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Co-infection VIH/VHC : réalités et perspectives

lundi 11 février 2013

La 88e Réunion publique d’information d’Act Up-Paris a eu lieu en octobre dernier et portait sur la co-infection. Dominique Salmon Ceron, investigatrice de la cohorte HEPAVIH et Emmanuel Mortier de l’hôpital de jour Louis Mourier ont présenté des informations utiles et claires que nous rapportons dans ces pages.

Les nouveaux traitements, Dominique Salmon Ceron

Rappel : histoire de l’infection naturelle par l’hépatite C
Après une infection aiguë, près de 30 % des personnes guérissent spontanément de l’hépatite C, mais la plupart des cas évoluent vers une infection chronique. Il faut savoir aussi que le foie est un organe qui tolère tout  : tous les aliments passent par le foie, alors s’il se mettait à faire des réactions immunitaires à chaque fois nous verrions apparaître des maladies très graves. Lorsque l’infection évolue vers la chronicité, cela donne des lésions régulières qui évoluent progressivement vers une cirrhose, donc une fibrose du foie, qui l’empêche alors d’assurer ses fonctions. Chez les personnes cirrhotiques (2 à 5% des malades), on a des risques de décompensation [1] hépatique et des risques de cancer du foie. À ce dernier stade, le seul traitement, c’est la transplantation, quand cela est possible. Il faut vraiment essayer d’éviter d’en arriver là. On sait maintenant que si on traite les personnes au stade de cirrhose, on peut revenir vers une forme non-cirrhotique.
Le virus de l’hépatite C n’est pas uniforme : il existe plusieurs génotypes, définis de 1 à 6, et certains d’entre eux sont classifiés en type a ou b. Ces génotypes n’ont pas tous la même sensibilité au traitement. Les génotypes 2 et 3, par exemple, réagissent bien au traitement par interféron et ribavirine, par contre pour le 1 ou le 4, c’est beaucoup moins bien. En Europe du nord, on a surtout du 1 (1a ou 1b), du 3, et moins de 2.
Par contre en Afrique, notamment en Afrique centrale, en Egypte, il y a beaucoup de 4. C’est très important de connaître le génotype quand on décrit cette maladie, car cela a une incidence pour le traitement.
Jusqu’à présent, le traitement prescrit c’était interféron pégylé (peg-interféron) + ribavirine pendant 48 semaines. Chez les personnes mono-infectées, le traitement pouvait aller de 6 mois à 12 mois et chez les co-infectées la règle était de traiter pendant 12 mois pour obtenir de 40 à 45% de chance de succès. Pour parler de guérison, avec des risques de rechute très faibles, il faut avoir une charge virale indétectable 6 mois après l’arrêt du traitement. Mais tout le monde ne répond pas au traitement et les types de réponses sont différents. On appelle les personnes qui ont eu une charge virale indétectable sous traitement et pour qui le virus repart après son arrêt, les rechuteurs. Celles qui ne se ‘négativent’ jamais sous traitement on les appelle soit les non-répondeurs, soit des répondeurs nuls, soit des répondeurs partiels.

Nouveaux traitements, les molécules en développement
En 2011, une nouvelle classe de traitement est arrivée sur le marché, ce sont les inhibiteurs de protéase du VHC : le bocéprévir et le télaprévir. Ils ont été testés majoritairement dans le cas de la mono-infection au VHC, mais ont pu être prescrits aussi aux personnes co-infectées, la mise sur le marché ayant été ouverte aux hépatites C chronique sans exclure les patients co-infectés.
Ces inhibiteurs de protéase agissent quasiment exclusivement sur le génotype 1 et augmentent à peu près de 30 points le taux de guérison, que l’on appelle aussi taux de réponse virologique soutenue. Pour les personnes naïves [2], avec les traitements précédents on obtenait 38 à 44% de succès  ; avec les inhibiteurs de protéase, on arrive à 63-75% selon les essais. Chez les personnes en échec du traitement antérieur (patients non-répondeurs, rechuteurs, échappeurs), la remise sous traitement (peg-interféron + ribavirine) n’était pas efficace puisque qu’on arrivait à seulement 20% de guérison, alors qu’avec ces nouveaux traitements, on passe à environ 60% de guérison. C’est un gros progrès.


Les résultats sont aussi très encourageants chez les personnes co-infectées naïves de traitements. En effet, la difficulté c’est que les défenses immunitaires de l’organisme des personnes co-infectées sont plus faibles, donc moins d’interféron intrinsèque, et les conséquences sont, un taux de réponse moins fort. Mais avec les inhibiteurs de protéase en plus, on a un apport de l’ordre de 30 points chez les personnes co-infectées naïves. Par contre, nous n’avons pas encore de résultats sur l’action de ces nouvelles molécules sur le grand nombre de personnes co-infectées ayant déjà été traitées. Plusieurs essais sont en cours notamment avec l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le sida et les hépatites virales) ; leurs résultats sont très attendus.

