Accueil > L’association > Conférences : ce qu’ils et elles ont dit > Quand le VIH monte à la tête

CROI 2009

Quand le VIH monte à la tête

mars 2009

Un des derniers symposiums programmés à la CROI avait pour sujet les complications à long terme autres que les manifestations du stade sida. Le programme n’était pas franchement réjouissant à la lecture des titres des quatre présentations : cancer, ostéoporose, atteintes rénales et enfin, pour nous achever, une synthèse par Scott Letendre de l’université de Californie à San Diego sur les complications neurocognitives dues au VIH présent dans le cerveau.

Les processus neurocognitifs englobent le fonctionnement du cerveau en relation avec, par exemple, le langage ou le processus de mémorisation. Trois types de complications sont distinguées : une forme sans symptômes manifestes d’atteinte neurocognitive (la plus commune appelée officiellement déficit neuropsychologique asymptomatique), une forme avec troubles neurocognitifs légers et enfin une forme affublée du nom de démence associée au VIH. L’orateur précise que leur manifestation n’est pas la conséquence d’une cause antérieure à l’infection et qu’elles ne sont pas associées à un délire. Pour chaque type, il y a acquisition d’au moins deux déficits dans les capacités cognitives et si la première forme n’affecte pas la vie de tous les jours, les suivantes l’affectent modérément ou de façon marquée, respectivement.

Etat des lieux d’après deux études américaines

CHARTER (acronyme anglais pour recherche sur les effets de la thérapie antirétrovirale contre le VIH au niveau du système nerveux central, soit ‘CNS HIV Antiretroviral Therapy Effects Research). D’emblée, Scott Letendre nous assène que ces complications sont communes. C’est ce que nous apprend l’étude CHARTER, présentée le matin du même jour en session orale de posters par Igor Grant (abstract 154). Cette étude porte sur environ 1 600 personnes séropositives à différents niveaux d’avancement de l’infection et aux parcours thérapeutiques variés. Quelques petites précisions : l’âge moyen est de 43 ans environ. Le pourcentage de femmes incluses est de 23 %. La proportion de personnes usagères de drogues est de 28 % et celle d’homosexuels de 58 %. Les personnes participant à cette étude ont passé un test de performance neuropsychologique globale. En comparant leurs résultats à ceux d’un groupe de personnes non infectées par le VIH et présentant les mêmes caractéristiques (âge, éducation, origine ethnique), il ressort que 53 % d’entre elles présentent un déficit neurocognitif – léger pour 21 %, léger à modéré pour 20%, modéré pour 10 %, modéré à grave pour 2 % et grave pour moins de 1 %. Même en retirant de l’analyse les personnes avec un historique de traumatisme ou de déficit d’apprentissage, le chiffre reste de 46 %. Pour les 53 % de personnes affectées, les principales capacités cognitives altérées sont les suivantes : apprentissage chez 70 % des personnes, fonctions exécutives chez 60 %, mémoire chez 60 %, mémoire associée au travail chez 50 % ; en ce qui concerne les capacités à traiter l’information, des déficits ont été constatés au niveau moteur chez 45 %, vitesse chez 35 % et verbal chez 30 % environ. Si l’on revient à la classification initiale, 26 % présentaient la forme asymptomatique (mais révélée par les tests), 10 % la forme légère et 2 % la forme dite de démence associée au VIH. Les 15 % manquants pour arriver à 53 % correspondaient aux personnes ayant des troubles neurocognitifs dus à d’autres causes et que les auteurEs de l’étude n’ont donc pu associer au VIH. Ces causes peuvent être par exemple une autre pathologie grave comme le diabète, des complications vasculaires affectant le cerveau, un historique d’épisodes épileptiques, d’accident cérébral ou d’infection cérébrale, voire l’usage récent de drogues.

ALLRT (pour ACTG (AIDS clinical trials group) longitudinal linked randomized trials). Scott Letendre cite aussi les résultats d’un autre suivi américain confirmant les observations de l’étude CHARTER quant à la prévalence de déficits neurocognitifs légers à modérés. En l’occurrence, il s’agit d’une étude longitudinale de cohorte, baptisée ALLRT et regroupant des personnes participant à des essais cliniques. Malgré la prise d’antirétroviraux pour au moins vingt semaines et le fait que les personnes participant à des essais cliniques présentent a priori de bonnes capacités fonctionnelles, cette étude révèle qu’au départ 39 % des 1 160 personnes recrutées présentent des déficits neurocognitifs – évalués comme léger à modéré pour 26 % – et que ce chiffre passe à 22 % lors des visites ultérieures de suivi. De façon surprenante, 21 % des personnes ne présentant pas de déficit au recrutement dans les essais cliniques en présentent lors de visite ultérieure. Cela porte donc à 43 % le nombre de personnes affectées durablement ou nouvellement affectées malgré la prise de traitements antirétroviraux.

