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Table ronde

mercredi 12 septembre 2007

Quand on vit avec le VIH, la relation avec son médecin est importante pour que le suivi se déroule dans les meilleures conditions. Comment se passe cette relation aujourd’hui quand on est nouvellement contaminé ou quand on vit depuis plus longtemps avec le virus ? Confronter les points de vue, tel fut l’objectif de cette table-ronde organisée à Act Up en juin 2007.

La relation médecin-malade a évolué avec l’épidémie de sida. Au fil du temps, les personnes nouvellement infectées, n’ayant pas forcément les connaissances des « vieux » séropositifs, se sont positionnées face à leur médecin, en le considérant comme un de ces pontes peu accessibles. Leur rapport n’est pas le même que pour ceux qui ont vécu cette relation en parallèle de la montée du savoir sur le virus, de l’arrivée des nouveaux traitements, des effets secondaires, etc.

Tour de table

Hervé X : je suis contaminé depuis 89. J’ai changé trois fois de médecin, dont deux fois en un an, j’en ai changé parce que j’ai eu une co-infection et le dernier médecin - avec qui cela se passait plutôt bien - ne voulait pas m’arrêter trois mois de suite ; et j’avais besoin d’être arrêté parce que le traitement avec interféron est un traitement épouvantable. Il voulait de toute évidence que je reprenne mon travail et moi je ne me sentais pas du tout d’attaque. J’ai été surpris qu’il ne veuille pas m’arrêter, c’était vraiment très dur et cela m’a compliqué la vie énormément. Je trouve que la sécu fait énormément pression. Apparemment, c’est quelqu’un qui a très peur de ces pressions et à mon avis les médecins doivent être des insoumis et ne doivent pas nécessairement emboîter le pas à tout ce qu’on leur dit.

Albin : je suis séropo depuis la fin des années 90. J’ai été suivi d’abord à Lille pendant deux ans par un médecin qui m’a laissé assez peu de souvenirs, mais qui m’avait mis sous traitement tout de suite, un traitement qui était assez dur d’ailleurs, c’était du Norvir®, à l’époque où il n’était pas encore en capsule, il fallait le prendre en sirop : c’était pas bon, mais je ne me suis pas trop posé de questions puisque de toute façon je n’y connaissais rien du tout. C’était un médecin pour moi, donc je ne discutais pas trop de ce qu’il me donnait à prendre et puis je n’avais aucune information sur le VIH de toute façon. Quand j’ai quitté Lille, il m’a conseillé un médecin qui me suit depuis 2000 à peu près, à la Pitié-Salpêtrière (Paris) et que j’aime bien, enfin qui est quelqu’un avec qui j’ai une relation de confiance. Je n’ai jamais eu de complications ; on n’a peut-être pas eu l’occasion de s’affronter sur quoi que ce soit. Par contre, quand j’ai eu des accidents ou quand j’ai eu des doutes sur des relations ou des risques de contamination de partenaires, c’est quelqu’un avec qui j’en parle sans aucun souci.

Hervé Y : j’ai 57 ans, j’ai découvert ma séropositivité en septembre 2002, pour une raison relativement simple : je commençais à être extrêmement faible, j’avais perdu des kilos, j’avais des petits ennuis et j’étais complètement épuisé. Mon médecin traitant a fini par me convaincre de faire le test et j’ai découvert que j’étais séropositif. J’ai échoué à l’hôpital Cochin - enfin échoué, c’est plutôt une bonne chose - sur le conseil de mon médecin traitant qui avait travaillé avec l’équipe de Cochin. Après l’épisode d’un protocole qu’on a voulu m’imposer, les relations se sont rapidement améliorées et depuis, j’ai un excellent rapport avec mon médecin traitant, qui est une dame. J’ai eu un traitement au départ : Norvir, Crixivan®, Epivir® et Videx® que je supporte très bien. On a essayé de me le changer plusieurs fois, sous prétexte que j’aurais des prises moins fréquentes et j’avoue que ça ne me dérange pas, parce que ce que je privilégie, c’est mon confort personnel. Depuis cinq ans, je suis sous traitement et ça fonctionne plutôt bien.

François : ça va être rapide parce que je suis séropositif depuis plus d’un an, c’est tout, et j’ai un médecin avec qui le contact passe très bien et qui répond bien à mes questions et j’ai encore la chance de ne pas prendre de traitement.

