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Edito

Santé : postes à pourvoir.

juillet 1999, par Philippe Mangeot

En mars dernier, le Directeur général de la Santé, annonce à Bernard Kouchner qu’il démissionnera au cours du mois de mai. Joël Ménard oublie sans doute que, pour le Secrétaire d’Etat à la Santé, une parole n’engage à rien. Sans doute n’est-il pas pris au sérieux : quand il jette effectivement l’éponge en mai, nul n’est prévu pour le remplacer. Deux mois plus tard, son poste est encore vacant ; tous nos interlocuteurs à la DGS ou au ministère affectent un air alternativement mystérieux, hilare ou désolé quand on s’inquiète du nom du futur Directeur de la Santé.

Le 2 juillet, Kofi Annan, désigne Bernard Kouchner administrateur civil de l’ONU pour le Kosovo. Il doit donc abandonner sa place de Secrétaire d’Etat à la Santé. Pas question, pour autant, de le remplacer dans l’immédiat : on indique à Matignon qu’une nouvelle nomination n’interviendra pas avant courant septembre. En attendant, Martine Aubry règlera les affaires courantes. Et nos interlocuteurs, d’affecter un air alternativement mystérieux, hilare ou désolé.

Si c’était un jeu pour l’esprit, on pourrait au moins afficher une satisfaction toute intellectuelle. Les pouvoirs publics font en effet la démonstration in vivo, de ce que nous signalons et dénonçons depuis plusieurs mois : la politique de Santé publique en France n’est qu’un jeu de masques ; qu’importe qu’il y ait ou non un Secrétaire d’Etat aux commandes et un Directeur général pour l’administrer. C’était pour rire.

Maintenant, les rois sont nus. On vérifiera au passage le cas que le ministre fit de son administration ; on ne trouvera pas preuve plus éclatante de l’indifférence du Premier ministre aux questions de Santé publique. On savait depuis longtemps que la décision dans ce domaine appartenait à d’autres ministères : l’Intérieur, la Justice, le Budget ; on constate encore le poids plume de la Santé en regard de l’équilibre des forces de la gauche plurielle au sein du gouvernement. C’est la Santé sacrifiée par l’arithmétique : une conception de la politique comme une autre.

Faut-il encore jouer les rabat-joie ? Parler, par exemple, des 5 000 malades en France pour lesquels les traitements ne font plus d’effet. Face à la mobilisation des associations, les laboratoires lambinent, l’Agence des Produits de Santé renâcle et l’Agence de Recherches sur le Sida tergiverse. Kouchner pouvait peut-être débloquer la situation - au moins s’y était-il engagé, et on connaît son malin plaisir à court-circuiter ses administrations. Mais Kouchner a, entre temps, quitté le navire. Et puis ces malades peuvent bien attendre la fin des vacances.

Faut-il se lamenter, une fois de plus, sur l’usage politique des vacances ? Elles ont un double emploi, tous les coups sont gagnants. Elles autorisent à remettre à plus tard des résolutions urgentes - la nomination de responsables aux postes de commandes... Mais elles permettent aussi de prendre en catimini des décisions qui fâcheraient à une autre époque de l’année. La diffusion, le 7 juillet dernier, d’une circulaire à l’intention des DDASS, relative à l’évaluation du taux d’incapacité des personnes atteintes du VIH, est à ce titre exemplaire. Ce texte reconnaît que le barême jusqu’à présent en vigueur est périmé, puisqu’il date d’avant l’arrivée des multithérapies. Mais plutôt que d’établir un nouveau barême objectif, en concertation avec les associations, il renvoie explicitement la décision à l’arbitraire administratif : " Il est loisible d’intégrer le retentissemement de la douleur et de l’asthénie dans le calcul d’un degré d’invalidité dont le principal critère est la perte plus ou moins sévère de l’autonomie dans la plupart des actes de la vie quotidienne ". Libre dès lors à chaque COTOREP d’apprécier à sa guise d’aussi vagues déclarations, au risque prévisible de refuser le renouvellement de l’Allocation Adulte Handicapé à des malades de longue date sur qui les traitements auraient fait quelque effet - ceux-là pourront toujours compter sur le RMI.

Vous pouvez protester : les rédacteurs de la circulaire sont en vacances et il n’y a plus de ministre à la Santé. A croire que les vacances ont été inventées pour laisser les gouvernements gouverner en paix.

En attendant la rentrée, des postes sont donc à prendre. Alors téléphonez à Matignon.
 Composez le 01 42 75 80 00, vous aurez le standard ;
 vous voulez parlez aux conseillers médicaux de Lionel Jospin, faites le 01 42 75 80 11. _ Postulez, selon l’humeur, à la Direction Générale ou au Secrétariat d’Etat à la Santé. Puisque Matignon vous dit que c’est pour rire.


Nota Bene : qui aurait pu faire un éditorial énervé si les désaffections successives à la Santé n’étaient encore plus énervantes.

La campagne d’affichage que nous avons lancée à l’occasion de la Gay Pride, a suscité d’étranges remous parmi quelques anciens militants d’Act Up. Aborder la prévention en termes de responsabilité individuelle, ce serait verser dans l’admonestation moralisatrice et céder au puritanisme. Plutôt que de nous adresser à notre communauté, nous aurions dû nous en tenir à ce que nous avons toujours fait et que nous continuons de faire : talonner le ministère de la Santé pour la nullité ou l’inconsistance des campagnes de prévention. Un point c’est tout.

Il n’y aurait donc de responsabilité que celles des pouvoirs publics ? Est-ce vraiment cela que nous disons en investissant les ministères ou en zappant la DGS ? S’agit-il seulement de nous exonérer de toute espèce de questionnement sur nos propres pratiques ?

Nos détracteurs confondent manifestement la question de la responsabilité avec un problème de calcul. Ce n’est pas parce que le ministère est entièrement responsable des carences de la prévention qu’il nous décharge de notre responsabilité. Ce n’est pas davantage parce qu’il faut être deux pour qu’il y ait transmission du virus que la responsabilité de chacun est divisée par deux. Bref : la responsabilité partagée n’est ni une responsabilité soustraite, ni une responsabilité allégée. C’est que l’éthique n’est pas l’arithmétique, n’en déplaise à la rime.

Où l’on retrouve l’éditorial précédent. Tout à l’heure, Lionel Jospin prenait la politique pour l’arithmétique.

C’est gens aiment trop la poésie.