En pratique : télaprévir / bocéprévir
 Le télaprévir (Incivo®, Janssen)
C’est un traitement assez lourd, loin des comprimés en une fois par jour que l’on connaît maintenant pour le VIH. Il faut prendre 2 comprimés, 3 fois par jour, associés au peg-interféron et à la ribavirine. Cette trithérapie doit être prise pendant 12 semaines, puis on continue le peg-interféron et la ribavirine jusqu’à 48 semaines. La réponse virologique est très rapide. Si à 12 semaines, le virus reste détectable, les chances de succès sont alors extrêmement faibles, et le traitement est arrêté.
 Le bocéprévir (Victrelis®, MSD)
Le nombre de comprimés est plus important   : 4 comprimés, 3 fois par jour, en plus de la bithérapie peg-interféron et ribavirine. Pendant, une première phase de 4 semaines, la prise du peg-interféron doit faire baisser la charge virale, ensuite on y ajoute le bocéprévir, et jusqu’à la fin des 48 semaines, la personne est traitée en trithérapie avec bocéprévir + peg-interféron + ribavirine. C’est un traitement vraiment lourd, mais qui permet 7 fois sur 10 de guérir.
Dans la cohorte HEPAVIH, les personnes co-infectées ont majoritairement privilégié le télaprévir, c’est-à-dire un traitement fort et court, plutôt que le long traitement long avec le bocéprévir. Le bocéprévir a aussi ses avantages et c’est pourquoi certains hépatologues préfèrent le prescrire : il provoque moins d’allergies, il est un peu mieux toléré.
Ces molécules ont des inconvénients : d’une part leurs effets indésirables, d’autre part ce sont des inhibiteurs de protéase qui sont métabolisés par le foie, par les mêmes cytochromes qui métabolisent les antirétroviraux, il y a donc des interactions. Avec ces interactions, soit le taux d’inhibiteurs de protéase du VHC baisse, soit le taux d’inhibiteurs de protéase du VIH augmente. Ces paramètres sont une limite au choix du traitement antirétroviral.
Il y a également des problèmes de résistance : ces produits ne peuvent pas être utilisés en monothérapie. Ils ne sont pas efficaces sur les génotypes autres que 1, peut-être un peu sur le génotype 4, si nous sommes face à un génotype 2 ou 3, mieux vaut attendre. Ils ne sont pas très efficaces chez les personnes qui sont non-répondeurs totaux, et ne fonctionnent pas bien pour les répondeurs nuls.
Les effets indésirables de ces molécules s’ajoutent à ceux de l’interféron. Le télaprévir donne des rashs [3] quelquefois très graves, des anémies et une sensation de prurit anal. Le bocéprévir donne des anémies très importantes, beaucoup de gens doivent prendre de l’EPO (érythropoïétine) et/ou être transfusés. Il y a aussi des dysgueusies [4] . Ce sont des traitements très lourds qui, pendant la période où ils sont pris, nécessitent d’être hospitalisé ou en arrêt de travail.
Il existe aussi des interactions entre ces nouvelles molécules et les autres médicaments. On classe les antirétroviraux en 3 catégories : ceux que l’on peut associer avec ces molécules ; ceux que l’on ne peut pas du tout associer et ceux pour lesquels on se sait pas.
Les molécules que l’on peut associer sont le tenofovir (Viread®), l’efavirenz (Sustiva®) - en augmentant les doses -, l’etravirine (Intelence®), l’atazanavir (Reyataz®), le raltegravir (Isentress®), l’Atripla®. Les personnes qui sont traitées avec les autres molécules verront leur traitement VIH changé, ce qui n’est pas forcément évident pour elles [5].

Les mutations
Impact de la fibrose hépatique et de la réponse à un traitement antérieur (peg-interféron + ribavirine) :
 Chez les malades rechuteurs (ceux dont la charge virale VHC se négative sous traitement, mais qui, à l’arrêt du traitement, se repositive) : la trithérapie marche très bien, avec 85% de succès. Avec une fibrose légère, ou une cirrhose : ça marche très bien.
 Chez les malades répondeurs nuls (la bithérapie interféron + ribavirine n’a jamais marché), la trithérapie marche beaucoup moins bien, et avec une cirrhose, la trithérapie ne marche pas bien.
 les répondeurs partiels sont entre les deux.
Il est donc recommandé de traiter les personnes cirrhotiques pour qu’elles évitent de faire une décompensation ou un cancer du foie, à condition qu’elles n’aient pas été répondeurs nuls avant.