Fred : j’ai été officiellement reconnu comme contaminé en 97, mais je savais intérieurement que je l’étais sûrement depuis quelques années avant et on m’a immédiatement mis sous traitement. Comme je n’étais pas très épais, un fabuleux médecin m’a conseillé de rentrer dans un protocole d’hormones de croissance qui a eu des conséquences énormes : pendant deux mois et demi, j’ai reçu tous les soirs des hormones de croissance synthétiques, deux mois et demi d’enfer pour moi : toutes les nuits, ça me tirait de partout, c’était monstrueux. Et puis on a décelé une méningite. J’ai été hospitalisé et ça a duré trois ans. Au bout d’un an et demi, j’avais de tout, j’avais de la morphine pour essayer de calmer les douleurs. Au bout de deux ans et demi, ça s’est transformé en encéphalite parce que j’ai des perroquets à la maison et ils m’ont transmis un germe, c’est un cryptocoque qui s’est installé sur mes méninges et qui s’est mis à désorganiser tout : plus de coordination des membres, une marche très compliquée, plus de mémoire, une case vide quoi, donc je me suis réfugié dans la morphine. Au bout de trois ans, on a réussi après dix huit ponctions lombaires à trouver le cryptocoque dans le liquide céphalorachidien et en trois semaines, c’était réglé. Une fois sorti, les médecins m’ont dit : « on n’est pas sûr que vous retrouverez toutes les facultés que vous aviez. » On repart chez soi mais pas de suivi. J’ai trouvé ça assez dégueulasse ! Pas de suivi, d’ergothérapie, d’exercice physique, d’exercices de mémorisation ... Il a fallu que je me démerde tout seul. Mon ami est séropositif depuis le tout début de l’épidémie et il me racontait qu’au tout début du sida, dès qu’on arrivait dans un hôpital, on était reçu comme des princes parce que c’était le VIH. Les quelques médecins qui s’y intéressaient, s’y intéressaient vraiment et aujourd’hui, lui-même est totalement paumé dans son suivi médical. Il n’y a plus suffisamment d’écoute du patient : on s’arrête aux chiffres des T4, à la charge virale ; si ça, c’est OK, tout est OK. On fait pas très attention à tous les effets secondaires des traitements et tout ce qui englobe l’être humain.

Catherine : je suis séropositive depuis 1987 et suis suivie par le même médecin à la Salpêtrière. Il y a eu une coupure de cinq ans quand j’ai vécu à Marseille. A cette époque-là, je n’avais pas de problème, pas de traitement ; tout se passait très bien, simplement un suivi médical tous les six mois à l’hôpital pour surveiller les T4. Parallèlement, comme j’étais dans un protocole qui s’appelait à l’époque Séroco. C’était une très bonne expérience à Marseille justement parce qu’à cette époque-là, ils prenaient vraiment en compte le suivi des malades, c’est-à-dire que dans le service on pouvait voir aussi bien le dermatologue que le gynécologue, etc. Quand je suis revenue à Paris à la Salpêtrière, c’était redevenu plus compliqué à gérer, à suivre, et en plus comme mon état de santé commençait un peu à se dégrader, j’ai dû commencer une trithérapie. C’était devenu un peu le casse-tête. Il y a de grosses crises avec mon médecin -je ne me suis pas sentie spécialement bien entourée, pas spécialement bien suivie, pas spécialement contente de lui tout le temps - il y avait toujours quelque chose qui m’empêchait de changer de médecin parce que l’on se connaissait bien et, quand je l’ai connu, c’était pareil, il découvrait le VIH, un peu comme moi. Maintenant, dans le suivi à la Salpêtrière, on a une visite à l’hôpital de jour, on est suivi par tout un staff. C’est selon moi une bonne formule : je vois toujours ce médecin régulièrement, et puis il y a ce moment, à l’hôpital de jour, où on a l’impression que si quelque chose ne va pas, ce sera mis à jour à ce moment-là.

