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Protocoles 67-68 - 30 ans de sida

recherche et mobilisation le plus dur est-il derrière nous  ?

retour sur la RéPI du 22/06/11

samedi 1er octobre 2011

Le 5 juin 1981, le Centre de contrôle des maladies (CDC) d’Atlanta (Etats-Unis) publie une note sur la découverte de symptômes communs chez un certain nombre de personnes à Los Angeles. C’est le début de l’histoire qui nous réunit depuis 30 ans. 30 ans de sida. Peut-on se dire aujourd’hui que ça va aller mieux ? Ou se laisser aller à une fatalité plus sombre, se dire qu’on a peut-être pas vu le pire » ? Retour sur la Répi du 22 juin 2011, où nous avions invité Christophe Martet et Willy Rozenbaum.

Comment cela a-t-il commencé ?

Willy Rozenbaum, premier médecin en France à s’être intéressé au sida et aujourd’hui Président du Conseil National du Sida :

Pour moi, ça a commencé le 7 juin 1981, lorsque j’ai reçu le Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) du CDC d’Atlanta qui signalait les premiers cas de patients souffrant de déficits immunitaires d’origine inconnue. L’augmentation inhabituelle de pneumocystoses chez les hommes homosexuels avait donné l’alerte. Dès le mois d’août, il y avait 240 cas décrits et on savait déjà que 10% n’étaient pas homosexuels. La définition de l’époque : une infection opportuniste ou une tumeur (syndrome de Kaposi), survenant chez une personne qui n’avait aucune cause connue de déficit immunitaire.

Il a fallu attendre fin 1981 pour faire le lien avec les usagers de drogues, et début 1982 celui avec les transfusés et les hémophiles. Dès le début 1982, il y avait deux grandes hypothèses. La première, celle d’un produit toxique, puisque les déficits immunitaires acquis sont souvent la conséquence de toxicité chimique ou physique. La seconde, celle d’un agent transmissible par voix sexuelle ou par voix sanguine.

Deux éléments ont fait que je me suis intéressé au sujet : j’ai lu ce MMWR et, l’après-midi même, je recevais un patient - qui affichait ouvertement son homosexualité - qui toussait, avait de la fièvre : exactement ce qui était décrit dans ce journal. Il a fallu une quinzaine de jours pour diagnostiquer ce patient. Il avait effectivement une pneumocystose pulmonaire. J’ai commencé à en parler autour de moi, et tout le monde trouvait que j’avais des drôles de fantasmes autour de l’homosexualité. Pourtant je pensais que ça n’avait pas obligatoirement quelque chose à voir, que c’était avant tout un problème médical. Puis on a identifié cinq personnes - dont deux femmes - qui pouvaient avoir été atteintes par la même maladie. Cette maladie inconnue existait donc en France. Il y a eu une publication dans le New England of Medicine, mais personne ne considérait que ça pouvait être important. J’ai donc voulu mettre en place un système de surveillance épidémiologique, car la déclaration obligatoire des maladies transmissibles était peu performante. Il fallait un système qui permettrait à la fois de récolter de l’information, de la traiter et de la diffuser, afin de faire connaître ce qui se passait et de commencer des travaux de recherche sur l’origine virale, déjà soupçonnée.

Un groupe de travail s’est donc créé. Le cytomégalovirus donnait des symptômes similaires, était lui-même responsable de déficits immunitaires, mais transitoires. On imaginait alors qu’il puisse y avoir une mutation de ce virus et qu’il serait devenu plus agressif. Mais on n’avait pas les outils biologiques qu’on a actuellement pour différencier des souches virales, donc pas la capacité de regarder son génome rapidement. C’est à partir d’août que l’hypothèse d’un rétrovirus a été évoquée dans un journal de vulgarisation médicale. En novembre, on a eu des résultats plutôt décevants de l’équipe de Gallo qui cherchait un rétrovirus appelé HTLV, identifié chez l’homme deux ans auparavant. Seuls deux patients étaient positifs à ce rétrovirus sur les trente premiers qu’il avait explorés. J’ai eu une idée assez saugrenue, qui était de dire : « il faut peut-être chercher avant le malade », car on avait déjà identifié un syndrome qui semblait être initiateur d’une maladie grave qu’on appelait à l’époque sida, caractérisé par l’apparition de ganglions.

