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Hormones, toujours une question de genre

Entretien avec Nicolas Hacher, endocrinologue

mars 2007

Suite à la RéPI organisée en juin 2006 sur la question Trans’ et VIH, nous avons voulu approfondir certains points présentés par le Dr Nicolas Hacher, endocrinologue. Les hormones jouent un rôle essentiel pour notre corps, nos connaissances sur le sujet sont à améliorer. C’est chose faite grâce à notre entretien avec le Dr Hacher. Merci

Quel est le rôle des hormones sexuelles et quel est leur fonctionnement ?
Pour faire simple, les hormones sexuelles sont des substances chimiques produites par les testicules et les ovaires dans trois buts différents : assurer la différenciation sexuelle dans le sens masculin ou féminin, d’autre part préparer la possibilité de procréation, et enfin, assurer de nombreuses fonctions médicales comme la protection cardio-vasculaire, osseuse ou neurologique.

Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le système hormonal ?
Le système hormonal est un système complexe qui concerne tout l’organisme. Il est représenté par l’ensemble des glandes endocrines qui participent au maintien des grands équilibres vitaux de l’organisme. Les différentes hormones régissent un certain nombre de fonctions, que ce soit la croissance, l’équilibre hydrique des sels minéraux, ou le fonctionnement thyroïdien et métabolique. Par exemple, l’insuline secrétée par le pancréas, joue un rôle capital dans l’utilisation du glucose par les cellules. Les hormones surrénaliennes, notamment le cortisol, jouent un rôle vital dans l’équilibre du sodium et du potassium, dont la privation est fatale.
Un autre exemple : les hormones thyroïdiennes, dont on parle beaucoup et qui préoccupent énormément les gens actuellement, ont une fonction très intéressante parce qu’elles ont pour rôle de donner le tempo du fonctionnement de l’organisme, en quelque sorte le rythme vital. En cas de déficit, ce tempo est ralenti et en cas d’excès, c’est le contraire, le rythme est accéléré. Dans les deux cas, il s’ensuit des dysfonctionnements de tout l’organisme. Toutes les cellules de l’organisme doivent fonctionner selon un rythme très précis. Ce qui montre qu’au fond notre monde n’est pas un chaos, qu’il est régi par un système extrêmement sophistiqué, d’une complexité absolument inimaginable pour l’intelligence humaine. Je voudrais insister sur une exception en cas d’association fortuite d’hypothyroïdie et de cancer du sein. Dans ce cas il vaut mieux sous-traiter et maintenir une hypothyroïdie a minima, comme l’a montré une étude américaine publiée il y a une vingtaine d’années, et qui montre un ralentissement de l’évolution de ce cancer en cas d’hypothyroïdie concomitante. Tout cela montre bien à quel point il faut être prudent quand on prescrit des hormones.

Est-ce que l’on peut définir de manière simple les différences entre le système hormonal de l’homme et celui de la femme ? Vous nous avez expliqué que les hormones régissent les différences sexuelles pour plusieurs raisons. Est-ce qu’il y a une spécificité feminine, masculine ?
Il y a des hormones communes. Etonnamment les hormones hypophysaires qui stimulent et commandent le fonctionnement des testicules et des ovaires sont communes aux deux sexes. On les appelle FSH et LH mais la comparaison s’arrête-là. Il y a une véritable différence entre les deux sexes parce que la masculinisation et la féminisation sont trés différentes. Mais chose bizarre, entre l’œstradiol et la testostérone, la différence se fait à un atome près ; elles se ressemblent beaucoup, et seul un petit détail entraîne la différentiation entre les sexes. On a découvert récemment une chose intéressante. Pendant longtemps les embryologistes ont cru que le développement masculin du fœtus était quelque chose d’actif, qui se déroulait sous l’effet d’éléments masculinisants et que les femmes se développaient par défaut. Maintenant, on sait que c’est entièrement faux et que la différentiation sexuelle, qu’elle soit masculine ou féminine, est un mécanisme actif et spécifique. On ne devient pas femme par défaut. Les deux développements sont régis par des règles excessivement précises.