Médéric : j’ai 34 ans et dans quatre jours, cela fera dix ans que j’ai été dépisté. Je suis probablement contaminé depuis avril 95, j’ai été dépisté le 20 juin 97. C’était le début des trithérapies. J’ai mis presque cinq mois à être mis sous traitement et j’ai mal vécu cette période d’attente. Les premiers traitements se sont assez mal passés, c’est la seule fois dans tout mon parcours où j’ai vraiment eu des problèmes. Autant mon médecin m’a aidé sur les traitements, autant pour le reste que tout cela pouvait impliquer, j’ai improvisé, c’est-à-dire que là, il ne m’a pas donné tellement plus d’information. Je n’étais pas en super forme ; je me suis débrouillé tout seul. Ce n’est pas que je demande non plus à ce que le médecin devienne une assistante sociale, mais en l’occurrence, voilà, il m’a dit : « attention les implications ... Maintenant, la consultation est terminée. » Bon, eh bien, qu’est-ce que je fais ? J’ai eu du bol ! Après ça s’est assez bien passé. J’ai plutôt « bien » toléré mes traitements : c’est-à-dire que j’avais de bonnes chiasses, sinon en dehors de ça ... j’avais aussi un effet nocebo. Ce Norvir® me collait des nausées et rien que de le voir. Les traitements évoluent... Je vis avec mon traitement et j’entre à Act Up pour la commission Traitement-Recherche, parce que j’avais envie de savoir ce que je pourrai faire pour connaître un peu mon ennemi et me battre. Je n’ai pas été déçu. En connaissant d’autres personnes, j’ai commencé à discuter avec mon médecin. Je commençais à devenir légèrement actupien sur les bords, la discussion pour changer de traitement a été animée. Il m’a un peu agacé d’entrée et surtout il était assez distant. Je n’ai pas accroché particulièrement avec lui et j’ai fini par changer de médecin avec qui ça s’est bien passé parce que je n’avais pas de complications. Je suis toujours suivi par lui et j’ai de bonnes relations, mais en même temps, je me suis montré directif avec lui. Je n’étais pas du tout aussi directif quand je n’étais pas à Act Up. Cela m’a servi à moi dans mon cheminement parce que ce que je recherchais, c’était de maîtriser le truc. Enfin, je me suis senti agressé par mon virus et j’ai eu envie de riposter, ce qui fait que j’ai eu besoin de me créer des outils. C’est comme ça que j’ai suivi mon médecin, enfin que j’ai abordé ma relation avec lui : c’est que l’on travaille dans le même sens. Je lui ai bien fait comprendre que si je ne comprenais pas, il fallait qu’il m’explique. Si je ne comprenais pas et qu’il ne m’expliquait pas, c’est sûr que ça ne passerait pas. Il se trouve qu’avec la formation que j’ai, j’ai pu répondre. Si un problème de santé me tombe dessus dont je ne connais rien, je chercherais des informations, mais si, dans l’urgence, il prend une décision, je pense que je lui ferai confiance, enfin une confiance relative, tant que je n’ai pas d’autres choses. Pour la relation avec le médecin, je pense qu’il faut proposer des choses, qu’il faut s’informer. J’ai des informations par les médecins, mais l’essentiel de ce que je sais sur la maladie, ce ne sont pas eux qui me l’ont dit. Ils m’ont toujours tenu au courant de mes analyses, mais c’est moi qui vais chercher l’information.

Albert : j’ai été contaminé en août 2002, j’ai fait une primo-infection en septembre et j’ai consulté tout de suite, sur le conseil d’amis séropos depuis longtemps, à la Salpêtrière où j’ai été pris en charge par un très bon médecin mais qui n’est plus du tout dans le traitement du sida. J’ai été mis sous traitement en février 2003. Je suis entré à Act Up en janvier 2003, je crois. J’ai changé de médecin en juillet 2003 quand elle a arrêté son activité sida et qu’elle a refilé sa file active de patients au médecin qui me suit toujours actuellement à la Salpêtrière. Au début, ça s’est moyennement passé ; c’était assez tendu mais les choses ont évolué, en particulier parce que pour des raisons professionnelles, je n’ai pas pu continuer à la voir à la Salpêtrière. Elle m’a proposé un suivi dans son cabinet, ce qu’elle ne faisait pas automatiquement avec tous les patients dont elle avait hérité. Depuis qu’elle me suit dans son cabinet, globalement, je trouve que cela va mieux. Je crois que c’est un excellent médecin parce qu’elle anticipe énormément, tant du point de vue des effets secondaires - je trouve même qu’elle a un peu tendance à surestimer les risques, à prévoir, peut-être à dramatiser. J’étais sous Trizivir®, elle m’a fait changer parce que j’avais eu une remontée de charge virale, apparue un an après ma mise sous traitement, mais qui n’a jamais vraiment explosé, elle restait toujours entre 200 et 800 copies et cela n’avait aucune incidence sur le nombre de CD4 et sur le rapport CD4/CD8. Elle a quand même voulu que je change ; je l’ai fait un petit peu à contrecœur. J’ai refusé pendant un an et puis au bout d’un an, comme elle me le demandait à chaque fois, j’ai dit : « bon, eh bien on change ! » Elle m’a mis sous Kaletra® + Truvada®. C’est un traitement que je supporte bien.

Matthieu : je ne serai pas très long puisque je suis contaminé depuis septembre dernier. Je ne prends pas de traitement. Je consulte dans un cabinet en ville. Pour ce qui est de la relation médecin-malade, il ne me donne pas spontanément beaucoup d’informations, en fait il est relativement réservé, mais quand je lui demande, il me les fournit consciencieusement. Voilà, pour l’instant cela va.

