Accueil > Droits Sociaux > C.M.U

C.M.U

couverture médicale universelle

mai 1999

Au départ, l’idée d’une couverture médicale universelle, juste, indispensable et urgente. A l’arrivée, un projet de loi bancal, discriminant, ouvrant la voie aux compagnies d’assurance, nouveaux acteurs de la solidarité nationale, leur offrant sur un plateau cette Sécu. que tout le monde enterre. Voilà la C.M.U. que le gouvernement fait passer pour une des plus grandes avancées sociales de ces dernières années. Il y a pourtant fort à parier, si ce projet est adopté en l’état, que notre système de couverture santé ne vaudra bientôt guère mieux que celui qui prévaut en Angleterre. Et les plus démunis, qu’on aura ainsi utilisés, n’en seront que davantage soumis à un contrôle sanitaire et social orchestré par des assureurs les assignant à la « responsabilité », c’est à dire les restreignant à des soins « rentables ».

1er temps : Boulard ou la mystique des mutuelles

Le gouvernement demande à M. Boulard, député socialiste, un rapport sur un projet de couverture médicale universelle. Pour les personnes à faible revenu (dont le revenu est inférieur à un certain seuil, mais aussi ayant une résidence « stable et régulière »), il est partisan de substituer le régime général à l’Aide Médicale, les mutuelles assumant une couverture complémentaire. M. Boulard est convaincu du rôle éminemment social des mutuelles mais surtout leur assure ainsi le maintien d’un statut mis en danger par les accords européens.

Nous avons immédiatement condamné cette option qui livre une part de la prise en charge santé à des organismes non publics, et dénoncé :
 l’exclusion des « sans papiers » de ce système (M. Boulard proposant que, pour ceux-ci, l’Aide Médicale d’Etat reste en place),
 le risque clair d’effet de seuil ;
 la tendance naturelle des mutuelles serait de mettre progressivement en place un système de restriction des soins.
Un projet expérimental mené dans les Bouches-du-Rhône a d’ailleurs été révélateur sur ce dernier point : après un an, la mutuelle rechignait à prendre en charge le forfait hospitalier et remettait au Département une liste des « pauvres » trop dépensiers.

A la sortie du rapport Boulard, les mutuelles affichaient clairement leur peu d’enthousiasme, indiquant que des bilans réguliers de rentabilité financière de l’expérience seraient indispensables.

2nd temps : « mieux » que Boulard, les compagnies d’assurance

Après diverses négociations, rencontres et tergiversations, le gouvernement sort le projet actuel. Le projet de loi prévoit - au bénéfice des personnes répondant à une condition de ressources - la prise en charge du ticket modérateur et du forfait journalier, ainsi que les modalités de remboursement adaptées pour les prothèses (notamment en matière dentaire et optique). Ce droit sera assorti de la dispense d’avance de frais. Les bénéficiaires auront le choix entre une prestation, servie pour le compte de l’Etat, soit par les caisses d’assurance maladie, soit par l’adhésion à une mutuelle ou la souscription d’un contrat auprès d’une institution de prévoyance ou d’une société d’assurance.
La donne a changé : les assurances sont intégrées au projet.

3ème temps : CNAM, assurances et mutuelles arrangent le projet à leur sauce

Le jour même où la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) accepte de donner son accord à ce projet de loi, elle signe un protocole avec la Mutualité Française et la Fédération Française des Sociétés d’Assurance. Avec ce protocole les trois organismes affichent clairement leur intention de ne pas respecter la loi, puisqu’ils affirment :

 que la CNAM n’a pas vocation à être en concurrence avec les organismes gestionnaires des régimes complémentaires ;
 qu’il appartient aux organismes complémentaires de proposer aux bénéficiaires la protection complémentaire associée à la CMU ;
 que les Caisses d’Assurance Maladie n’offriront cette prestation qu’en cas de carence constatée des organismes complémentaires ;
 que la maîtrise des coûts est l’objectif majeur de cette réforme ;
 que les institutions signataires élaboreront une définition révisable périodiquement de l’ensemble des biens et des services remboursables à raison de leur utilité médicale.

La mainmise des assurances sur le système de couverture santé s’organise donc avec la complicité de la CNAM. Le régime général ne récupérerait que les « indésirables » et les compagnies privées élaborent doucement leur liste de maladies « honorables ».

4ème temps : les « regrets » d’Aubry

Mme la Ministre dénonce le protocole, se sent « trahie » puis déclare devant la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale : « ... j’aurais préféré que nous puissions faire un scénario ne comprenant que mutuelles et assureurs, mais le gouvernement n’est pas opposé à ce qu’au bout d’un an ou 18 mois, on fasse un bilan et que nous généralisions ce scénario. » Le seul regret d’Aubry, c’est donc qu’il demeure un peu de régime général dans cette affaire...

Pendant ce temps, les assurances se préparent :
AXA a déjà mis en place son projet de prise en charge au premier franc des dépenses de santé. Avec son réseau de médecins et sa propre définition des services remboursables, la compagnie d’assurance lance des promesses démagogiques de prise en charge et permet à quiconque d’entrer dans le réseau à partir du moment où son médecin traitant se plie aux conditions dictées.

AGF propose aux malades de dénoncer leur dentiste, « négocie » des rabais et empoche les adhésions. Voilà un nouveau rôle d’acteur social.
Johanet, un proche d’Aubry, élabore pour la CNAM un plan stratégique qui n’a qu’un seul but : réduire les dépenses de santé. Ce plan est dans la droite ligne du protocole d’accord évoqué plus haut.

L’évolution, dans les prochains mois, de cette « sécurité sociale du pauvre » semble claire :
 au guichet unique de la CPAM, on orientera les gens vers les mutuelles et les assurances, et non vers le régime général. Certes, les travailleurs sociaux pourront aider les nouveaux assurés dans leurs démarches, mais qui croit vraiment à leur pouvoir face au déferlement marketing du privé, en complicité avec la CNAM ?
 les assurances et les mutuelles se feront tout d’abord séduisantes afin d’attirer un maximum de gens.
 une fois le système bétonné par leurs soins, et après une première évaluation concrète du surcoût, les révisions commenceront, réduisant la liste des soins remboursés. Le contrôle social allant de pair se mettra en place.
 le système se généralisera et la couverture complémentaire sera transféré au privé.
 les mutuelles et les assurances empiéteront de façon progressive et croissante sur la couverture générale. L’investissement sur les plus démunis commencera à payer.

Mais il est encore temps d’intervenir :
 pour que les « sans papiers » ne soient pas relégués hors d’un système de soin digne de ce nom ;
 pour que les biens et services remboursables fassent l’objet d’une liste impossible à restreindre ;
 pour que le candidat à la C.M.U. ne fasse pas l’objet d’une propagande de la part conjointe des assurances et des CPAM ;
 pour que le choix régime général/privé soit maintenu ;
 pour qu’un maximum de personnes exigent d’être prises en charge par le régime général.