Le système hormonal peut être surveillé par ce qu’on appelle les dosages hormonaux. Qu’est ce que c’est ? En quoi cela consiste ? Existe-t-il des normes et si oui lesquelles ?
Il faut savoir que les dosages hormonaux existent depuis peu dans l’histoire de la médecine. L’endocrinologie a un demi-siècle environ, avant on ne savait rien ou presque. Il a fallu une technologie de pointe pour faire des dosages. C’est très compliqué parce que les hormones sont en quantité extrêmement limitée, à l’échelle de picogrammes, de nanogrammes [1]. Les dosages hormonaux ont donc révolutionné l’endocrinologie. On se base maintenant sur des choses très précises qui permettent les dépistages précoces comme les dysthyroidies que l’on peut diagnostiquer au tout début. Il existe effectivement des normes pour certaines hormones comme l’insuline, le cortisol, les hormones thyroïdiennes, etc., mais il faut faire très attention aux fluctuations et aux pics. Par exemple, quand on dose les hormones hypophysaires qui régissent l’ovulation, il faut savoir que ce sont des taux qui sont oscillatoires, il faut donc tenir compte des moments du cycle pour le dosage, ce n’est pas statique. Il y a aussi ce qu’on appelle des dosages dynamiques dans le cas de certaines maladies où un simple dosage statique ne permet pas le diagnostic. Il faut donc stimuler une glande en injectant une hormone et faire le dosage de l’hormone qu’on veut tester avant et après stimulation : c’est le cas pour l’hormone de croissance, par exemple.

Dans le cas du suivi des femmes séropositives, est-ce utile de demander des dosages hormonaux ? Pourquoi ?
Les dosages hormonaux doivent être faits à la demande et selon les symptômes, tels que l’absence des règles, une fatigue intense, des règles trop abondantes et hémorragiques, des bouffées de chaleur, la perte des cheveux, une modification cutanée, etc. On peut alors orienter les examens de manière beaucoup plus ciblée pour être plus efficace, et selon la plainte des patientes.

Et pour les hommes ?
C’est pareil, il y a ce qu’on appelle le DALA (Déficit Androgénique Lié à l’Age). Pour un certain nombre d’hommes, séropositifs ou non, il peut arriver une baisse des taux hormonaux. Aujourd’hui, j’ai vu un homme de 60 ans environ, séropositif, qui se plaignait d’avoir une chute trés importante de sa libido. J’ai donc fait un vaste bilan hormonal, et pas uniquement suite à sa plainte, mais parce que pour un homme de son âge, il est recommandé d’avoir un bilan hormonal adéquat.

Qu’en est-il de la ménopause chez les femmes ?
Pour une femme ménopausée à 40 ans, c’est ce qu’on appelle la ménopause précoce, il est dommage qu’elle reste sans traitement substitutif. Ce n’est pas normal d’être ménopausée à 40 ans, cela veut dire une privation d’imprégnation hormonale pendant plus de 10 ans. Ce n’est pas par hasard si la nature nous a dotés d’hormones, elles ont une finalité, comme la protection cardio-vasculaire et osseuse, de telle sorte que lorsqu’une femme arrive à 50/52 ans, âge physiologique de la ménopause, elle a au moins un bon capital osseux, quitte à ce qu’on traite une éventuelle ostéoporose par la suite. Il faut donc respecter la physiologie et donner à une femme toutes ses chances, pour qu’elle ait au moins jusqu’à l’âge de 52 ans son quota d’hormones. Il ne faut pas négliger les ménopauses précoces, il faut les traiter.

Certains inhibiteurs de protéase, surtout l’indinavir, et des non-nucléosidiques tel l’efavirenz, seraient problématiques au niveau des hormones. Ces médicaments auraient comme effet d’inhiber les fameux cytochromes P 450*. Que se passe-t-il en réalité ? Comment définit-on ces cytochromes ? Quel est leur rôle ?
Les cytochromes représentent un des systèmes enzymatiques du foie impliqués dans le métabolisme de nombreux médicaments. A l’inverse, certains antirétroviraux ont pour effet soit de stimuler ces enzymes et donc d’accélérer leur capacité d’épuration, comme les non-nucléosidiques, soit de les inhiber, comme certaines antiprotéases. Dans le premier cas, il y a diminution des taux sanguins de médicaments « hyper-éliminés » et dans le deuxième cas il y a risque d’augmentation excessive des taux d’un médicament donné. Prenons l’exemple de l’ethinylœstradiol, œstrogène de synthèse des pilules contraceptives : l’augmentation excessive de sa concentration sanguine expose au risque thromboembolique [2], et à l’inverse, son épuration accélérée peut remettre en cause son efficacité contraceptive. Il en est de même pour l’œstradiol 17 beta du traitement hormonal substitutif. En pratique, il faut donc tenir compte du traitement antirétroviral avant la prescription de traitements hormonaux, et ne pas hésiter à doser l’œstradiol plasmatique dans le cadre d’un THS [3] en ayant pour cible un taux situé entre 60 pg/mL et 100 pg/mL.
De plus, si il y a des interactions multidirectionnelles, on ne sait plus qui fait quoi. En fait, c’est la résultante qui nous intéresse, c’est de savoir quel est le taux d’œstradiol circulant dans le sang de tel patient à tel moment donné, quel est le taux de testostérone, de statine etc. Pour le savoir, il faut faire des dosages, ce que l’on ne fait pas en règle générale pour le traitement classique de la ménopause. Quand on prescrit un THS, on ne dose pas systématiquement l’œstradiol, on sait qu’en utilisant telle dose de tel produit on va avoir un taux correct ; mais dans le cas précis de médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques, il faut faire des dosages.