Stéphane : j’ai été contaminé en 1991. J’ai eu un début de suivi à l’hôpital de Poitiers où j’avais au préalable été suivi pour une maladie de Hodgkin en service d’hématologie. J’ai considéré d’abord comme presque évident de poursuivre ce suivi thérapeutique médical avec des médecins de l’hôpital de Poitiers et, en fait, à cette occasion, j’ai eu une relation assez conflictuelle avec le médecin qui s’occupait du VIH, en tout cas très différente de celle que j’avais pu connaître pour le suivi en hématologie. De ce point de vue, la première relation, dans le cadre du VIH, patient-médecin a plutôt été difficile. C’était quelqu’un d’extrêmement froid, qui n’essayait pas d’établir un rapport de confiance, qui avait, au regard des nouvelles thérapies qui arrivaient en 1992, un regard très précautionneux, pas très audacieux en tout cas, qui se contentait de donner la monothérapie de l’époque, c’est-à-dire AZT à tous ses patients, alors que très rapidement on a su qu’il était mieux de donner une bithérapie AZT-ddI, puisque c’était à cette époque-là les seules choses dont on disposait, à peu près. Du fait même que j’étais parisien et que je suivais les revues de AIDES, etc., je savais donc que les nouvelles approches thérapeutiques arrivaient et que ce médecin, en la circonstance, était plutôt sur une position de retenue qui ne me satisfaisait pas du tout. Manque de confiance, maladresses à mon encontre, avec l’annonce à ma mère, comme ça, dans une incidente, que j’étais séropositif. La relation médecin-patient au début des années 90 n’était pas simple. C’est-à-dire que les médecins étaient nouvellement chargés de s’occuper de cette maladie, en tout cas en province, et pour eux, il y avait encore des préjugés, toute une base de discriminations. On affublait chacun de mes examens à faire, d’une petite pastille rouge qui allait de service en service, etc. C’était quelque chose d’extrêmement lourd à supporter. Et puis quelques mois plus tard, je suis arrivé à Paris et j’ai rencontré une docteur qui m’a redonné confiance, si je puis dire, a établi de nouveau un rapport vrai, authentique, dans lequel j’ai pu à peu près « m’épanouir ». Elle m’a tout de suite donné cette bithérapie que je réclamais. Elle m’a rassuré aussi, sur les années à venir, en tenant un discours je pense très positif, alors qu’elle n’était pas elle-même très assurée de ce qui pouvait arriver. Je crois qu’elle essayait surtout de colmater les brèches qui avaient été ouvertes à Poitiers, et donc de ce point de vue, la relation a pris un autre cours. Le versant relationnel étant établi, le versant thérapeutique aussi, je suis resté avec elle. Il y a donc eu une espèce de fidélisation de ma relation. Cependant, il y a quand même certains sujets qu’on n’aborde pas. Par exemple, ma sexualité est quelque chose qui - par pudeur peut-être, par retenue, je n’en sais rien - n’est jamais abordéé par elle. C’est quelque chose qu’elle ne veut pas, ou qu’elle ne peut pas, qu’elle ne semble pas vouloir aborder, je ne lui impose pas le sujet. Il y a un deuxième sujet qui ne semble pas vouloir être abordé dans le cadre de notre entretien, ce sont mes inflexions psychologiques au fil du temps : est-ce que je vais bien, est-ce que je vais moins bien ? Est-ce que je suis dans une période plutôt optimiste ou plutôt pessimiste ? Ça, c’est quelque chose que, à mon sens, elle ne veut pas voir parce que, peut-être, elle n’a pas les outils adaptés pour pouvoir répondre convenablement et que, en face de quelque chose qui quelquefois pourrait m’assommer - une baisse de régime, etc. - elle serait désarmée, désemparée, je le verrais, et à ce titre, elle aurait peut-être peur de perdre pied. Et peut-être peur aussi que la relation que l’on a pu établir se désarticule un peu.

Annonce de la séropositivité

Gordon : une des premières questions qu’on va aborder, c’est peut-être le problème de l’annonce de la séropositivité et ensuite quel type d’information vous a été donnée au niveau des premières consultations.

Médéric : j’ai fait un test de routine. Cela faisait plus de deux ans que je n’en avais pas fait. Et puis, l’annonce : « - asseyez-vous monsieur ; nous avons bien affaire au VIH-1 ... » Je dois avouer que le reste de sa phrase, je ne l’ai pas trop capté et je lui ai dit : « là, j’ai besoin d’un psy. » C’est la première chose qui m’est venue en tête. Je suis débordé de tout ce qui m’arrive comme émotion, je ne peux pas faire face tout seul, il me faut un psy. Ils m’ont intégré ... - c’était un CDAG lié à une équipe traitante de l’hôpital de Melun, j’y suis rentré. Ils ont fait suivre mon dossier et ils m’ont donné les coordonnées d’une psy. Pas de bol, la semaine d’avant elle s’était cassé la jambe et il s’est passé des mois avant qu’elle ne me rappelle. S’il y a bien une chose qui a été fondateur dans l’annonce de séropositivité, en tout cas ce jour-là, c’est que j’ai demandé un psy et ils ont pu me donner les coordonnées de quelqu’un qui était spécialisé. C’était le réseau de l’hôpital et je pouvais y aller comme je voulais, autant que je voulais. Comme il n’y avait pas grand monde qui y faisait appel, j’avais des séances qui avaient des durées impossibles à supporter par la sécurité sociale. En fait, j’ai eu beaucoup de chance à partir de là. Ce n’est pas purement médical, pas directement lié au VIH, mais s’il y a bien une chose importante à ce moment-là, c’était ça. Je suis parti de cette consultation complètement ensuqué de trouille, mais dans la poche j’avais les coordonnées de la psy, les coordonnées du service traitant, j’avais un rendez-vous pour la fois d’après. Ils savaient déjà que je mettrai du temps à être pris en charge par la sécu, dépisté fin juin, on n’est pas pris en charge à 100% avant... fin septembre !

