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« Aids Impact » à Marseille

Un soutien sans faille

dimanche 1er juillet 2007

Dimanche 1er juillet, la 8ème conférence internationale « Aids Impact » s’ouvre aujourd’hui à Marseille, capitale régionale de la deuxième région française la plus touchée par le VIH. Elle se déroule jusqu’au 4 juillet prochain.

La conférence « Aids Impact » est le rendez-vous des experts en sciences humaines et sociales dans le domaine de l’infection par le VIH. La conférence a été ouverte par une plénière peu commune. Au milieu des discours lénifiants de représentants de ministres pas assez concernéEs pour se déplacer, Vincent Pelletier, directeur de AIDES, la première association française de lutte contre le sida, a réveillé l’auditoire par un discours que nous avons décidé de reproduire intégralement dans notre première chronique.

« J’avais prévu un discours convenu de bienvenue au nom de AIDES et des communautés et des personnes touchées de France pour vous accueillir à cette importante conférence internationale AIDS IMPACT.

Mais l’heure est grave. Un laboratoire pharmaceutique, a décidé de déterrer la hache de guerre. Le lutte contre le sida a beau avoir 25 ans, le combat continue, peut-être plus aujourd’hui encore qu’hier. Alors voilà je range mon discours policé sur la place de la société civile dans la lutte contre le sida. Parce que, ce que j’ai à vous dire est important, la vie de millions de frères de ma communauté est en jeu. Plutôt qu’un discours général, voici un exemple concret de ce que la société civile peut faire dans cette lutte.

Après le procès des laboratoires pharmaceutiques en Afrique du sud dont vous vous rappelez sans doute, Abbott, parce qu’il s’agit d’eux, dans le même esprit, a décidé de ne plus commercialiser ses nouveaux médicaments en Thaïlande dont le Kaletra en comprimé, appelé Aluvia dans beaucoup de pays, médicament anti-rétroviral de deuxième ligne. Cette sentence fait suite à l’annonce du gouvernement thaïlandais d’émettre des licences obligatoires notamment sur un médicament sous le monopole d’Abbott. Abbott refuse donc la concurrence avec les génériques, seul moyen efficace aujourd’hui de faire baisser les prix. Car vous le savez, les licences obligatoires permettent aux gouvernements de fabriquer ou d’importer des génériques des médicaments, copies de même qualité mais moins cher, beaucoup moins cher. Cette procédure est pourtant autorisée par l’Organisation Mondiale du Commerce.

L’octroi de licence obligatoire est nécessaire pour que la Thaïlande puisse fournir des médicaments vitaux pour les personnes séropositives devant modifier leur régime thérapeutique après que leur virus soit devenu résistant. La licence obligatoire permettrait ainsi à la Thaïlande d’importer des versions génériques pour un coût inférieur aux tarifs pratiqués par le laboratoire Abbott.

La décision d’Abbott revient donc à priver, en toute connaissance de cause, les malades thaïlandais d’un médicament indispensable car trop cher. Au-delà de la Thaïlande, ce sont tous les pays en développement qui se sentent menacés par cette odieuse mesure de rétorsion.

Partout dans le monde, on vante l’implication des personnes touchées dans la définition des politiques de santé et dans la mise en place de ces politiques. Mais quand il s’agit de nous assurer le droit à la vie avec des médicaments de qualité et efficaces alors là nous redevenons des marchandises. Rentables ou pas. Et là nous n’avons plus droit au chapitre.

Nous n’avons donc pas d’autre choix que d’utiliser des méthodes de persuasion plus radicales, des méthodes pour faire pression. C’est ce qu’a fait Act Up-Paris le 26 avril 2007. A l’appel de cette association, plusieurs centaines de personnes dans le monde se sont connectées à répétition sur le site d’Abbott afin de le saturer, en demandant à Abbott de revenir sur leur chantage inacceptable pour les malades qui ont un besoin vital de leurs produits.

Et Abbott vient d’attaquer en justice Act Up-Paris suite à l’action menée contre lui le 26 avril 2007, menaçant ses dirigeants de prison et l’association d’une amende dont elle ne se relèverait pas.

Un nouveau pas vient donc d’être franchi par l’industrie pharmaceutique au nom de ses profits.

En tant que malade du sida prenant du Kaletra en comprimé, je ne peux l’accepter. Je ne peux m’imaginer matin et soir prenant mes comprimés et continuer à me regarder dans la glace. En les prenant, je resterais en vie, mais j’accepterais aussi d’enrichir un labo qui décide froidement de priver d’une chance de survie des milliers de malades dans le monde. Comment pourrais-je continuer à vivre en sachant ça ?

Je ne jetterai pas mon Kaletra, même si j’en ai très envie. Je sais la chance que j’ai, moi, vivant dans un pays riche. Je sais que ce serait un geste vain face aux centaines de milliers de séropositifs qui en ont besoin et qui ne peuvent le prendre. Mais je ne peux me résoudre à accepter l’inacceptable.

Alors puisque Abbott veut faire de notre santé un bien commercial, je voudrais que nous utilisions des méthodes commerciales contre Abbott. Nous sommes 40 millions de séropositifs dans le monde. Grâce à nos combats, plus de 2 millions d’entre nous bénéficient d’un traitement. Et demain beaucoup plus encore. Si pour Abbott, nous ne sommes que des consommateurs alors nous allons avoir des comportements de consommateurs mais au niveau mondial. Ne dit-on pas que le client est roi ? La concurrence peut jouer, elle est une arme efficace.

Je vais donc demander à mon médecin de changer de traitement. Il en existe d’autres. Je vais faire jouer la concurrence.

Et j’appelle tous les séropositifs qui le peuvent, et après en avoir parlé à leur médecin, à faire de même. A demander à leur médecin de leur prescrire un autre produit qu’un de ceux de chez Abbott, si leur état de santé le leur permet. J’appelle tous les médecins prescripteurs à choisir une autre alternative médicamenteuse que les produits Abbott, toutes pathologies confondues, pour leurs patients pour ne pas cautionner l’odieux chantage que ce laboratoire fait aujourd’hui à la Thaïlande et demain au reste du monde en développement. Je leur demande également de ne plus aller dans les conférences organisées par Abbott, je leur demande de ne plus recevoir les délégués médicaux de ce laboratoire. Ne devenons pas complice d’un monde où les riches vivront sur la mort des plus pauvres. Et que cela serve d’exemple pour les autres laboratoires.

Au-delà des malades et de leurs médecins, je demande aux autres acteurs de la lutte contre le sida, à toutes les organisations, nationales ou internationales, gouvernementales ou non gouvernementales, de déclarer publiquement leur soutien aux malades thaïlandais et d’ailleurs qui ont besoin de traitements de deuxième ligne, efficaces et accessibles. Je demande aux orateurs qui vont se succéder à cette tribune pendant 4 jours, que ce soit Monsieur l’ambassadeur français du sida, au directeur du fonds mondial et à tous les autres de condamner les agissements inacceptables d’Abbott.

Je demande enfin à Abbott de mettre fin à ses poursuites contre Act Up, mais ça ne suffira pas, ça ne suffira plus. Je demande à Abbott et aux autres laboratoires de cesser les représailles envers les pays usant de la licence obligatoire.

A partir d’aujourd’hui, les règles du jeu vont changer. Les profits des laboratoires pharmaceutiques sont en jeu. Mais maintenant c’est nous, les malades du monde entier qui jouons ! Jouons tous ensemble !

Je compte sur vous, les malades thaïlandais comptent sur nous tous. »