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Edito

Incarnation ?

octobre 1999, par Emmanuelle Cosse

Si nos commentateurs veulent voir dans l’élection d’une femme séronégative et héterosexuelle à la présidence, un signe de changement structurel et politique d’Act Up, c’est leur choix. Ce n’est pas le nôtre.

La nouvelle équipe comprend cinq vices-présidents qui sont chargés de l’ensemble de nos axes de travail. Act Up a toujours été incarné par un président pédé séropo : pour la première fois, l’image d’Act Up sera liée à celle d’une jeune femme séronégative et hétéro. Pourtant cette élection ne s’est pas faite par dépit, en l’absence de candidat pédé séropo. Elle exprime la diversité des personnes impliquées dans le groupe : Act Up a séduit aussi des hétéros séronégatifs qui se sont approprié son discours, l’ont construit, défendu et incarné.

Si j’ai rejoint Act Up en 1992, et si j’y suis restée depuis, c’est parce que mon engagement devait être là et nulle part ailleurs : Act Up est le seul groupe à parler publiquement du sida, d’homosexualité, de plaisir, à utiliser des méthodes radicales et sans concession, et c’est un des seuls lieux où l’on peut vivre librement sa maladie, sa sexualité, ses désirs, son engagement. Si le changement que constitue mon élection ne s’est pas fait facilement, si le discours à la première personne est pour moi plus problématique sans être impossible, les méthodes, les combats d’Act Up continuent, même si leurs incarnations évoluent : Act Up a une histoire et non pas une identité.

Pendant ce temps on attend toujours les signes d’une présence quelconque au Secrétariat d’État à la Santé. Dominique Gillot, se démarquant des effets d’annonce de notre ami Kouchner, a préféré le silence, voire même l’inaction. Elle chercherait, parait-il, à dénoter par un travail de fond. Certes. Mais est-ce vraiment la meilleure attitude au moment où environ 8 000 malades sont en échappement thérapeutique, où un nombre croissant de personnes sont en train de perdre leurs ressources, où les derniers chiffres concernant la coinfection VIH/VHC sont catastrophiques. Ce que nous attendons du Secrétaire d’État à la Santé, c’est le traitement immédiat de ces situations d’urgences, ce sont des campagnes de prévention continuelles et pas seulement l’été - comme si on ne baisait que pendant les vacances - et une défense sans concession de notre place de malades face aux velléités des autres ministères. Notamment celles du Ministère des Affaires sociales qui entend restreindre les faibles revenus accordés aux malades du sida, comme si nous étions des privilégiés dans le monde des précaires. Force est de constater qu’il n’y a pas de différence entre l’absence de secrétaire d’État de la Santé en juillet et aujourd’hui.

Tandis que les institutions font comme si l’épidémie de sida était réglée, la gêne causée par notre dernière affiche de prévention nous ont montré que la communauté homosexuelle parisienne n’était pas prête à entendre l’exaspération d’Act Up sur la mythologie de la baise sans capote. Mais enfin, est-il vraiment normal et acceptable d’entendre aujourd’hui fréquemment que " c’est fun de baiser sans capote ", ou qu’ "après tout ce n’est pas si grave de ne plus adopter des réflexes de safer sex " ? Après 8 ans dans Act Up, je ne peux accepter cette tendance, alors que nous avons perdu tant d’amis et de maris, que les communautés homosexuelle et toxicomane ont été décimées par le sida. Comment peut-on vouloir ce relâchement, ce bareback ? Qu’avons nous à dire à des jeunes de 19 ans qui arrivent à Act Up parce qu’ils viennent d’apprendre qu’ils sont contaminés ? Que c’est difficile de conserver des pratiques safe après 15 ans ? Faudrait-il attendre que les séropos retournent à l’hôpital, que les contaminations reprennent dramatiquement pour que les consciences se réveillent ? Les récents débats sur le PaCS nous l’ont bien montré : les pédés et les séropos sont tolérés mais pas acceptés. Si c’était vraiment le cas, c’est le droit au mariage pour les homosexuels qui aurait été adopté, ouvrant alors les mêmes droits aux pédés qu’aux hétéros. L’adoption du PACS n’est pas une victoire : c’est un minimum dont nous ne nous contenterons pas.

Act Up a changé de président mais n’a pas changé de volonté politique, ni perdu l’envie d’en découdre avec ses ennemis : sur les traitements, sur les droits des malades, sur la prévention, sur la toxicomanie, sur les discriminations homophobes, sur l’accès aux soins, sur le sort réservé aux prisonniers, aux étrangers, aux femmes, aux prostituées, aux pédés, aux lesbiennes, aux précaires, nous continuons.

Act Up-Paris entre dans une nouvelle décennie de lutte contre le sida. Avec vous. Rejoignez-nous.