Stéphane : je voudrais rebondir sur ce que dit Médéric, et à cette occasion, interpeller ceux récemment contaminés. Quand nous, les « anciens », avons été dépistés séropositifs, il y avait une série de questions qui se posaient. Est-ce que l’on allait pouvoir vivre longtemps ? Dans quelles conditions ? Est-ce qu’on pouvait encore avoir une sexualité avec tout le monde ? Etc. Il y avait une espèce de maelström* qui s’annonçait devant nous, qui mettait en cause à la fois notre qualité de vie, la façon dont on allait vivre, la façon dont il fallait qu’on s’adapte à de nouvelles conditions. Je ne sais pas si on avait forcément besoin d’un psychologue. Aux questions précises que j’avais envie de poser, ma vie dans les mois à venir, ma sexualité, la façon dont j’allais pouvoir vivre, est-ce que j’allais pouvoir travailler etc., personne n’y a répondu. Et pourtant ce sont des questions simples auxquelles même un médecin généraliste peut répondre. C’est vrai qu’en 91-92, on n’avait pas forcément toutes les réponses à toutes ces questions. Et j’aimerais savoir si aujourd’hui, en 2007, ou en 2006, 2005 ou 2004, à ces mêmes questions qui se posent de la même façon, on fournit des réponses qui ont quand même, à mon sens, aujourd’hui des possibilités de pouvoir être nourries et alimentées de façon un peu plus substantielle qu’à l’époque.

Hervé Y : le fait d’être séropositif, de toute façon, je m’en foutais. Quand mon médecin traitant me l’a annoncé, je ne me suis pas posé de problème quant à mes changements de vie parce que j’avais autour de moi des gens qui étaient contaminés depuis dix ans peut-être, qui vivaient de façon parfaitement normale, qui travaillaient, qui avaient parfois des problèmes effectivement, d’effets secondaires, de vomissements, qui ne se sentaient pas bien, mais enfin rien de rédhibitoire. L’entourage faisait que je n’ai pas été spécialement inquiet. En fait, ceux qui ont été le plus inquiets, ce sont mes proches quand ils l’ont su et j’ai en fait dû, si j’ose dire, faire du soutien psychologique, notamment auprès de mon ami qui, lui, était complètement effondré. Alors que moi, bon, c’est comme ça, on ne peut guère changer grand chose. Donc je pense qu’effectivement, depuis 15-20 ans, les choses ont considérablement évolué, mais je pense que c’est surtout une question de milieu, de société en fait.

Matthieu : ce que tu dis, je m’y retrouve un peu. C’est-à-dire que j’étais aussi beaucoup plus armé que mes proches pour encaisser la nouvelle, mais je dirais qu’en fait c’est surtout un déplacement des problématiques, parce qu’il ne s’agit pas de savoir « est-ce que je vais vivre ou est-ce que je ne vais pas vivre ? ». Mais il y a quand même des questions qui se posent effectivement, par exemple savoir quand on prendra un traitement, ou si dans la vie sexuelle qu’on peut avoir, le dire, pas le dire, comment, à quel moment. C’est plutôt une série de déplacements par rapport à ce que vous, vous avez connu. Après, est-ce que ce sont les médecins, finalement, qui donnent des clés ? En ce qui me concerne, ce n’est pas comme cela que cela s’est passé, c’est surtout mon entourage. Et effectivement, si on connaît des gens séropositifs ou pas, ça change la donne et on peut bénéficier d’expériences de notre entourage.

Albert : en 2002, je pense que c’était très différent. Personnellement, j’ai été tout de suite assez confiant quant au fait qu’il y avait des traitements. Dans l’immédiat et même encore actuellement, je ne voyais pas la fin dans un proche avenir ... je me suis dit : « il y a des traitements ». C’est ce que mon médecin m’avait dit, elle me l’avait montré, m’avait sorti son petit carton avec les photos couleurs des comprimés, et elle me montrait ça, comme on m’aurait montré des pierres précieuses. Effectivement, quelque part, c’est précieux parce que, pour elle, ça avait une autre signification que pour moi, parce que 15 ou 20 ans avant, lorsqu’elle annonçait la séropositivité à quelqu’un ou lorsqu’elle recevait un patient, elle n’avait pas cette espèce de petit matelas, elle n’avait rien à proposer, alors que là, elle avait ça à proposer.

Information = pouvoir

Gordon : après l’annonce de la séropositivité, la notion du VIH s’installe, comment avez-vous obtenu des informations ? Le médecin était-il à votre écoute quand vous avez posé des questions ? Est-ce que vous avez posé des questions ? C’est le médecin, le personnel hospitalier, les infirmières, ou au contraire, c’est plutôt votre entourage, des personnes déjà séropositives qui vous ont guidé ?