Autres molécules en développement
Pour le moment, seules 4 molécules ont reçu l’autorisation de mise sur le marché : l’interféron, la ribavirine, le bocéprévir et le télaprévir. Beaucoup d’autres sont en phase 3 [6] ou en phase encore plus précoces. Elles sont de différentes classes thérapeutiques : inhibiteurs de protéase, inhibiteurs de polymérase, inhibiteurs non-nucléosidiques de la polymérase, inhibiteurs de NS5A (une autre cible sur le virus de l’hépatite C).

Indication des inhibiteurs de protéase
Ces traitements sont indiqués pour les personnes porteuses d’une hépatite C chronique de génotype 1, au stade d’une maladie hépatique compensée, non-traitées ou en échec, et en association avec le peg-interféron et la ribavirine. Ils peuvent donc être prescrits à toutes les personnes atteintes par le VHC avec une co-infection VIH, VHB ou autre. Il doit être proposé avec prédilection aux personnes qui ont une fibrose sévère (supérieur au stade F2) – il est conseillé aux personnes F0, F1 (à moins qu’elles souhaitent être traitées) d’attendre, parce que dans 2-3 ans, la recherche aura avancé.

Conclusion
Ces inhibiteurs de protéase de 1ère génération on apporté beaucoup d’espoir, ils ont augmenté de 30 points le taux de guérison chez les patients naïfs et non répondeurs. Mais ils ne sont efficaces que sur le génotype 1, le sont peu en cas de cirrhose et chez les répondeurs nuls. Leurs effets secondaires sont assez sévères, et ils ne peuvent être prescrits à tout le monde. Mais l’avenir avec une bithérapie sans interféron est proche.

L’accompagnement des malades au cours du traitement contre l’hépatite C, par Emmanuel Mortier

Le discours médical sur l’hépatite C a beaucoup changé, en particulier pour les personnes co-infectées. Pendant 10 ans, les malades ont entendu que leur hépatite C n’était pas le problème ; que la ponction biopsie hépatique était presque obligatoire, elle était présentée comme une sorte de condition à la mise sous traitement contre l’hépatite C alors que les malades en avaient très peur. Depuis, 5-7 ans, le discours a beaucoup changé, la ponction biopsie hépatique n’est plus une obligation.

Les tests ont changé, il en existe d’autres :
 Le fibrotest® : à partir d’une prise de sang, on calcule les paramètres des activités de fibrose. L’avantage : c’est une prise de sang, l’inconvénient : c’est qu’il peut être influencé par des médicaments, par le fait de prendre de l’alcool, etc. C’est un bon test, mais à la fois qui peut être inexact.
 Le fibroscan® : c’est une échographie avec un appareil qui mesure directement le degré de durcissement du foie et qui témoigne de l’étape de fibrose. La fibrose est l’étape avant la cirrhose. La cirrhose du foie peut être responsable de complications immédiates, comme le cancer du foie.
 L’IL28B : c’est un critère génétique, qui peut indiquer la bonne réponse à un traitement.

Nous sommes donc passés de « l’hépatite C, ce n’est pas grave » à « l’hépatite C est la troisième cause de mortalité chez les personnes co-infectées ». Aujourd’hui le discourt change à nouveau avec les nouvelles molécules arrivées sur le marché et à venir.
Mais même si le discours médical change, les malades ne sont pas pour autant prêts à prendre un traitement et ont des arguments parfois tout à fait légitimes. Car prendre un traitement avec de l’interféron est très compliqué à cause de ses nombreux effets indésirables : fatigue, troubles dépressifs, angoisse, perte de poids. Certains s’y refusent, considérant que les examens qu’ils suivent depuis des années sont suffisants.
Il y a la difficulté à gérer sa consommation d’alcool, qui reste le co-facteur le plus aggravant de l’hépatite. Il y aussi des personnes qui ont déjà pris un traitement, qui ont eu un échec ou qui sont répondeur partiel ou total, qui n’ont que le souvenir des mauvais effets. Ce n’est pas de la baisse de la charge virale dont on se souvient, c’est de la perte des kilos ou d’être resté complètement cloîtré chez soi parce qu’on avait trop de douleurs musculaires. Pour reprendre un traitement avec une molécule qui nous a fait du mal, qu’on a mal supportée, il faut être vraiment convaincu du bénéfice du traitement.