Dans la Répi Trans vous nous avez parlé de l’importance des œstrogènes naturels face aux œstrogènes de synthèse, en précisant qu’il fallait préférer l’utilisation par voie percutanée plutôt que par voie orale afin d’éviter le métabolisme par le foie. Pourquoi préférer les patchs ?
C’est le bon sens qui prime. Quand on absorbe un œstradiol par voie orale, même s’il est naturel, les quantités supra-physiologiques et pharmacologiques vont arriver au niveau du foie. On n’est plus dans le fonctionnement naturel des choses et quand on atteint des doses multipliées par dix, la donne change, et on est exposé à un risque thromboembolique, majoré par l’âge, le tabagisme, etc. Et dans ce cas, incontestablement, il faut utiliser la voie percutanée. Nous avons parlé de l’induction au niveau du foie de facteurs de la coagulation parce que le foie est une usine qui produit des substances chimiques qui jouent un rôle dans la coagulation nécessaire à la vie. Sans ces facteurs, nous saignerions à tout bout de champs, comme les hémophiles. Inversement, si ces facteurs sont en excès, il y a un risque thromboembolique. L’ethinylœstradiol par voie orale, même à dose faible, induit un certain degré de résistance à la protéine C activée, ou facteur Leiden, c’est une forme acquise et non pas congénitale. Cependant dans cette forme acquise, l’anomalie reste minime et peu pathogène, comme cela a été étudié chez des transsexuels.

On sait que de plus en plus de personnes vivant avec le VIH souffrent de diabète. L’insuline entre-t-elle dans les bilans hormonaux ?
Près de 50 % des personnes traitées avec des antiprotéases présentent des troubles du métabolisme glucidique à des degrés divers. L’indinavir (Crixivan®) en particulier perturbe la production d’insuline. Les antirétroviraux entraînent un certain degré d’insulino-résistance. Comme son nom l’indique cette résistance fait que l’insuline produite a du mal à agir au niveau des récepteurs. Divers facteurs empêchent son action, notamment l’augmentation des acides gras libres qui provoquent une sorte de lipo-toxicité. L’insuline n’agit pas pour diverses raisons. Il s’en suit dans un premier temps l’augmentation compensatrice de sa production, et dans un second temps, un épuisement aboutissant à un vrai diabète, pour peu qu’il y ait une prédisposition génétique au diabète [4], que l’alimentation soit déséquilibrée, ou que la personne souffre d’une obésité, ait un mode de vie très sédentaire, etc. Tous ces éléments, en s’additionnant, vont finir par laisser émerger un authentique diabète. D’ailleurs, sans aller jusque-là, une simple hyperglycémie modérée, à jeun, est un facteur de risque artériel. Une étude récente a montré que curieusement la femme est plus vulnérable que l’homme sur le plan cardio-vasculaire, si on se base sur cette fameuse hyperglycémie modérée à jeun, qui devient un élément à prendre en compte à part entière. Ce n’est pas tout à fait du diabète, on parle plutôt d’une glycémie un peu élevée entre 1 et 1,26 gramme/litre. On s’est rendu compte que la femme est à risque cardio vasculaire dès 1,05- 1,10g/L alors que, chez l’homme, ce risque n’existe qu’à partir de 1,26 g/L. Les personnes séropositives ont déjà une maladie qui les fragilise donc il faut y être attentif. Dans le cas de diabète, la question ne se pose même pas, il faut traiter de façon efficace. Il faut noter que certains médicaments anti-diabétiques sont intéressants parce qu’ils augmentent la graisse sous-cutanée, ce qui peut être utile dans le cas des lipoatrophies.