Hervé X : dans mon cas, ce sont les médecins. Je l’ai su par un centre de dépistage et je ne m’y attendais pas du tout. Ça a été un effondrement total, c’était en 1989. Ce qu’il m’a dit, c’est : « ne vous inquiétez pas, de toute façon, vous êtes très bien », parce qu’il y avait des analyses qui avaient été faites et j’avais 800 ou 1 000 T4 et il n’y avait pas de charge virale et je ne sais plus comment je me suis retrouvé à la Pitié, et là on m’a répété la même chose. Je trouve rétrospectivement qu’ils ne sont pas assez explicites là-dessus, parce qu’en fait je suis resté 8-9 ans sans traitement et je trouve que, d’emblée, il n’y a pas suffisamment d’explications sur le fait que le système immunitaire est valable ; et qu’on est porteur du virus, mais c’est comme si on était en bonne santé.

Fred : on m’a parlé ; j’ai commencé par faire une varicelle et puis, quelques mois plus tard, je fais un zona. On me parlait des maladies opportunistes, mais pas vraiment de comment le virus attaquait et agissait. Le sida, on n’en parlait pas. On arrive à régler telle maladie, mais le virus est oublié. Au moment où une maladie opportuniste arrive, on la soigne, tu es dans la maladie et voilà. Mais le sida, je trouve qu’on n’en parle pas beaucoup, et pas suffisamment ; c’est pour ça que je me suis rapproché d’Act Up - cela fait à peu près trois ans que je suis là, pour comprendre un peu mieux la maladie, pour chercher de l’information et il est vrai que l’on se retrouve un peu plus combattant face aux médecins qui voudraient être les pontes, qui ont les solutions, les réponses à tout ; mais c’est moi qui suis malade et qui sait réellement où j’ai mal et quand j’ai envie de vomir et pourquoi.

Matthieu : au regard de mon expérience, j’ai fait une primo-infection et je suis allé aux urgences. En fait, aux urgences, je le savais déjà. Je suis tombé sur un médecin urgentiste qui m’a demandé si j’avais eu des rapports à risque et il m’a dit : « peut-être vous pourriez songer au sida », mais en fait, évidemment, il ne savait pas. Sur le tableau que je présentais comme ça, il ne pouvait pas vraiment tirer des conséquences précises. Quand j’ai vu, après, mon médecin, qui s’occupait du sida, il a fallu que je lui demande des informations pour en obtenir. J’ai le sentiment que du coup, du corps médical, pour des raisons parfois différentes, on a des informations qui restent partielles, ce qui veut dire qu’on est obligé de tabler sur une culture personnelle pour gérer convenablement la maladie. Du coup la relation malade-médecin, c’est quelque chose qui se construit, on arrive avec un certain nombre d’attentes et selon ces attentes, c’est aussi l’attitude du médecin qui change.

Albin : quand j’ai appris que j’étais séropo au centre de dépistage anonyme et gratuit, je n’étais pas du tout demandeur d’information médicale, parce que, très vite, je n’ai rien compris, et je n’ai pas du tout cette curiosité-là. Je suis content quand il y a un nouveau traitement qui sort parce qu’un jour il me servira mais je n’ai pas cette curiosité d’aller au fond des choses. Mais la première information que j’ai eue, c’était du vécu. Lorsque j’ai appris que j’étais séropo, ma première réaction en sortant du centre de dépistage a été d’appeler mon ami pour l’informer et, lui, après tout un sketch a fini par me dire que lui aussi était séropo et j’ai pu mesurer ce qu’avait de dramatique la séropositivité chez quelqu’un qui n’en parlait pas.

Catherine : quand j’ai appris que j’étais séropositive, je vivais à l’époque avec un homme- qui est mort du sida depuis - qui, lui, était séropositif et ce que j’ai appris avec lui et que j’admirais chez lui, c’était cette manière qu’il avait de s’informer tout le temps, de connaître sa maladie, les médicaments, etc. C’était en début de l’épidémie en 1988, et c’était vraiment très important, il m’a appris ça, et ça ne m’a jamais quitté après. A la maison, on avait toujours plein de livres, tout ce qui sortait, tous les articles. J’ai encore chez moi, tous les vieux journaux et magazines depuis 85, tout ce qui traitait du sida. A cette époque-là, on n’avait pas beaucoup d’information. Par contre, pour lui, c’était impossible d’aller militer dans une association, c’était vraiment quelque chose qu’il gardait pour lui. Après son décès, quand je suis revenue à Paris, tout ce que je savais sur cette maladie, tout ce que j’avais appris, tout ce qui m’était arrivé j’avais besoin que ça serve à quelque chose. Il n’y avait pas de médicaments, donc il fallait savoir comment « résister » le plus longtemps possible. Maintenant, être informée, c’est nécessaire à cause de la complexité de cette maladie, de tous ces traitements, mais à l’époque, il fallait plutôt se débrouiller sans traitement. Après, très vite, quand je suis revenue à Paris, c’est comme ça que je suis arrivée à la commission Traitements et Recherche d’Act Up, c’était une nécessité. Parce qu’en plus, je suis la seule femme autour de la table et c’était ça ma première motivation. J’avais vu cet homme mourir, des amis mourir, c’étaient des hommes et moi, en tant que femme, je savais très bien instinctivement, c’était une conviction, que la maladie, l’évolution de la maladie, physiquement et pour plein de problèmes que l’on rencontre à travers cette maladie, pour moi, en tant que femme, cela n’allait pas être pareil. Pour moi aussi c’est nécessaire d’avoir un médecin qui n’est pas infectiologue, ce que l’on appelle un médecin de famille. Mon médecin généraliste qui est une femme en plus, est en même temps ma gynécologue ; c’est très important pour moi, parce que tout ce que je ne peux pas aborder à l’hôpital, je peux l’aborder avec elle et en plus, elle a d’incroyables connaissances sur le VIH. Parce que si on va chez le médecin de famille qui n’y connaît rien, là, par contre, ça peut être pire.