J’ai donc cherché dans les ganglions, j’ai retrouvé l’équipe de Montagné à Pasteur qui travaillait sur les rétrovirus et j’ai fait faire des biopsies ganglionnaires à tous mes patients. Le 4 décembre 1983, la biopsie d’un patient est partie à Pasteur et vous connaissez la suite... l’hypothèse qu’on pouvait découvrir des choses dans les ganglions a porté ses fruits.
Tout cela s’est fait dans des délais extrêmement rapides et rien n’aurait été possible sans l’absence de préjugés d’un certain nombre de personnes, comme le groupe avec lequel je travaillais. Ca m’a même valu d’être viré de l’hôpital dans lequel je me trouvais à l’époque parce qu’on considérait qu’il n’était pas fait pour la population qui s’y présentait…

Dès le début, il y a eu dans ce groupe des personnes représentantes des personnes touchées (Association des médecins gays, Vaincre le sida…). Et c’est la multidisciplinarité qui a été déterminante dans cette découverte, au-delà des compétences particulières de l’un ou l’autre. Ce n’est pas parce certaines personnes ont été mises en avant pour la découverte du virus que pour autant cette découverte permettait d’aller au-delà. Il a fallu démontrer que le virus était réellement responsable de la maladie, faire des enquêtes dans les populations touchées, exposées à la maladie, tester et rechercher le virus. On ne s’intéressait pas simplement à l’aspect technique de la maladie, mais au patient dans sa globalité. C’est à partir de cette multidisciplinarité que nous avons pu construire une réponse un peu plus globale. Cette spécificité s’est construite autour du sida. Je ne suis pas sûr qu’elle soit maintenue aujourd’hui, qu’on aie valorisé suffisamment cet enseignement très riche, malgré tous les drames que nous avons vécus. On a enrichi l’expérience humaine, mais on n’a pas suffisamment transmis le fonctionnement, car c’est là que le concept de démocratie sanitaire s’est imposé. Quand on regarde ce qui se passe aujourd’hui face au sida et sa prise en charge globale, ce concept de multidisciplinarité et de transversalité s’est perdu. Il y a des gens qui font des essais thérapeutiques, d’autres des sciences sociales, des actions de terrain, mais tout ça ne communique pas. Chacun s’est de nouveau spécialisé dans son domaine et il y a peu de réflexion globale autour de la maladie. C’est assez banal dans l’histoire des sociétés, mais j’espère qu’on pourra un jour se réapproprier l’ensemble de ces concepts.

Après la découverte du virus, ça a été la mise au point d’un test diagnostic. Les gens oublient qu’initialement, l’étendue de l’épidémie était relativement peu appréciable. On n’avait que des visions transversales sur des critères uniquement cliniques au moment où la maladie se manifestait physiquement. Pour refaire l’histoire naturelle de la maladie et essayer d’apprécier son étendue ce n’était pas facile. Le test, c’est en 1985 et il a fallu attendre que des enquêtes épidémiologiques se mettent en place (1986-87-88) pour se rendre compte qu’à chaque cas de sida correspondait au moins une dizaine de cas de personnes contaminées par le VIH. La partie immergée de l’iceberg était encore beaucoup plus importante qu’on ne l’imaginait.

