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Dossier

L’ouverture de Salles de Consommation à Moindre Risque en France : pragmatisme contre idéologie

mercredi 1er septembre 2010

Selon le ministère de l’intérieur , il existe aujourd’hui en France, 1,2 millions d’usageres de Cannabis, 150 000 d’usageres de Cocaïne, et 360 000 d’usageres d’Héroïne (chiffres de 2005). Le collectif « Les morts de la rue » a recensé en 2009 plus de 400 décès de SDF, dont 5 % dès suites d’usage de « toxiques » [1].

C’est dans ce contexte que le 19 mai 2009, à l’occasion de la journée mondiale des hépatites, ASUD (Auto Support Usagers de Drogues) a présenté aux médias une salle de consommation grandeur nature dans leurs locaux. A la suite de cette journée, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot a publiquement commandé à l’INSERM une expertise collective portant sur la réduction des risques infectieux liés à l’usage de drogues en France.

Début juillet 2010, l’INSERM a rendu public son rapport dans lequel sont préconisés, entre autres, la mise en place immédiate des programmes d’échanges de seringues en prison et la mise en place de salles de consommation en France.

Ce rapport recense les études internationales ayant été faites sur le sujet : il existe, aujourd’hui, plus de 80 salles de consommation dans 8 huit pays différents, dont 6 en Europe. Sur la base des études menées dans ces salles, l’INSERM, souligne l’intérêt sanitaire de tels lieux et préconise leur mise en place.

Entre temps, le collectif du 19 Mai pour l’instauration des Salles de Consommation à Moindre Risque (SCMR) en France - réunissant plusieurs associations de lutte contre le sida et les hépatites chez les usagerEs de drogues (ASUD, Act Up-Paris, ANITEA…) - en lien avec les éluEs (notamment l’organisation « Elus, Patients, Santé, Territoires ») a élaboré la faisabilité de l’ouverture de salles de consommation dans les principales villes concernées : Paris, Marseille, Saint Etienne…

Quand Bachelot fait preuve de de bon sens, Apaire se drappe de lacheté

Lors de la 18ème conférence mondiale VIH/sida, qui s’est tenue du 18 au 23 juillet à Vienne, Roselyne Bachelot a publiquement exprimé la volonté d’ouvrir une concertation avec les éluEs locaLESux sur l’expérimentation, en France, des Salles de Consommation de drogue à Moindre Risque.
Bien accueillie par les associations, cette annonce a eu peu d’écho dans le monde politique. Mais, sans doute afin de relancer le débat, début août, Roselyne Bachelot a, lors d’une visite dans un hôpital de Bayonne, réaffirmé ce souhait.

En moins de temps qu’il ne l’aura fallu pour l’écrire, Etienne Apaire, président de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie (MILDT) annonçait, « au nom du gouvernement » (sic), qu’il n’y aura pas de SCMR en France.

La droite s’est montrée très divisée : une partie des éluEs UMP étant très favorable, à l’instar de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille. Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la famille s’est prononcée publiquement en faveur des SCMR. De l’autre côté, un front de 14 députéEs UMP a publié une lettre ouverte dans laquelle ils et elles se montrent farouchement opposéEs aux SCMR.

Alors que le débat prenait une ampleur médiatique sans précédent, Matignon a tranché en déclarant, à l’encontre du discours unanime tenu par le monde associatif et scientifique, que « ces salles ne sont ni utiles, ni souhaitables ».

Pourtant, le débat n’a pas été clos. Le président du Sénat, Gérard Larcher (sénateur UMP) a requis l’ouverture d’une enquête parlementaire. Début septembre, le Sénat et l’Assemblée Nationale annonçaient la création d’une mission parlementaire. Depuis, de nouveLLESaux éluEs locaux se sont prononcéEs en faveur des ces lieux, les sondages annonçant une courte majorité de la population française favorable à ces salles.

A la vue des arguments idéologiques opposés aux remontées de terrain et résultats scientifiques, ce débat démontre surtout le manque de connaissance des éluEs et des politiques sur ces sujets. Sans clivage politique, des opinions pour et contre se sont affirmées, opposant souvent idéologie et pragmatisme.

Il s’agit bien là d’une expérimentation, c’est à dire valider dans un contexte français un outil de réduction des risques existant à l’étranger. Sans cette expérimentation, nous n’aurons pas les chiffres et les retours terrain nécessaires pour savoir si les SCMR sont, en France, dans son contexte politique et social, un outil supplémentaire dans la panoplie offerte à la Réduction des Risques infectieux liés à l’usage de drogues.