Et dans le cas de lipohypertrophie ?
Dans ce cas, les règles hygiéno-diététiques sont indispensables. Si nécessaire on peut faire appel à la chirurgie esthétique (lipoaspiration). Certains médicaments comme le metformine et l’hormone de croissance n’ont pas été validés dans cette indication. Le rimonabant (Acomplia®), en cours de commercialisation, est efficace sur la réduction pondérale. Il est indiqué chez le diabétique obèse (IMC = 30) non équilibré par la monothérapie antidiabétique, mais ses effets secondaires, psychiques et nauséeux sont fréquents.

Cette mauvaise répartition des graisses due aux antirétroviraux est un problème esthétique mais elle a aussi des effets néfastes pour la santé des femmes, puisque c’est le type d’obésité (androïde) qui caractérise les hommes.
Absolument puisque, dès lors que vous avez une accumulation de graisse viscérale, c’est forcément associé à une augmentation de l’insulino-résistance, avec augmentation des acides gras libres et diminution d’une hormone qui s’appelle l’adiponectine, qui a un effet favorable sur le syndrome inflammatoire général du syndrome métabolique et, au contraire, avec augmentation d’autres hormones produites par le tissu adipeux viscéral, qui sont l’interleukine 6, la leptine, le TNF alpha, qui ont un effet pro-inflammatoire. Et l’accumulation des graisses viscérales est très préoccupante.

Il y a les dérèglements métaboliques, mais qu’en est-il de l’état inflammatoire généralisé chez les séropositifs ?
L’état inflammatoire généralisé des personnes séropositives s’additionne à tous les autres facteurs de risques cardio-vasculaires. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans les mesures de prévention, sans oublier les contre-indications au cas par cas selon les traitements antirétroviraux, le profil hématologique, etc. Il s’agit des statines, bêtabloquants, IEC [5], antiplaquettaires, etc.

Beaucoup de personnes vivant avec le VIH ont des neuropathies ? Pouvez-vous nous en parler ?
Il y a plusieurs types de neuropathies. Il y a celles, bien connues chez les diabétiques, que certain antirétroviraux peuvent aussi provoquer par le biais d’une toxicité mitochondriale. La séropositivité elle-même peut en être à l’origine pour des raisons justement d’état inflammatoire généralisé. Concernant le traitement, l’usage de l’uridine et de diverses vitamines, dont le Q10 ou ubiquinone sont en cours de validation. Certain anticomitiaux ont une réelle efficacité sur les douleurs neuropathiques, comme la carbamazépine utilisée depuis longtemps dans la neuropathie diabétique. Dans cette même famille, la prégabaline ou « Lyrica® » est récemment commercialisée et mérite d’être essayée. On peut citer également l’intérêt, surtout chez les diabétiques, de l’acide gammalinoléique, composé essentiel d’huiles d’onagre et de bourrache (complément alimentaire).

On dit que la pilule contraceptive et le tabac ne font pas bon ménage. Pourquoi ?
Quand la pilule arrive au niveau du foie, elle induit la synthèse de protéines pro-coagulantes. Le tabac, c’est pareil. Alors s’il y a un message très fort à faire passer pour les femmes qui prennent la pilule et qui fument, c’est d’arrêter les cigarettes ou alors de choisir. D’autre part, pour les femmes qui sont sous traitement hormonal substitutif, il faut recommander de ne pas boire de l’alcool. Des études américaines ont montré que trois prises d’alcool dans la semaine entraînaient une augmentation du risque de cancer du sein. Chez les femmes sous THS, la prise d’alcool fait passer le taux d’œstradiol de 100 pg/mL à 600 pg/mL pendant plus de 6 heures et ce n’est pas anodin. Car, au niveau cellulaire, l’effet d’une hormone change radicalement selon qu’on est dans des taux physiologiques naturels ou des taux dits pharmacologiques, c’est-à-dire très élevés, et donc à risque.


[11 000 picogrammes : 1 nanogramme / 1 000 nanogrammes : 1 microgramme / 1 000 microgrammes : 1 miligramme soit 1 millième de gramme.

[2Formation d’un caillot sanguin qui peut boucher un vaisseau.

[3THS : Traitement hormonal substitutif.

[4Voir l’article : Diabète et VIH, une addition salée.

[5IEC : Inhibiteurs d’enzyme de conversion.