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Une journée d’« arrivisme »

vendredi 16 juillet 2004

Mercredi 14 juillet - Imaginez un des stands les plus obscènes de la conférence (certes, ils le sont tous). De la moquette bleue, des cloisons marrons, des chaises et tables design, des hôtesses impeccables, des gadgets à foison, comme un éventail, des publicités vantant les mérites des médicaments de la firme, qui n’hésitent pas à parler de « potent suppression of the HIV » [1]. Ce stand, c’est celui de Gilead.

Ce matin, nous nous sommes chargés de rendre le stand beaucoup plus sympathique. Après une marche silencieuse dans le hall des stands, nous sommes 40 à faire un die-in, obligeant les gens à sortir. Nous finissons de nous approprier le lieu par des slogans (« Gilead prefers us HIV positive » [2]), des prises de parole, en anglais et en thaï, devant les médias et le public amassés. L’action vise à dénoncer la politique de Gilead : les essais inéthiques menés sur des travailleurSEs du sexe, le refus d’adapter ses médicaments pour les enfants, le refus d’inscrire le ténofovir (Viread®) auprès des administrations de nombreux pays, comme la Thaïlande, enfin le prix auquel les traitements sont vendus. Des Thaïs, avec qui nous nous entendons de mieux en mieux, des Américains, dont l’inénarrable Amanda, qui parle français et qui est capable de rythmer haut et fort un slogan pendant des heures sans porte-voix, nous accompagnent dans notre action.

Comme un voleur

Le stand devient celui des activistes : on s’y réunit (improvisation d’une Répi [3] sur le ténofovir (Viread®), où Fabrice de la commission Traitements & Recherche explique en français à Khalil de la commission Nord/Sud qui traduit en anglais à Gylia qui traduit en thaï ; bref un moment incroyable), on y reçoit les journalistes, on y vend les tee-shirts des uns et des autres, on distribue nos revues, etc. Le succès est assuré. Au bout d’une heure et demi, il faut déjà plier bagage, car une nouvelle action va avoir lieu.

Vous vous souvenez de Tobias, que nous avions rencontré lundi ? Ce type est une aberration. Il tenait un discours au cours d’une plénière, et il n’était pas question de le laisser parler. Les activistes sont donc entréEs sans trop de problèmes, ont hurlé des slogans, sorti les pancartes « He’s lying » [4] (photo ci-contre. Des photos de cette action sont également disponibles dans le portfolio). Certains d’entre nous n’ont vu la scène que du media center ; la retranscription était coupée de temps en temps — sans doute le temps que les officiels se rendent compte que cette censure les desservaient. Joep Lange, président de l’IAS, a tenté de « calmer le jeu » en rappelant les règles de bonne conduite. Tobias est allé se rasseoir après avoir montré son visage enragé à l’écran (il fait une moue monstrueuse quand il est énervé). Ce n’est qu’après quinze minutes d’interruption qu’il a pu sortir ses inepties habituelles, commentées à voix haute par les activistes. L’ambassadeur américain auprès du Fonds mondial est ensuite parti comme un voleur. Les manifestants sont sortis pour rejoindre le media center.

Il a fallu ensuite se rendre à la manifestation organisée par le réseau des usagerEs de drogues thaïlandais, qui nous ont offert leurs tee-shirts sur lequel était inscrit « Clean Needles, Methadone, ARV, no more drug war » [5], ce qui a servi de base au slogan que nous avons ensuite scandé (et ce n’est pas facile). La manifestation s’est terminée par une distribution de seringues et un rassemblement devant le stand des institutions internationales pour exiger que la politique de réduction des risques (RDR) fasse l’objet d’un soutien massif de leur part.

Chirac a-t-il parlé du sida ?

En dehors de ces grands événements — la journée n’est pas finie — il faut parler des petits à côtés, de toutes ces anecdotes qui font le sel d’une conférence. Ainsi, nous avons appris que le décidément exquis J. Lange avait affirmé en plénière que « si les subventions américaines à la lutte contre le sida avaient diminué, c’était à cause des manifestations activistes lors de la conférence de Barcelone » en 2002. S’il en était encore besoin, cela donne une haute idée de l’organisateur des conférences internationales sur le sida. Par ailleurs, un journaliste allemand, parlant français, nous racontait qu’hier, après le zap de Darcos, il s’est assis à côté du ministre et d’un conseiller en communication. Ce dernier lui a demandé s’il n’était pas trop difficile d’affronter les activistes. « Vous voulez dire les arrivistes ? » lui a répondu Darcos. Aujourd’hui, c’est le 14 juillet, impossible de savoir si Chirac a parlé du sida dans son interview. Quelle angoisse !


[1« élimination efficace du vih »

[2« Gilead nous préfère séropositifVEs »

[4« il ment »

[5« Des seringues propres, de la méthadone, des antirétroviraux, cessez la guerre contre la drogue »