Pour les médecins, la prescription n’est pas simple non plus. Il y a les difficultés de suivi des personnes. La mise en route d’un traitement nécessite une prise en charge très encadrée par le psychiatre, l’infirmière qui ira à domicile, la famille, l’entourage. C’est très lourd à mettre en place et peut représenter un frein pour des médecins.
De plus, tout malade co-infecté a un long parcours, qui parfois rend la prise en charge difficile : problème social, psychologique, médical. Avant, le médecin avait tendance à mettre le traitement de côté, d’autant qu’il ne marchait que dans 40% des cas et qu’il comportait beaucoup d’effets indésirables. Cela a changé, de nouveaux traitements arrivent ; nous sommes désormais dans une autre dynamique, avec des perspectives de guérison.

Qui croire ? Qui traiter ?
Quand traiter ?

L’hépatite C est la troisième cause de mortalité chez les personnes séropositives, ce qui fait 230-250 décès sur 1.100 par an : c’est beaucoup. C’est beaucoup, même si sur 100.000 personnes séropositives au VIH, ça se remarque peu. L’infection par le VIH, associée à une hépatite est un facteur d’aggravation importante : elle accélère la dégradation du foie et accroit le risque de décès. Le traitement peut faire régresser une partie des cirrhoses, c’est pour cela que l’urgence est de définir les personnes qui pourront bénéficier des molécules actuellement disponibles, et celles qui ne pourront pas attendre les 2 ou 3 ans nécessaires à la mise en place des études de phase 2 ou 3.

Crainte des nouveaux traitements
Si la trithérapie pour l’hépatite C était facile à prendre, tout le monde la prendrait. Mais les effets indésirables ralentissent l’engouement. Avec le télaprévir, un quart des personnes font une anémie ; avec le bocéprévir, une sur deux, avec nécessité de transfusion ou de prise d’érythropoïétine (EPO). Naturellement associée à l’anémie, la fatigue se rajoute, ainsi que la baisse des globules blancs, et parfois des plaquettes. L’interféron est un autre frein pour prendre la trithérapie actuelle (6 ou 12 comprimés en plus du reste) . Certains effets indésirables sont propres à l’une ou l’autre molécule : le bocéprévir a une toxicité hématologique (les globules blancs, les globules rouges, les plaquettes) ; le télaprévir a une toxicité cutanée avec des éruptions parfois très sévères pour lesquelles il faut être très vigilants dès le début afin d’avoir une chance de les contrôler.
En résumé, pour les génotypes 2,3 et 4, on ne change pas de traitement, car on ne peut pas utiliser les deux nouvelles molécules disponibles. Le schéma reste pour ces génotypes sur une injection par semaine de peg-interféron et des comprimés de ribavirine tous les jours.
Pour le génotype 1, chez les personnes qui n’ont jamais eu de traitement, on a 30 points de taux de succès en plus par rapport au traitement peg-interféron et ribavirine. Quant aux personnes qui ont eu antérieurement ce traitement mais n’étaient pas guéries, le taux de réponse est un peu moindre.

conclusion
Il faut une forte motivation aujourd’hui pour commencer un traitement, une motivation du malade et de son équipe soignante, parce que cette initiation demande un suivi lourd, hebdomadaire, avec des effets indésirables, mais ça vaut le coup. Des personnes ont une forme active de la maladie ou ont une cirrhose et ne peuvent pas attendre 2 ou 3 ans que la recherche avance. Il faut être très bien entouré, être suffisamment bien dans sa tête, car on sait qu‘il y a des risques de déprime et de fatigue, des phases de découragement. Il est donc nécessaire, en début de traitement, de mettre en place un accompagnement médical solide - ne pas hésiter à consulter les infirmières qui font de l’éducation thérapeutique par exemple. Et les amis et la famille sont tout aussi essentiels.


[1Stade très avancé d’une maladie, qui ne peut plus être réversible

[2patients qui n’ont jamais reçu de traitement contre l’hépatite C

[3Rash : vient de l’anglais et signifie : éruption. Rougeur fugitive ressemblant à celles de la scarlatine, qui peut survenir au début de certaines affections essentiellement virales et s’accompagne de fièvre. Ce type de réaction cutanée, signe d’hypersensibilité, peut apparaître dans les premiers jours ou semaines lors de l’initiation d’un traitement, réaction peut parfois être d’une ampleur et d’une gravité nécessitant l’arrêt de ce traitement. La reprise ultérieure du même médicament est parfois formellement contre-indiquée, comme c’est le cas avec l’abacavir.

[4Anomalie de la perception du goût. Ces troubles peuvent être provoqués par la prise de médicaments et sont alors réversibles à l’arrêt du traitement.

[6voir "essais cliniques, mode d’emploi" en page 2 de ce Protocoles.