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CMU gare aux décrets

décembre 1999

Le projet de loi de la Couverture Médicale Universelle (CMU), adopté en juillet, va maintenant faire l’objet de décrets d’application. Le système de la CMU devrait entrer en vigueur au printemps 2000 dans des conditions qu’il est encore difficile d’envisager tant la marge de manœuvre laissée au gouvernement est importante. Mais, une chose est sûre, loin de faciliter l’accès aux soins des personnes les plus pauvres, la CMU va créer encore plus d’inégalités.

L’application de la CMU s’accompagne d’un contrôle social accru totalement incompatible avec une volonté d’ouvrir les soins à tous. Comment peut-on appeler universel un régime qui exclut tous les étrangers sans-papiers, et les renvoit à un système d’Aide Médicale d’Etat insuffisant et arbitraire ? La majorité des sans-papiers restera condamnée à ne bénéficier de soins médical qu’en cas d’extrême urgence.

De même, l’accès à la CMU est liée à des conditions de domiciliation : il faut justifier d’une adresse fixe de trois mois au moins. Les personnes sans-domicile, ou qui changent souvent de logement, sont donc dans l’obligation de se faire domicilier auprès d’une association agréée, ou de renoncer à l’accès aux soins.

Contrôle social, toujours, puisque ce sont les assurances et les mutuelles qui géreront la santé des précaires dans leur immense majorité. Or, on sait le peu de cas que les médecins-conseils de ces groupes font du secret médical. On connaît aussi la pratique des compagnies d’assurance consistant à sélection par les risques, pratique systématique dès qu’il s’agit de personnes séropositives.

Quelles garanties avons-nous que, d’ici un an, lorsque les modalités d’application seront renégociées, Martine Aubry empêchera ces groupes d’intégrer à la CMU ce type de pratiques, de sélectionner les " bons " malades des " mauvais ", ceux qu’on rembourse ou non ?

Le plafond de ressources au-dessus duquel une personne devra cotiser pour obtenir des remboursements intégraux sera a priori fixé à 3 500 francs par mois. Que va-t-il se passer pour les bénéficiaires de l’AAH (3 540 francs par mois) ? Pour les malades du sida qui touchent l’AAH, va-t-on passer d’un système où la prise en charge est gratuite (grâce au 100 % de l’affection longue durée), à un régime payant ? Le minimum aurait été de fixer ce plafond à 3 800 francs, le seuil de pauvreté, et d’établir des cotisations progressives jusqu’au plafonnement du SMIC. Mais le gouvernement raisonne en termes budgétaires et non en termes de santé publique.

Par ailleurs, les CPAM ont catégoriquement refusé que ces ressources soient calculées sur les douze derniers mois. Le système utilisé reste celui des administrations : la prise en compte des ressources sur l’année civile précédente ; ce qui n’est pas adaptés aux conditions matérielles instables des plus précaires. La raison en est simple : les CPAM ne sont motivées que par la suspicion et la peur de la fraude.

Des décrets fixeront l’ensemble des prestations remboursées par le régime de la CMU, et le coût prévisionnel du remboursement des soins d’une personne sur un an (c’est ce qu’on appelle le panier de biens et de services). Des estimations laissent penser qu’un forfait moyen d’environ 1 500 francs payé par l’Etat permettra l’accès à tous les soins pour les usagers.

Pourtant, les mutuelles, les assurances, mais aussi les caisses d’assurance-maladie font pression pour restreindre ce panier et en exclure les soins les plus coûteux : il resterait ainsi au malade une charge importante à payer qui l’empêchera vraisemblablement de recourir à des soins coûteux (lunettes, soins dentaires, par exemple). Autant de prestations que ces organismes n’auront donc pas à rembourser alors qu’ils auront touché le montant du forfait par individus.

La CMU ne permettra pas l’accès aux soins des plus pauvres ; elle ne sera qu’une voie d’accès à la sécurité sociale pour les assurances.

Si le projet de la CMU tel que nous le connaissons actuellement est déjà en soi scandaleux, sa mise en place a toutes les chances d’être une véritable catastrophe.
Comment va se faire le relais entre le système actuel de prise en charge des précaires (Aide Médicale Gratuite, carte Paris-Santé, par exemple) et la CMU ? Nous n’avons aucune assurance de la fonctionnalité de ce nouveau régime au moment où les anciennes prestations s’arrêteront : les conseils généraux, qui financent l’AMG, n’ont pas prévu de budget spécifique pour l’an 2000.

Droit des étrangers, conditions de ressources et de domiciliation, nature des prestations, secret médical, application pratique : les malades devront se battre sur tous les fronts pour éviter qu’avec les décrets d’application la CMU ne deviennent définitivement un système d’exclusion des plus pauvres.