Neurosigma. Dans les études précédentes, il ne s’agissait pas nécessairement de personnes âgées. Jacques Gasnault a présenté sous forme d’affiche (numéro CROI 459) ce qui ressort du suivi neurocognitif de 37 personnes âges de 60 ans et plus (étude Neurosigma). Après évaluation rapide et malgré l’efficacité de leur traitement, 18 personnes (49 %) présentaient un déficit neurocognitif. L’auteur conclut que l’apparition de ces déficits est plus fréquente chez les personnes séropositives âgées que dans la population générale vieillissante et qu’elle est de plus sous diagnostiquée. Le détail de cette étude ainsi qu’une revue plus générale du problème des déficits neurocognitifs est aussi accessible sur notre site dans la rubrique des comptes-rendus de réunion publique d’information. En effet, Jacques Gasnault faisait partie de nos invités lors de cette 73ème RéPI du 18 février dernier, intitulée « VIH - nous vieillirons ensemble ».

Une barrière efficace

Pourquoi les traitements ne permettent-ils pas de juguler ces désordres neurocognitifs dus au VIH ? La réponse à cette question est l’insuffisante pénétration de certains antirétroviraux dans le cerveau. Une barrière physique entre la circulation sanguine dans le cerveau et celle du reste du corps humain – appelée barrière hémato-encéphalique – permet d’éviter d’exposer le cerveau à tout un ensemble d’agents véhiculés par le sang, entre autres grâce à un système d’expulsion de molécules extérieures comme les médicaments. Certains médicaments seront reconnus par ce système et d’autres non, leur permettant alors de pénétrer dans le cerveau. Il est possible d’estimer la concentration en antirétroviral dans le cerveau en effectuant ce que l’on appelle un prélèvement de liquide céphalorachidien. Il s’agit du liquide qui baigne le cerveau et que l’on retrouve en continuité au niveau de la moelle épinière. Grâce à une ponction lombaire, il est possible d’effectuer des dosages (antirétroviraux et charge virale) au niveau du liquide céphalorachidien. Ce n’est pas franchement un geste de routine comme une prise de sang et l’orateur a raison de saluer au passage les 500 à 600 volontaires par an de l’étude CHARTER, soit 80 % des personnes suivies, qui ont accepté de subir une telle ponction lombaire. Il ressort de ces analyses que la charge virale dans le liquide céphalorachidien est plus élevée que dans le sang chez 12,5 % des personnes non traitées. Ce pourcentage descend à 3 % chez les personnes traitées. La persistance d’une charge virale dans le cerveau est observée chez 41 % des personnes traitées, ainsi que le montre aussi un travail rapporté sous forme d’affiche (numéro CROI 484b) portant sur 300 personnes de l’étude. Il y a un lien entre cette observation et le fait d’utiliser des antirétroviraux avec un profil de pénétration cérébrale plutôt mauvais. Au passage, la comparaison de prélèvements couplés réalisés dans le sang et le liquide céphalorachidien pour 100 personnes de l’étude montre une charge virale détectable au niveau cérébral alors que la charge virale sanguine est indétectable.

Facteurs de risque

Le rapport 2008 pour la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH précise les facteurs de risque associés à l’émergence de troubles neurocognitifs. Côté facteurs non modifiables, il y a le fait d’avoir plus de 50 ans et ce que l’on appelle le polymorphisme génétique (de petites variations de séquence dans nos gènes, d’une personne à une autre, confère une susceptibilité accrue ou décrue pour un caractère particulier). Côté comportement, l’usage de drogues ou d’alcool est un risque avéré. Certains éléments de notre état de santé, en rapport ou non avec le VIH, sont aussi associés à un risque de développer des troubles neurocognitifs : insulino-résistance, stade d’avancement dans la pathologie sida (stade C), nadir des CD4. Côté viral, on compte parmi les risques la durée d’infection par le VIH, le fait qu’elle ne soit pas contrôlée et, enfin, la co-infection par le virus de l’hépatite C.

Quelle incidence sur la prise en charge ?

A la CROI, Scott Letendre résume l’approche clinique qui se décline sous trois axes : un état des lieux par le biais d’un questionnaire, d’un examen physique, de quelques tests rapides et d’un dosage de biomarqueurs sanguins ; un diagnostic étayé par des évaluations de performance neurocognitive plus approfondies, par le dosage de biomarqueurs au niveau du liquide céphalorachidien cette fois et par une approche d’imagerie cérébrale ; un traitement à base de combinaison antirétrovirale optimisée, de thérapie additionnelle et de mesures de soutien.

Dans la dernière édition (2008) du rapport pour la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH, le groupe d’expertEs recommande de dépister les troubles neurocognitifs dans plusieurs cas : alerte par les proches d’un trouble manifeste, plaintes concernant la mémoire, difficultés d’organisation dans la vie quotidienne ou professionnelle. Ceci nous concerne à partir de 50 ans ou en cas de co-infection VHC, mais aussi en cas d’échec inexpliqué du traitement antirétroviral de première intention – une explication plausible est alors une mauvaise observance dont nous ne nous rendrions pas compte du fait d’un déficit neurocognitif. Concrètement, toujours selon les expertEs, une première série de questions visera à identifier d’éventuels facteurs autres que le VIH (signes de dépression, consommation d’alcool ou usage de drogues, autres maladies) et un dépistage par tests – qui permettra d’orienter vers une consultation spécialisée si nécessaire – peut être effectué en moins de vingt minutes en consultation par unE clinicienNE non neurologue. Ces tests (les cinq mots de Dubois ou la batterie rapide d’efficience frontale) sont présentés en annexe du chapitre 7 sur les complications associées au VIH et aux traitements antirétroviraux, pages 129 à 131. Combien sommes-nous à avoir « bénéficié » de cette évaluation lors d’une consultation ?