On a dit beaucoup de bêtises à l’époque, on était dans une double contrainte : il fallait alerter parce qu’on observait une augmentation exponentielle du nombre de cas de ce qu’on appelait le sida, la forme avancée de la maladie, et il fallait rassurer parce qu’à chaque fois qu’on annonçait un diagnostic de séropositivité, les gens entendaient “sida” et se voyaient condamnés à mort dans des délais très brefs. On avait à gérer cette émotion qui aujourd’hui est retombée complètement. L’annonce de la séropositivité en 1985-87-88 et aujourd’hui, ça n’a rien à voir. C’était annoncer la mort à court terme. Ca m’est arrivé de dire qu’on pouvait être séropositif sans jamais avoir le sida et il a fallu attendre longtemps pour savoir que finalement, ce n’était pas tout à fait vrai : que des malades pouvaient arriver au stade sida très rapidement et d’autres en beaucoup plus de temps mais qu’au bout du compte la dégradation était inéluctable. Il a fallu attendre 1994-95 et même aujourd’hui on continue à dire qu’il y a peut-être 5% des gens qui éviteraient de passer à un stade de maladie clinique mais quand on suit ces 5% au cours du temps on s’aperçoit qu’on en perd à chaque fois.

Les premiers traitements. En 1985, c’était un produit qu’on appelait la HP23, puis ça a été la suramine qui était carrément toxique, sur des bases biologiques extrêmement fragiles. Mais on était dans une situation où les gens allaient très mal et in vitro, ces produits semblaient tuer le virus. Il a fallu attendre 1986-87 pour s’apercevoir que c’était parce qu’ils tuaient les cellules qu’ils tuaient le virus. L’AZT a été construit en 1986 sur les échecs de l’HP23. Au bout de six mois, on s’est aperçu qu’il y avait eu 19 décès dans le bras placebo et 6 dans le bras traité. L’essai a été interrompu sous la pression des associations comme Act Up New-York qui traité le laboratoire Welcome d’assassin en dénonçant que 19 personnes étaient mortes de façon illégitime. Il a donc fallu attendre les cohortes mises en place pour traiter les patients et les essais Concorde et des Vétérans, dont on a eu les résultats qu’en 1992. La première cohorte à Claude Bernard avait montré une légère suspicion sur l’effet transitoire de l’AZT, mais pour que ce soit accepté par la communauté, il a fallu les résultats de l’étude Concorde : traiter tôt par l’AZT versus traiter tard - on traitait à l’époque à 200 CD4 ou au-dessus. Concorde a montré que, qu’on traite tôt ou tard, au bout d’un certain temps, le résultat était le même, mais ça ne voulait pas dire que ça échouait. Les journaux ont titré « l’AZT ne sert à rien ». Il y avait des centaines de patients traités par l’AZT, imaginez ce que ces annonces ont provoqué. C’était une période terrible. On savait qu’il y avait cet effet transitoire lié à la résistance du virus, mais on avait déjà des résultats d’essais, de bithérapie.

1993-94, c’est la diminution du risque de transmission entre la mère et l’enfant par l’utilisation d’un anti-rétroviral. L’autre étape importante pas simplement dans le fait d’éviter la transmission de la mère à l’enfant mais aussi pour asseoir les concepts qu’on a envie de défendre aujourd’hui c’est-à-dire les traitements en prévention.

1997-2001, c’est la création du Fonds mondial. L’idée était qu’il fallait que tout ce qui avait été découvert sur cette maladie, les bénéfices apportés par les multithérapies, l’efficacité des traitements, puissent bénéficier aux personnes concernées.

Alors quel enjeu pour demain ? Je crois qu’on a, même si c’est insatisfaisant, à faire que les traitements bénéficient à tous ceux qui en ont besoin, y compris en France.
L’implication des personnes concernées dans la lutte contre une maladie paraît majeure.
Il ne suffit pas d’avoir les moyens, il faut qu’il y ait la volonté politique de le faire : sans engagement politique, les multithérapies peuvent être totalement inefficaces. C’est l’un des enseignements que j’ai pu tirer de ces trente ans de bagarre.

