : usagèrEs de drogues, co-infectéEs, enfants, personnes touchées par plusieurs pathologies chroniques ou des cancers et Trans.

En effet, cette revendication a été reprise dans la presse et a réussi à toucher la Ministre de la santé, Marisol Touraine, qui a indiqué qu’il fallait « renforcer (…) l’inclusion des femmes et des personnes co-infectées par le VIH et l’hépatite C dans les essais cliniques. Une partie de la réglementation doit être définie par la Communauté européenne et il est nécessaire de faire prendre conscience de cette nécessité aux équipes de recherche clinique, comme l’a fait celle du Pr Delfraissy. » [1]

Suite à cela, les ministères ont demandé une évaluation des recherches qui devait être rendue par l’ANRS courant mars. Dans Protocoles 74 nous écrivions que selon nous, cette évaluation devait porter sur les recherches passées et en cours. Pour chaque essai promu par l’ANRS, elle devait indiquer le pourcentage de femmes parmi les participants, si une analyse tenant compte du genre a été faite et, si oui, qu’elle en était la conclusion.
Nous écrivions également, qu’il aurait été intéressant que le rapport permette de voir s’il y a eu dans le temps des évolutions dans les pratiques. Nous entendions bien sûr par là les pratiques d’exclusion écrites dans les protocoles, mais aussi les pratiques des centres investigateurs et des femmes séropositives.
Mais il a fallu insister un peu pour obtenir mi-juillet, tout frais, tout frais, le rapport résultant de l’évaluation. Son sommaire est relativement étrange puisqu’il se compose comme suit :

  • une diapositive sur « Les femmes dans les essais ANRS au Sud » ;
  • un diaporama de Barbara Maraux Faune* sur la « contraception des femmes séropositives en France » à partir des enquêtes VESPA2
    et FECOND ;
  • un diaporama de données descriptives sur « les femmes vivant avec le VIH en France en 2011 » présenté lors d’un symposium de laboratoire pharmaceutique ;
  • un projet d’analyse de deux pages et demi de l’équipe de Bruno Spire** à partir de VESPA2 sur les « femmes vivant avec le VIH en France métropolitaine » ;
  • un tableau donnant le nombre et pourcentage de femmes dans les essais ayant recruté entre 1996 et 2002 ;
  • trois pages, respectivement pour les années 2007, 2011 et 2013, qui présentent chacune
  • deux tableaux ; l’un pour les essais, l’autre pour les cohortes. Les données sont, comme précédemment, le nom de l’essai ou de la cohorte, la période de recrutement, le nombre et le pourcentage de femmes ;
  • un tableau présentant l’évolution sur les années 2007, 2011 et 2013 du pourcentage de femmes dans les essais cliniques et dans les cohortes ;
  • un autre, pour les mêmes années, montrant l’évolution du pourcentage de femmes dans les essais d’initiation de traitement ou pré-traitées.

Le tout apparaît comme les ingrédients d’une recette mais on ne sait pas laquelle ; on comprendra qu’il revient à d’autres de faire la cuisine. Parmi ces ingrédients, il n’y a pas d’analyses, hormis celles issues de VESPA2 qui n’ont rien à voir avec les essais cliniques.

C’est pourquoi on ne peut que se réjouir quand quinze jours plus tard, paraît sur Vih.org un article qui donne un peu plus de sens à la diapositive sur « Les femmes dans les essais ANRS au Sud ». Il s’agit de l’article intitulé « Les femmes dans les essais cliniques : des situations différentes, des changements indispensables partout » [2].

Cet article confirme la donnée essentielle de la diapositive : il y a globalement une majorité de femmes dans les essais VIH menés au Sud. Elles représentent 62% des inclusions dans les essais ANRS [3]. Les auteurEs indiquent qu’« au Sénégal, sur les trois études cliniques concernant des antirétroviraux menées entre 2004 et 2011, les femmes étaient entre 1,5 et 4,7 fois plus nombreuses que les hommes » et relèvent plusieurs éléments explicatifs référencés : « l’analyse de ce déséquilibre a montré qu’il était dû principalement d’une part au taux de prévalence du VIH plus élevé chez les femmes que chez les hommes dans la population générale, et d’autre part à un refus de participation plus fréquent de la part des hommes, davantage contraints par leur emploi du temps professionnel ou leur mobilité. (…) La manière dont les femmes, davantage « médicalisées » que les hommes, parviennent à utiliser plus efficacement les services de soins a été décryptée par quelques études en Afrique ».

Dans cet article, Alice Desclaux, Sylvie le Gac et Pierre-Marie Girard pointent une série de problèmes découlant du fait que « les Bonnes Pratiques Cliniques qui encadrent la recherche considèrent la grossesse et l’allaitement comme des critères de non inclusion dans les essais thérapeutiques pour éviter les risques de toxicité pour l’embryon, le fœtus et le nourrisson » :

  • il s’agit partout d’un frein à l’inclusion des femmes, qui doivent s’engager à prendre une contraception ;
  • il y a un risque que des femmes soient évincées si une grossesse débute pendant l’essai, notamment en Afrique où l’accès aux soins hors du cadre d’un essai peut-être compromis - raison pour laquelle ils recommandent de porter attention au contexte éthique - ;
  • certaines femmes n’osent pas révéler qu’elles sont enceintes à l’équipe soignante, voire cessent de venir aux consultations.

