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Les politiques de santé pour les femmes

dimanche 1er août 2010

Le 18 juin dernier, les laboratoires BMS organisaient un symposium sur le thème « Femmes et VIH : du bon usage des antirétroviraux ». Parmi les questions abordées les politiques de santé pour les femmes séropositives présenté en séance plénière est un sujet rarement abordé lorsque l’on parle de cette épidémie.

La pandémie continue de progresser et touche de plus en plus les femmes dans tous les pays du monde. Si la féminisation de l’épidémie est liée au développement de la transmission du virus par des rapports hétérosexuels, elle est également dûe au fait que les femmes sont plus exposées aux risques.

Inégalités

En mars 2007, dans sa présentation des premiers résultats de l’étude sur les comportements sexuels en France, Nathalie Bajos (unité de recherche Inserm au Kremlin-Bicêtre) explique que « si les femmes sont plus touchées, ce n’est pas parce que ce sont des femmes au sens biologique du terme, mais parce que leur sexualité s’exerce dans un contexte marqué par de nombreuses inégalités ». Elle précise : « la sphère politique, celle de l’éducation, du travail et de la vie domestique sont traversées par des inégalités entre femmes et hommes ». Ce sont ces inégalités qui font que les femmes sont rendues vulnérables face à l’infection, en particulier dans les comportements de prévention.

Invisibilité

En effet, la prise de conscience des spécificités des femmes face au VIH s’est faite tardivement en France et dans le monde. Au début de l’épidémie, les femmes n’étaient pas perçues comme particulièrement exposées au risque. Marie-Ange Schiltz (CNRS) dans « Classer la femme séropositive, ce qu’elle est, ce qu’elle fait, qui elle fréquente », souligne que, dans les systèmes de surveillance épidémiologique, elles sont classées dans la catégorie générale « population hétérosexuelle ». Ce classement ne rend pas compte des différentes situations à risque auxquelles elles sont confrontées. Ainsi « une majorité de femmes séropositives échappe-t-elle à la logique des classements aujourd’hui en vigueur » et ne permet pas l’élaboration de réponses préventives adaptées.

Oubliées

Geneviève Paicheler et Audrey Sitbon, chercheures au CNRS, soulignent dans leur article « Les femmes dans les campagnes publiques de prévention du VIH/sida (1987-1999) : une cible en trompe l’oeil ? » que les premières communications ciblées vers les femmes ont été mises en place après 1997, lorsqu’on identifie les femmes comme « vulnérables ». Les campagnes avaient donc jusqu’alors laissé aux femmes la responsabilité des questions de prévention pour elles.

Un bilan tardif

La première synthèse de travaux en sciences sociales et santé publique consacrée aux femmes fut publiée dans le numéro spécial de Médecine Sciences, « Les femmes et le sida en France Enjeux sociaux et de santé publique », publié en Mars 2008 à l’initiative de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS).

On y apprend que la précarité de la situation professionnelle des femmes séropositives est plus fréquente que chez les hommes (27 % contre 18 %), ajouté à cela des charges familiales plus lourdes font que l’on atteint pour les femmes « des niveaux de pauvreté encore plus marqués que chez les hommes, et beaucoup plus que dans la population générale » (France Lert). Si les questions de la prévention et de l’accès aux traitements doivent être aujourd’hui au cœur des politiques publiques, la question de l’accès aux droits sociaux demeure d’actualité : difficultés à accéder à une couverture médicale, en particulier pour les femmes d’origine étrangère, et difficultés à se soigner lorsque l’on vit avec les minima sociaux. Malgré des progrès continus, le déséquilibre entre hommes et femmes perdure : le taux de participation des femmes dans les essais cliniques en est l’exemple le plus évident qui illustre un vrai problème d’orientation politique et économique et met en exergue les rapports sociaux de sexe dans l’ensemble de notre société. Les spécificités de l’infection à VIH chez les femmes sont également liées à des manifestations cliniques et physiologiques particulières : trop longtemps, la recherche s’est occupée de la transmission de la mère à l’enfant (TME) et très peu de la femme en tant que femme. Ce n’est qu’en 2002 que pour la 1ère, et seule fois, un chapitre a été consacré aux spécificités de la prise en charge des femmes séropositives dans le Rapport Delfraissy. L’Agence américaine du médicament (la FDA) n’exige que depuis 2009, que toute nouvelle molécule soit étudiée de façon spécifique chez les femmes avant leur mise sur le marché.

Quand l’OMS se réveille

A la veille du 1er décembre 2009, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publie un rapport intitulé « les femmes et la santé » qui pointe les disparités Femmes/Hommes en matière de santé et souligne l’existence de déterminants biologiques et sociaux qui rendent les femmes plus exposées aux risque face à certaines pathologies comme le VIH/sida et les infections sexuellement transmissibles (IST). Les conclusions sont sans appel pour l’infection à VIH/sida qui représente la première cause de décès et de maladie chez les femmes en âge de procréer notamment en Afrique. Ce rapport définis ainsi les facteurs qui rendent les femmes plus vulnérables face au VIH et aux IST :
 1. Biologique, puisque la transmission sexuelle du VIH d’un homme à une femme est de 2 à 4 fois plus élevée que la transmission d’une femme à un homme.
 2. Culturel, parce que les filles ont moins accès à l’éducation et que l’on recense encore deux fois plus de femmes illettrées que d’hommes dans le monde ; que dans certains pays, les normes sociales leurs imposent une ignorance des questions de sexualité (seules 38 % des jeunes femmes sont capables de décrire les principaux moyens d’éviter l’infection par le VIH et risquent donc davantage que les jeunes hommes d’ignorer que les préservatifs peuvent les protéger du VIH).
 3. Socio-économique, puisque les femmes ont encore un statut social défavorable dans de nombreux pays, rendant impossible l’accès à la prévention et aux soins.