La participation de la société civile

Christophe Martet était jeune journaliste en 81. Puis il a rejoint Act Up et en a été président de 94 à 96 :

1981, c’est l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, la libéralisation de la société, la dépénalisation de l’homosexualité. J’avais 22 ans, j’avais à la fois envie d’être journaliste et aussi beaucoup envie de baiser... Dans l’idée d’être homosexuel à l’époque, la sexualité était vraiment le moyen de s’affirmer, d’avoir son identité. Quelques mois après, nous arrive cette nouvelle, de façon très diffuse au départ.

1982, un député alerte l’Assemblée nationale et le ministre de la santé de l’époque en disant « il se développe au Etats-Unis, et un peu en France, une maladie, dont on ne connaît même pas le nom. Qu’est-ce que vous comptez faire pour lutter contre cette maladie ? ». Les gens commencent à être malades, à s’y intéresser de façon associative, médicale et clinique mais il ne se passera quasiment rien en termes de prévention, on ne parle pas encore d’épidémie et il faudra attendre 1987 pour que les premières campagnes arrivent.

1983, je suis frappé de lire à la lettre « sida » dans « gay à votre santé », une brochure encartée dans le magazine Gai Pied : « la maladie a traversé le champ de nos désirs. En passe d’être circonscrite ». Nous pensions alors que c’était quelque chose qui allait être transitoire.

1985, c’est la mort de Rock Hudson : le monde entier prend conscience que cette maladie existe. Liz Taylor se mobilise, beaucoup de choses commencent à se mettre en place aux Etats-Unis. De mon côté, ce sont les dernières vacances avant d’être séropo. Je suis parti avec mes deux meilleurs amis, Laurent et Olivier, qui sont morts depuis. C’est vrai qu’on était fatigués, on a décidé de faire le test et on n’a pas eu besoin de le refaire depuis... Sur les résultats du test on pouvait lire à l’époque que « seul une petite partie des personnes qui ont le HTLV ou LAV (on ne parlait pas encore du VIH) développeront la maladie ».

1986-1987, Michèle Barzach ministre de la santé du gouvernement Chirac, met en place des mesures importantes en termes de prévention. Elle autorise la publicité sur le préservatif, libéralise la vente de seringues, met en place des centres de dépistage gratuit et donne un peu d’argent à la recherche. Bref, commence à se mettre en place une politique de santé publique, un peu à la hauteur des enjeux, même si les campagnes n’étaient pas suffisamment ciblées vers les populations les plus à risques.

1987, Larry Kramer créé à New York un groupe de « services aux personnes ». Il fait un discours enflammé lors d’un meeting et dit «  tout le monde est en train de mourir, c’est un holocauste ». Il fait le parallèle avec le fait que pendant la guerre, les américains et les européens n’ont rien fait contre le massacre des juifs en Europe. Les rues de New-York sont placardées du poster « Silence = Death », avec le triangle renversé, et quelques semaines après, se créé Act Up-New-York. C’est l’apparition des malades dans l’épidémie. Je ne veux pas faire de détail de tout ce qu’Act Up a pu faire pour faire avancer la recherche, les soins, la visibilité des malades. Il faut imaginer qu’à l’époque, à la télé, les séropos étaient présentés à visage masqué. Jean-Paul Aron, philosophe fait une interview au Nouvel Observateur, « Mon sida » puis c’est Hervé Guibert, sur un mode très littéraire, mais les malades « lambda », on ne les voit pas.

En 1987, l’AZT arrive sur le marché. J’en ai pris en 1989 - c’était une prise toutes les quatre heures - et quand vous commenciez, vous vous disiez que ça n’allait sans doute pas durer très longtemps, parce que tous les copains qui en avaient pris étaient morts.... En même temps, on prenait quelque chose, on avait l’impression d’agir.

1989, c’est à l’occasion de la Gay Pride qu’Act Up-Paris est créée avec un die-in, cette action de se coucher sur le sol pour symboliser les morts du sida, qui avait beaucoup choqué à l’époque les militants gays. C’était la gay pride, un moment de fête, et, tout à coup, on nous rappelait qu’il y avait cette épidémie. On était encore dans une forme de déni.