Matthieu : par rapport à ce que tu dis, cela veut dire qu’en fait, ne serait-ce que trouver un médecin, ça nécessite déjà un savoir. C’est ça que je veux dire, en fait, c’est qu’on est très inégaux parce que si on connaît des gens, on sait quel médecin aller voir.

Catherine : d’où l’importance d’informer, d’être informé, de s’informer.

Gordon : en complément de ce que tu as dit par rapport à l’hôpital, lorsque tu es confrontée à des médecins en hôpitaux, quelle est leur réaction quand tu leur parles justement de la spécificité des femmes vis-à-vis de la pathologie ? Comment réagissent- ils ? Tu disais que tu avais un meilleur rapport en médecine de ville. Au niveau hospitalier, comment est-ce qu’ils répondent ?

Catherine : Maintenant on commence à me prendre un peu plus au sérieux, je crois aussi que c’est grâce à mon militantisme à Act Up. Je ne laisse rien passer, je répète tout le temps que je suis une femme, et puis on est de plus en plus de femmes. Avant c’était terrible, quand je parlais de certains problèmes que je rencontrais, on me disait : « c’est pas la priorité », la priorité c’était : « vous êtes encore en vie ; les T4 vont bien ; la charge virale, ça va ... ». Le reste était secondaire et c’est comme ça que j’ai fait un infarctus, la douleur que j’avais avant l’infarctus, les médecins n’en ont pas tenu compte parce que j’étais une femme, alors qu’un homme de 40 ans avec cette douleur-là, le médecin aurait tout de suite fait une association avec des problèmes cardiovasculaires, mais pour moi les médecins disaient que c’était l’angoisse, que je faisais des crises d’angoisse. J’avais des problèmes de cholestérol et de triglycérides, j’étais déjà informée de ces problèmes cardiovasculaires parmi les effets secondaires ; j’insistais, je ne lâchais pas. Mon médecin était en vacances, j’ai vu le médecin remplaçant pour continuer à harceler avec ça, et ce médecin remplaçant m’a dit « le cholestérol, oui, ça va. Ce n’est pas non plus dramatique. Faîtes un petit régime, vous, les femmes, vous aimez ça les régimes. » Maintenant, on prend plus au sérieux les problèmes cardiovasculaires, chez les hommes, et chez les femmes. C’est pour ça que je ne veux plus que mon suivi soit dans les mains d’un seul médecin, de mon infectiologue, je connais ses limites ; je connais mes limites aussi. On se connaît depuis 20 ans ; on a notre parcours de vie à tous les deux. On a un rapport qui est chouette, que j’apprécie ; je peux parler de certaines choses avec lui, il peut parler de certaines choses avec moi, mais je vois aussi d’autres médecins : le cardiologue et mon médecin généraliste. Je sais à qui je dois demander quoi. C’est un peu une alchimie et eux savent aussi maintenant comment agir avec moi.

Médéric : à un moment, j’ai déménagé en province proche, mais c’était trop loin pour que je continue à être suivi à Melun. Donc j’ai tenté de me faire suivre par un généraliste, j’ai fait deux tentatives et j’ai arrêté. A chaque fois, c’est le médecin de ville qui était en attente d’information... de moi. Il ne connaissait rien, j’étais son premier patient séropositif, il avait une connaissance livresque et il attendait des choses de moi. Il était curieux, il a commencé par m’ausculter sous tous les angles.

Ecoute et confiance

Stéphane : que ce soit depuis les années 80-90 ou même aujourd’hui, j’ai l’impression à vous écouter que tout ce qui est versant psychologique, est super mal pris en compte finalement dans cette pathologie et notamment par nos médecins. La nature de la relation patient-médecin a une lourde tendance à se techniciser de plus en plus et peut-être au détriment quelquefois de l’écoute. Par exemple, depuis quelques mois, j’observe que mon médecin se protège derrière son écran d’ordinateur. C’est quelque chose de nouveau, c’est quelque chose qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Il y a maintenant entre elle et moi cet écran et, alors qu’au départ, lorsque je lui parlais, elle me regardait, maintenant je parle à un mur, c’est quelque chose d’assez désarçonnant.