L’équipe note en outre que « les dernières recommandations en matière de PTME [4] recommandent d’utiliser des antirétroviraux dès le début de la grossesse puis pour « protéger » l’allaitement. Si les traitements testés dans l’essai sont aussi efficaces que les traitements du programme national, la non inclusion dans l’essai des femmes enceintes ou souhaitant l’être, et des femmes en période d’allaitement, est désormais injustifiée ». Aussi revendique-t-elle « la levée de l’interdiction de la grossesse et de l’exclusion des femmes enceintes ou qui allaitent dans les essais de stratégie ». Même s’il faut rester très prudent et que cette revendication puisse ne pas s’appliquer à toutes les molécules, cette recommandation des chercheurSEs ne peut rester lettre morte.

Puisqu’il revient à ceux qui se préoccupent des femmes séropositives de faire la cuisine avec les ingrédients apportés par l’ANRS, revenons-y.
Voici, par exemple un tableau extrait de ces ingrédients, qui nous semble manquer d’explications.

À partir des données brutes, avec notre calculatrice on aboutit pour ce qui est des essais de stratégie, dont on a vu qu’ils pourraient être plus inclusifs pour les femmes que les essais d’enregistrement si les critères d’inclusion étaient plus souples, à ceci :

  • en 2007 (essais dont les inclusions ont débuté entre 2000 et 2007) : 1835 inclusions dont 459 femmes, soit 25% de femmes ;
  • en 2011 (essais dont les inclusions ont débuté entre 2007 et 2010) : 619 inclusions dont 102 femmes, 12% de femmes ;
  • en 2013 (essais dont les inclusions ont débuté entre 2007 et 2012) : 858 inclusions dont 144 femmes, soit 17% de femmes.
    Cela nous rappelle Françoise Barré-Sinoussi critiquant fermement l’essai SPRING2 de ViiV qui n’avait inclus que 15% de femmes [5]. Aussi l’on se doit de souligner la faible représentation des femmes dans les essais de stratégie menés par l’ANRS.

Si entre 2007 et 2013 on note qu’il y a globalement eu une baisse du pourcentage des femmes dans les essais de stratégie, baisse qui semble être une tendance générale [6] , l’évolution est cependant différente selon qu’il s’agit d’un premier traitement ou d’une modification ; comme le montre le graphique ci-dessous.

Mais ce type de données cumulant les effectifs de plusieurs essais masque l’extrême hétérogénéité entre les divers essais de stratégie : le pourcentage de femmes selon l’essai varie entre 7 (TIPI et OPTIPRIM) et 80% (VIH-2).

Qu’en est-il des autres essais ?

L’amplitude du pourcentage de femmes selon l’essai est encore plus grande de 0 (LENAKAP) à 100% (PRIMEVA, essai de PTME), avec en 2013 [7] un recrutement cumulé de 390 personnes dont 153 femmes, soit globalement 39% de femmes ; chiffre qui tombe à 17% si on retire PRIMEVA.
Par ailleurs, revenons à la ligne « cohortes » du premier tableau. Comme l’on se joint volontiers aux auteurs de l’article présenté plus haut, qui considèrent que les femmes sont « insuffisamment considérées en dehors des questions liées à la procréation », il convient de remarquer que le pourcentage de femmes dans les cohortes de l’ANRS chute drastiquement si l’on exclut les cohortes Enquête Périnatale Française (ANRS CO1 & CO11 EPF) qui incluent des couples mère-enfant (n = 21157) ; il tombe à 32% (contre 49% dans le tableau, soit 17 points en moins).

Cela confirme que même dans la recherche publique la parité est loin d’être atteinte !

En conclusion, sans oublier que bien des questions similaires se posent pour les usagèrEs de drogues, les co-infectéEs, les enfants, les personnes touchées par plusieurs pathologies chroniques ou cancers et les Trans, nous ne pouvons nous contenter de ces résultats. Car ce n’est pas seulement une question de parité ; elle est largement atteinte au regard des enquêtes épidémiologiques mondiales qui rappellent que les femmes sont en première ligne pour prendre les traitements et cela dans toutes les étapes de leur vie, (adolescente, femme, mère, à la ménopause…).
Alors nous restons attachés à ce que dans un avenir proche les femmes soient aussi représentées que les hommes dans les essais de nouvelles molécules, cela dès les essais de phase 2, puis dans les essais de stratégie.
Pour cela, nous continuons à croire que :

  • les agences sanitaires doivent exiger des essais complémentaires, comme la FDA qui a demandé des études 100% femmes à Gilead et à ViiV Healthcare (WAVES et ARIA) ;
  • l’ANRS doit faire un vrai rapport, comprenant des analyses publiables dans une revue à comité de lecture et que pour chaque essai promu par l’ANRS, il soit indiqué qu’une analyse tenant compte du sexe a été faite et, si oui, qu’elle en était la conclusion ;
    l’évolution des pratiques limitatives écrites dans les protocoles mais aussi dans celles des centres investigateurs et des femmes séropositives doit être relevée l’évolution des guidelines européennes est nécessaire.
  • il faut mettre en place un environnement « femmes-friendly » dans les centres investigateurs qui prennent en compte les facteurs identifiés comme étant des freins à leur inclusion et que les comités d’éthique (CPP et CI) y soient sensibles ;
  • les comités de lecture des revues scientifiques et comités de sélection des abstracts des conférences intègrent la présence de données sexo-spécifiques dans les critères d’évaluation, comme l’ont fait The Lancet et le Journal of the International AIDS Society [8] .

[1compte-rendu du 3 décembre 2012 du comité de suivi du plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST

[3chiffre extrait de la diapositive de l’ANRS

[4Prévention de la Transmission de la Mère à l’Enfant

[6Antonella d’Arminio Monforte et al., « Better mind the gap : addressing the shortage of HIV-positive women in clinical trials », AIDS 2010, 24:1091–1094

[7essais dont les inclusions ont débuté entre 2007 et 2012

[8Heidari et al. : Gender-sensitive reporting in médical research. Journal of the International AIDS Society 2012 15:11