10 bonnes raisons de vouloir des SMCR

Les salles de consommation dérangent, suscitent des craintes, laissent l’imaginaire l’emporter sur le réel, et font poser des questions. Parce que l’ouverture de SCMR est une mesure de Santé Publique se justifiant pragmatiquement, nous avons cherché à reprendre les arguments et questionnements qui nous ont été adressés pour y répondre point par point.

Qu’est-ce qu’une « Salle de consommation à moindre risque » ?

Act Up-Paris récuse l’expression « Salle de Shoots » péjorative et stigmatisante. Nous préférons parler de « Centre d’injection Supervisé » (CIS) si le projet se limite à la population des injecteurs, et de Salle de Consommation à Moindre Risque si l’on vise un spectre plus large de substances (consommation de crack, d’héroïne, de cannabis, etc.). Et puis, si on est branchéE, on peut aussi dire « Salle de Conso ».
Nous portons, au sein du collectif du 19 mai, le projet de SCMR, néanmoins, le rapport de l’INSERM préconise plutôt les Centre d’Injection Supervisé. Ce choix de l’INSERM se justifie par le peu d’études existantes dans d’autres contextes que l’injection.
Les termes de « Salle de Shoot » (certains parlent de « Shooting Room », littéralement « salle de tir »… allez comprendre), de « Droguatorium », de « piqueries », sont utilisés par les détracteurs de cette expérience pour masquer le volet social et médical du concept et faire rejaillir les éléments de peur liés à la consommation de drogue.
Une SCMR est un lieu ou des usagerEs de drogue peuvent venir, avec leurs produits, pour le consommer dans de bonnes conditions d’hygiène. Il est important de préciser que ces salles NE VENDENT PAS de drogue.
Dans cet usage, les usagerEs sont encadréEs par du personnel médical, des assistantEs socialEs, des psychiatres. C’est avant tout un lieu d’accueil et d’écoute afin de permettre à ces usagerEs, pour la plupart précaires, de renouer le dialogue, c’est aussi un outil d’intégration sociale.

Faut-il modifier la législation en vigueur en France ?

La loi de 2004 sur la Réduction des Risques a permis la création des Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagerEs de drogues (CAARUD) ; puis des Centres de soins et d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). L’accompagnement des usagerEs et de leur consommation est donc un objectif que la loi française fixe aux autorités et au gouvernement. C’est la raison pour laquelle la mise en place de salles de consommation ne nécessite aucune réforme légale. Néanmoins, un décret devra être signé pour lancer l’expérimentation [2].

Ouvrir des salles de consommation incite-t-il les gens à consommer ?

Les salles de consommation ne concernent que les populations fortement marginalisées, elles sont mises en place dans des quartiers où il y a déjà beaucoup de consommation. Les mineurEs et primo-injecteurs n’y sont pas acceptéEs. Le public ciblé est déjà usager de drogue et pour la plupart très dépendant.
Le dernier rapport de l’institut Burnet en Australie démontre que la consommation reste stable. A Vancouver (Canada), après l’ouverture d’un CIS, les demandes de sevrage ont augmenté de 30 %. On constate bien au contraire, la consommation diminue pour les personnes concernées [3].

Pourquoi mettre en place les SCMR alors qu’il est interdit de consommer ?

Interdit de se droguer ou pas, des personnes le font, certaines en souffrent, et même avec une politique de prohibition comme la nôtre, on arrive toujours à se procurer de la drogue.
Les SCMR permettent à des usagerEs de prendre un produit en toute sûreté alors qu’il en prendrait de toutes façons ! Mais ce produit, elles le prennent dans de bonnes conditions sanitaires afin d’éviter, entre autre, l’infection par le VIH et le VHC, voire une coïnfection, mais également d’éviter les abcès et les overdoses. Les SCMR permettent également à ces personnes d’avoir des conseils sur leur pratique et de les réinsérer dans un parcours de soins qui les a excluEs. Pour ces personnes, les salles de consommation sont aussi une porte d’accès aux soins.
De plus, une salle de consommation contribue à une pacification du quartier où elle est implantée, en évitant que les gens se droguent sur les marches des immeubles, dans des cages d’escaliers, des caves ou des parcs, abandonnant leur matériel, à la vue de touTEs, et pouvant constitué un risque de contamination et d’accident pour les non-usagerEs.