1989, c’est la mort de mon ami Olivier : on ne dit pas à ses parents qu’il est mort du sida, on dit qu’il a attrapé une maladie au Mexique alors que l’épidémie est présente depuis 8 ans. C’est aussi la création de l’ANRS (Agence Nationale de la Recherche contre le Sida), du Conseil National du Sida (CNS), et de l’AFLS (Agence française de lutte contre le sida). On commence à installer les structures qui vont pouvoir répondre de manière efficace à l’épidémie.

1989-1994, ce sont des années extrêmement noires, dures. Chaque association a des perspectives différentes : AIDES, Act Up, ARCAT, Vaincre le sida, Solidarité Sida, Sol en Si... Act Up, c’est le bras armé de la lutte contre le sida, le groupe qui avait les positions les plus radicales, qui arrivait dans une réunion en tapant du poing sur la table et qui obtenait à mon sens, quand même, les résultats les plus rapides. Toutes les semaines, on rappelait que quelqu’un venait de mourir du sida et on envoyait une carte postale au Président de la République afin de lui rappeler que c’était de sa faute. François Mitterrand, élu en 1981, n’a quasiment jamais prononcé le mot « sida ». Une fois, il s’est vaguement excusé pour les hémophiles concernant le scandale du sang contaminé, mais on a à la tête de l’Etat des gens qui sont dans un déni complet de cette épidémie alors que nous nous voyons tous vos amis mourir.

1er décembre 1994, c’est à la fois la plus grande manifestation interassociative - plus de 10000 personnes dans la rue - et c’est aussi le premier Sidaction. Le sida rentre dans tous les foyers, sur toutes les chaînes de télévision.

1981-1994, le sida est la première cause de mortalité chez les hommes jeunes, et personne n’en parle.

1994, c’est aussi la mort de Cleews Vellay, un président d’Act Up extrêmement important, le premier qui a compris que le sida n’était pas uniquement une maladie de gay, que toutes les populations fragilisées pouvaient être touchées et qu’on devait aussi se préoccuper du sort des prisonniers, des femmes, des toxicomanes, des personnes migrantes, etc. Cleews est mort en octobre 1994, et il a reçu son AAH (l’allocation adulte handicapé) en décembre 1994.

Simone Veil organise un sommet des chefs d’Etat sur le thème du sida, c’est une forte mobilisation des pouvoirs publics. Act Up organise un contre-sommet, avec des malades du Sud avec cette idée qu’il faut mobiliser les activistes, les forces vives de ces pays, les personnes atteintes du Sud. Mais en 1994, la logique est : traitements au Nord, prévention au Sud. Doctrine qui restera en vigueur jusqu’à la création du Fonds mondial.

1996, l’arrivée des anti-protéases. David Ho présente à la conférence de Vancouver, devant une salle archi-comble, les résultats de son essai : il traite des patients avec des anti-protéases qui éliminent le virus. Il annonce qu’il va éradiquer le virus, que nous allons sans doute vivre... Même s’il avait tort sur l’idée d’éradication, il n’avait pas tort sur l’efficacité extrêmement forte des anti-protéases. Pendant très longtemps on s’était dit,
« on va mourir de cette maladie » et soudain on vous dit non, vous n’allez pas mourir.

2000, c’est la conférence de Durban, la première qui a lieu dans un pays du Sud, elle marque un tournant. Il a fallu les témoignages de personnes atteintes africaines pour que le monde prenne conscience que l’épidémie était mondiale. En Afrique, le virus circulait déjà avant 1981. En 1995 on est allé au Cap avec Act Up pour organiser avec des activistes du sud un forum de personnes atteintes mais il faut attendre 2000 pour que le monde entier prenne conscience que cette épidémie doit être traitée de façon globale. C’est aussi l’année où le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit pour parler du sida comme une question de sécurité internationale.

