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18ème arrondissement

honte au PS

vendredi 1er mars 2002

Le 8 décembre 2001 se tenait à la mairie du XVIIIème arrondissement parisien une table ronde intitulée « Toxicomanie et vie de quartier ». Cette rencontre intervenait dans un contexte de fortes crispations sur les questions de consommation de drogues à la Goutte d’or et à Stalingrad. La journée s’est d’ailleurs terminée par la (petite) manifestation d’un collectif d’associations opposées à la présence d’usagers de drogues dans leurs trois arrondissements, les Xème, XVIIIème et XIXème.

La vocation de cette journée était « d’ouvrir largement le débat entre habitants, professionnels et pouvoirs publics » sur les questions liées aux drogues et à la toxicomanie. Dans la salle, 300 à 400 personnes plutôt bien informées et préparées au débat. D’un côté les opposants à la réduction des risques, partisans de la solution policière et d’une guerre totale à la drogue : le Collectif anti-crack de Stalingrad, qui voit dans la réduction des risques une « pétainisation des consciences » ; le Collectif 54 rue Philippe-de-Girard, qui demande la fermeture des boutiques d’accueil bas seuil situées dans la rue du même nom ; Olive 18, qui elle aussi dénonce les principes de la réduction des risques et voudrait depuis longtemps éjecter les usagers de drogues hors du quartier, et d’autres associations encore. De l’autre, outre les professionnels de la réduction des risques engagés sur le terrain dans le quartier (EGO, Charonne, etc.) et des associations ou partis militant sur la question des drogues (l’AFR, Act Up ou les Verts), des associations de riverains également, comme l’association La Chapelle, que l’expérience quotidienne d’une « scène ouverte » de revente et de consommation de drogues a conduit à demander le renforcement des dispositifs de réduction des risques tout de suite, et l’abrogation de la loi de 1970 dès que possible.

Mais un tel débat ne pouvait déboucher sur rien, en l’absence de volonté des politiques. En ouverture de la journée, Nicole Maestracci, après avoir défendu sans ambiguïté les principes d’assistance aux usagers de drogues des politiques de réduction des risques, se défendait d’avoir jamais voulu ouvrir une nouvelle structure d’accueil dans le quartier, contrairement à ce qu’annonçait le Parisien du jour. Intense satisfaction des opposants à la réduction des risques, qui avaient menacé de quitter les lieux face à des initiatives prises « sans concertation préalable ». Et retour du curseur à zéro. Lors des ateliers organisés plus tard dans la matinée, bien trop bondés et de trop courte durée pour que les gens puissent s’y exprimer, match nul entre pro et opposés à la réduction des risques, condamnée faute de perspectives concrètes.

Un peu plus tard, pour conclure la matinée, Bertrand Delanoë, après avoir déporté le débat vers des considérations sur l’urbanisme, mettait la main sur le cœur pour égrener des clichés qu’on croyait oubliés : « moi ma conviction, c’est que la drogue c’est de la merde » ; chacun sait qu’aucun homme ou femme « ne peut vivre dignement dans la dépendance », etc. Colère d’Act Up dans la salle. Honte encore une fois sur le PS – les proches de Bertrand Delanoë eux-mêmes étaient consternés. Petit lait pour les partisans de la solution policière, qui ne se privent pas depuis de citer les propos du maire.

A l’issue la journée, outre l’envie d’aller prendre l’air, on pouvait ainsi retenir trois choses :
 Le débat sur les drogues existe bien en France, la société civile y est déjà bien engagée. Mais les politiques n’en veulent pas ; ils éludent ou ils délèguent. Nicole Maestracci peut ramer pour mettre à niveau les connaissances et la réflexion sur les drogues, les cadres du PS eux-mêmes ne prennent pas le temps d’acquérir le minimum de culture qui leur permettrait de mener une réflexion décente sur la question. Comme sur d’autres sujets (le PaCS en 1998, la sécurité aujourd’hui), ils tablent sur des résistances prêtées d’avance à leur électorat : au lendemain de la parution du dernier rapport OFDT sur les drogues, à la mi-janvier, Fabius jugeait inopportun le débat sur les drogues, puisque déclarait-il « la demande des Français c’est davantage d’autorité de l’Etat » (Libération, 18.01.02).
 Le dispositif de réduction des risques est trop indigne en France pour entamer d’aucune façon la logique et les effets pervers de la prohibition. En juin 1999, dans son plan triennal, la MILDT se proposait d’atteindre le nombre de 5 sleep’in en France d’ici 2001 ; on en est toujours à 2, de trente places chacun. Elle prévoyait de créer 30 équipes mobiles ; il y en a 6 aujourd’hui. Elle devait ouvrir 20 Boutiques en trois ans ; 8 seulement ont vu le jour. La ville de Francfort compte plus d’équipes de rue que Paris, pour une population 6 fois moins importante. La ville de Bâle compte plus de structures d’accueil que Paris, avec seulement 300 000 habitants. Mais le dispositif français ne décollera certainement pas, tant qu’aucun engagement sérieux ne sera pris par les politiques, en faveur d’une nouvelle politique des drogues.
 On peut dans ces conditions continuer de polariser le débat sur l’opposition caricaturale « drogués »/« riverains », rien ne s’y oppose. La misère, la déchéance, le mal, « la drogue » d’un côté ; des riverains ulcérés par l’« immoralité des dealers » et le « laxisme policier » de l’autre. Sans doute la précarité dans laquelle se trouvent certains usagers de drogues est-elle flagrante, et la dépendance à certains produits participe-t-elle à aggraver leur situation. Et on peut comprendre la colère qui anime certains habitants, face à la souffrance et à la misère dont ils sont témoins, ou à la violence qu’elles génèrent.

Mais la focalisation des colères sur « la drogue » est une erreur, on le sait bien. Le problème de Barbès ou de Stalingrad ce n’est pas la drogue, c’est le cumul de la misère avec des produits plus ou moins brutaux (le crack, par exemple), le marché noir et la répression. On peut bien opposer le malheur des uns au malheur des autres, cela évite toujours de poser les vraies questions.

On ne le répétera jamais assez, il y a urgence à changer radicalement de système. Réduire les risques liés à la consommation de drogues, apaiser les problèmes dans les quartiers les plus en difficulté aujourd’hui, c’est d’abord légaliser les drogues, toutes les drogues. Les sortir du marché noir ; soustraire le problème à sa gestion policière ; faire en sorte que les produits de coupe ne soient pas plus dangereux que les psychotropes eux-mêmes ; dédramatiser la consommation de façon à favoriser la circulation d’une information précise et fiable, et à permettre une éducation à leur usage ; diversifier les dispositifs d’accueil et d’information, pour les usagers de psychotropes qui auraient besoin de conseils, de soins ou d’aide pour décrocher. La loi de 1970 ne protège pas des dangers liés aux produits psychotropes. Elle en rajoute et elle les aggrave.