Est-ce que ça marche ? Les exemples étrangers

Si l’objectif de ces salles était un sevrage de tout les usagerEs qui les fréquentent, alors non. Mais l’expérience est testée depuis 24 ans en Suisse où existe 13 salles de consommation. L’exemple de Quai 9, ouvert en 2001 à Genève, entièrement subventionné par l’Etat, montre avant tout que les riverainEs ont totalement accepté ce projet et le défendent même. Le dernier référendum proposant leur fermeture a été rejeté à 70 %. Le nombre de contaminations au VIH a chuté de 80 %. Le centre n’a connu aucune mort par overdose et les surdoses ont baissé de 50 %, certainEs usagerEs ont même engagé un parcours de désintoxication.
En cela, c’est une victoire ! Dans le cas de Quai 9, mais aussi de la majorité de ces salles, il s’agit d’un vrai travail coordonné, réalisé entre les soignantEs, la police et les riverainEs qui permet d’obtenir d’aussi bons résultats. La petite délinquance a même baissé de 70 % dans les alentours de la salle grâce au travail conjoint de la police.

Mais que fait la police ?

Beaucoup de gens craignent que les salles de consommation développent la violence et la délinquance… et c’est compréhensible. Néanmoins, la police est intégrée à la mise en place d’une salle de consommation, qui devient un lieu de tolérance. Cela nécessite évidemment de former les policierEs aux principes de la Réduction des Risques (cela se fait déjà dans certaines unités). La police, aux alentours de ces salles ne procéde pas à l’arrestation des usagerEs mais réprime le trafic. Sa mission peut également être l’information et l’orientation des usagerEs vers ces structures… La notion de zone de tolérance reste toutefois à définir clairement.

Pourquoi devrais-je financer des lieux où des gens viennent se droguer ?

Pourquoi je finance les allocations chômage alors que je suis salariée ? Pourquoi je finance les allocations personne handicapée alors que je vais bien ?… Ben, c’est ça la solidarité ma bonne dame. C’est le principe même de la Sécurité sociale en France, la solidarité… une notion qu’on oublie forcément après 4 ans de Sarkozysme. Et puis, il faut arrêter cette hypocrisie, nous finançons aussi les alcooliques, les fumeuSErs, et les accros du jeu dans leur sevrage, mais la différence c’est que ce sont des drogues légales…
Une salle de consommation, c’est un investissement de 700.000 à 1.000.000 d’euros par an. Cela peut sembler beaucoup, mais ce n’est rien comparé à l’économie réalisée sur un plus long terme. Pour l’assurance maladie, cela représente pour 1 € investi, 5 € de gagnés. Eh oui cela coûte toujours moins cher de prévenir que de guérir.

Qui dit usage de drogues, dit vente de drogues, le trafic se développe-t-il autour ?

Tout comme ces salles ne favorisent pas la consommation, elles ne contribuent pas au développement de trafic à proximité comme l’a démontré en août 2010 une étude australienne [4]. La mise en place de telles salles sont le résultat d’une collaboration entre usagerEs, forces de l’ordre, habitantEs des quartiers et éluEs locaLESux.

Ouvrir des salles de consommation est-ce « abdiquer face à la drogue » ?

C’est le discourt d’Etienne Apaire, président de la MILDT et fervent défenseur du tout répression dans la lutte contre les drogues. Les SCMR sont un outil de lutte contre les méfaits des drogues, notamment les risques de transmission du VIH et des hépatites.
Alors, non, ouvrir des SCMR ce n’est pas abdiquer face à la drogue, c’est être réaliste et avoir conscience que le problème existe, comprendre que les lois actuelles sont totalement inefficaces. C’est aussi offrir aux usagerEs le moyen d’être encore en vie quand ils et elles prendront conscience qu’il est temps de décrocher.

Salle de consommation, premier pas vers la légalisation des drogues ?

Il est normal que ce débat soulève cette question, mais ce sont deux choses différentes. Les salles de consommation répondent à une urgence sanitaire. La légalisation des drogues est un débat de société qui doit se faire sur un temps plus long et dans un contexte dépassionné. L’expérimentation des SCMR n’oblige pas à revoir la loi, et donc la question de la légalisation des drogues. C’est une réponse à un problème qui concerne des personnes en grande précarité, déjà usagerEs.

en Conclusion

Tous les acteurRICEs de terrain, les addictologues, les éluEs locaLESux, les scientifiques et une majorité de l’opinion publique s’accordent à dire que, face à l’urgence sanitaire à laquelle l’Etat doit faire face compte tenu du nombre de contaminations au VIH et au VHC en France, l’ouverture de SCMR reste, aujourd’hui, la meilleure des solutions, non pas parce que cela collerait à notre philosophie mais bien pour des raisons pragmatiques !


[4Trends in Property and Illicit drug crime around the
Medically Supervised Injecting Centre in Kings Cross :
An update par Jacqueline Fitzgerald, Melissa Burgess
and Lucy Snowball