2009, c’est l’étude Prevagay, première étude de prévalence biologique du VIH conduite en France auprès de la population gay. Elle consiste à réaliser des tests rapides dans des établissements gays parisiens. Elle a révélé que, sur 900 personnes, une sur cinq est séropositive, dont 20% qui ignoraient leur séropositivité. C’est énorme. Aujourd’hui en France l’épidémie reste très active chez les gays. C’est la première fois que l’OMS fait des recommandations en trente ans incitant à traiter la question du sida et du VIH chez les homosexuels et les trans… Les gays sont dans un déni de cela. Comment faire pour continuer à les mobiliser ? Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui dans le monde, plus de 50% des personnes vivant avec le VIH sont des femmes. Ce n’est pas terminé, il faut continuer à se battre encore pour faire en sorte que moins de personnes se contaminent et que toutes les personnes touchées aient accès au traitement.

Willy Rozenbaum : Cela illustre la question : « le plus dur est-il derrière nous ? ». Non ! Le plus dur est devant nous. Même en France, beaucoup considèrent que la situation est stabilisée, mais si on regarde les chiffres : il y a 6500 nouveaux diagnostics par an, c’est le reflet de la fréquence de la maladie dans la population, mais aussi de la manière dont on dépiste. Un deuxième chiffre : 7500 nouvelles contaminations. C’est déjà plus que celui des nouveaux diagnostics. Si c’est vrai, ça veut dire que tous les ans, il y a de nouveau 1000 personnes qui ignorent leur contamination. Or 70% des contaminations se font à partir de gens qui ignorent leur statut. Il y a là un enjeu majeur. Heureusement, le nombre de décès a considérablement diminué, mais d’autre contaminations s’ajoutent et le nombre total de personnes contaminées ne fait qu’augmenter en France. Dans le monde, on estime que deux millions et demi de personnes se contaminent chaque année. L’épidémie est très loin d’être stabilisée. Pour une personne mise aujourd’hui sous traitement il y a 2,7 personnes qui se contaminent... C’est donc une course qu’on est en train de perdre. On est très loin, même dans les pays développés, d’une situation de stabilité. On n’est pas dans une situation où on peut dire que le pire est derrière nous. A titre individuel, pour les gens qui bénéficient de traitement, on est arrivé dans une étape acceptable, mais l’épidémie est loin d’être sous contrôle.

Christophe Martet : La leçon que je tire, c’est qu’on obtient rien de ce qu’on arrache pas. L’exemple le plus frappant c’est celui des anti-protéases. Début 1996, on sait que ces médicaments marchent bien, qu’ils vont être approuvés aux Etats-Unis pour les malades américains donc que d’immenses stocks ont été faits pour approvisionner toutes les pharmacies. A Act Up, on reçoit le patron français d’Abott – laboratoire qui fabrique le Norvir® – il nous dit qu’il n’y a pas de traitement disponible pour la France et l’Europe et qu’un système de loterie va être mis en place. Ce sera pour 100 malades par semaines, puis 200 etc. alors que les gens mourraient, qu’on en avait besoin et que du jour au lendemain vous pouviez revenir à la vie. Nous sommes donc allé à l’usine d’Abott à Evreux, qu’on a bloquée jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution. La pression était extrêmement forte sur le gouvernement à ce moment là, tout le monde s’y mettait et Sidaction approchait, il fallait faire quelque chose. Alors Hervé Gaymard a annoncé une enveloppe de 800 millions de francs pour acheter des anti-protéases. Et, du jour au lendemain, des tonnes d’anti-protéases ont été livrées en France. Et on voit sur les courbes des décès une diminution brutale, alors que dans d’autres pays d’Europe, ça continue à monter jusqu’en 1998. Si on ne demande pas quelque chose, on ne l’obtient pas !


Il s’agit là d’un résumé des interventions, qui seront publiées dans leur intégralité prochainement dans la rubrique RéPI.