L’OMS a donc défini quatre domaines dans lesquels l’action politique pourrait avoir un effet positif sur la santé des femmes :
 1. « la construction d’un encadrement solide et d’une réponse institutionnelle cohérente qui fusionneraient autour d’un programme clair » : en intégrant la question de parité Femmes/Hommesà tous les niveaux de l’élaboration des politiques et des programmes, par des analyses par sexe systématiques et par la mise en oeuvre d’actions qui corrigeraient les inégalités et permettent un équilibre des pouvoirs et de la distribution des ressources entre les hommes et les femmes.
 2. « l’adaptation des systèmes de santé aux femmes » : les femmes vivant avec le VIH doivent avoir accès à des évaluations et des traitements pour elles et pas uniquement à des interventions visant à réduire le risque de transmission mère-enfant ; revoir l’offre de soins en matière de santé sexuelle.
 3. « l’exploitation des changements de la politique publique pour encourager les changements sociaux fondamentaux » : en développant des politiques publiques ayant une incidence sur les déterminants de l’exposition aux risques, de la vulnérabilité à la maladie, de l’accès aux soins et des conséquences de la mauvaise santé chez les femmes.
 4. « la construction du socle de connaissances et le suivi des progrès réalisés » : en améliorant les systèmes de collecte et d’utilisation de données par âge et par sexe ; en intégrant des femmes et des représentantes d’organisations féminines dans les programmes de recherche.

Quand l’ONUSIDA s’en mêle

A la veille du 8 mars 2010, l’ONUSIDA annonce « vouloir agir pour donner aux femmes et aux filles les moyens de se protéger du VIH » avec plusieurs propositions à mettre en œuvre dans la collaboration des gouvernements, de la société civile et des partenaires du développement afin de :
 produire de meilleures informations portant sur les besoins des femmes des filles dans le contexte du VIH ;
– faire que les engagements politiques se traduisent par une augmentation des moyens et des actions envers les femmes ;
– protéger les droits humains des femmes en rappelant que dans le monde, 70 % des femmes sont confrontées à la violence et que pour cela la violence à l’égard des femmes doit être intégrer dans les programmes de prévention, de traitement, de prise en charge et d’appui en matière de VIH.

La DGS s’embourbe

Si cette dimension de cumul possible de facteurs qui ont rendu les femmes plus vulnérables et la prise en compte de leurs spécificités face à la maladie a été intégrée, récemment, dans les programmes internationaux, elle ne l’est pas encore réellement en France. En effet, le bilan du Plan de lutte contre le sida et les IST élaboré par la Direction Générale de la Santé (DGS), ne traite cette question que de manière transversale dans différents axes. Des axes bien spécifiques, à savoir les migrants et les populations des Départements Français d’Amérique (DFA). Il en sera de même dans le nouveau Plan dont la publication est prévue à l’automne, puisque dans sa préparation les femmes ont été classées une fois de plus dans la « Population en situation de vulnérabilité » et que les différentes spécificités seront une fois de plustraitées de façon transversale.

Les politiques de santé envers les femmes vivant avec le VIH sont donc insuffisantes et ne satisfont pas les femmes concernées car leurs revendications sont claires. Pour sortir de l’isolement, elles ne veulent plus être considérées comme des victimes ; elles veulent que leurs spécificités soient prises en compte dans la recherche et dans leur prise en charge médicale ; elle demande la création d’un droit d’asile sanitaire au même titre que le droit d’asile politique incluant le droit au travail et au regroupement familial ; la gratuité de tous les moyens de prévention au Nord comme au Sud ; selon elles la lutte contre les violences doit se traduire par des législation appropriées et par une lutte contre les comportements sexistes [1].

A retenir

Il faut en finir avec ce terme de « vulnérabilité », souvent associé à faiblesse et fragilité, et qui place les femmes en position de victime. Des différentes rencontres organisées depuis 7 ans par le collectif inter associatif Femmes et VIH il ressort clairement que les femmes vivant avec le VIH ne veulent pas être associée à cette imagede victime. Si elles ont à gérer, en plus des caractéristiques biologiques, les aspects sociaux et culturels, l’association de ces facteurs multiplie par trois l’impact du VIH sur leurs vies. En considérant qu’une femme séropositive peut aussi être usagère de drogue, ou co-infectée par une hépatite, ou étrangère vivant en France, ou détenue, que se passe-t-il pour elle ? Une question que la DGS ne s’est certainement pas posée, malgré l’instance des militantes de la lutte contre le sida, qui ne cessent de le leur rappeler.


[1Ces revendications sont issues des différentes rencontres organisées par le collectif interassociatif Femmes et VIH.