Hervé Y : il y a deux mouvements qui sont assez contradictoires. J’avais l’impression, au début, lorsque j’allais voir mon médecin, qu’il y avait une tendance à expédier les gens. Et il y a à peu près six mois, je vais voir mon médecin, à l’hôpital : on me fait remplir un dossier comme ça, en me demandant quelles sont mes attentes, est-ce que vous trouvez que votre médecin consacre suffisamment de temps, est-ce que vous trouvez que les rendez-vous sont respectés. J’ai l’impression qu’il y a une prise de conscience d’une certaine qualité d’accueil, de soins, etc. et qu’on essaye d’y remédier maintenant. Mais est-ce que ce sera suivi d’effet ?

Albert : depuis une vingtaine d’années, il est clair qu’on bénéficie, et que le médecin bénéficie, de plus en plus de données chiffrées : les CD4, la charge virale ; pour les maladies cardiovasculaires, il y a tout un arsenal de techniques qui permettent de mesurer ci, de mesurer ça, de faire des échocardiographies, de faire des tests etc. Je trouve que les médecins ont de plus en plus tendance à se retrancher derrière ces chiffres, et ça se fait au détriment de la personne, on est de plus en plus pris pour une liste de chiffres seulement. Ça prend des proportions quasiment surréalistes, il va falloir y faire attention à l’avenir. Les médecins ont tendance à se transformer en super techniciens et je pense que ce n’est pas étranger au fait que, derrière, il y a un aspect mercantile, de toutes les grandes firmes pharmaceutiques qui ont pour spécialité de fabriquer des appareils, de proposer de nouveaux tests. J’ai l’impression que les médecins ne se rendent pas compte qu’ils sont de plus en plus asservis à ces instruments. Il y a sur eux une énorme pression pour utiliser des appareils, de plus en plus performants et qu’ils perdent un sens humain, un sens un peu plus intuitif. Ils sont abreuvés de chiffres et ils ont des limites : en dessous des limites, ça va, au-dessus, ça ne va pas. Il y a une abstraction totale de la situation générale et tout ce qui concerne le psychologique, qui, heureusement ne bénéficie pas de tout cet aspect quantitatif ; on n’en parle pas du tout.

Médéric : j’ai dit à mon médecin que j’avais un psychologue, que j’étais suivi par un psychologue et du coup, sachant qu’il y a des gens plus qualifiés qu’eux, ils ne font aucun effort pour aller dans cette direction-là. Ils ont l’impression de faire de la psychologie quand ils font de la politesse. Ils ne l’intègrent pas dans la prise en charge, mais quand on n’est pas dans un bon état psychologique, coordonner sa prise ne charge, ce n’est pas évident.

Hervé X : lorsque j’ai annoncé à mon généraliste que j’avais des troubles bipolaires, il a souri et lorsque je l’ai annoncé au médecin hospitalier, il m’a dit : « c’est la mode ».

Egalité médecin-malade ?

Claire : comment se sent-on dans sa relation avec son médecin ? Est-ce qu’un rapport égalitaire est possible avec son médecin ?

Hervé 2 : le rapport médecin-malade est traditionnellement inégalitaire dans la mesure où, d’un côté, il y a quelqu’un qui possède la connaissance et, de l’autre côté, il y a le malade qui en principe ne la possède pas. Il y a la différence qu’il peut y avoir entre deux personnes, c’est-à-dire que pendant très longtemps, j’ai eu des médecins qui étaient plus âgés que moi et puis, en prenant de l’âge, il se trouve que maintenant mon médecin traitant pourrait être mon fils. Alors, évidemment, ça change aussi les choses. Et puis, les malades sont quand même, notamment dans le domaine du VIH, beaucoup mieux informés à l’heure actuelle qu’ils ne l’étaient autrefois. Toutes ces choses-là font, qu’à mon sens, effectivement, les relations évoluent.

Albert : pour moi, c’est assez compliqué dans la mesure où je ne suis pas médecin, mais comme j’ai fait autant d’études qu’un médecin, je considère qu’à chaque fois que je vais voir un médecin, enfin pas le généraliste, quand je vais voir mon médecin sida, je considère qu’il passe quand même un examen. C’est-à-dire que je fais très attention à tout ce qu’elle dit et après j’ai tendance quand même à bien réfléchir, à bien analyser, à essayer de voir si elle n’a pas eu des propos incohérents. En tout cas, il est certain que s’il y a quelque chose que je n’ai pas compris ou quelque chose dont je ne suis pas convaincu, j’irai demander un deuxième avis ou alors je reposerai la question. Je crois qu’il ne faut pas y aller en se disant « j’en sais autant que vous » - ce n’est pas vrai ; mais il faut rester très vigilant, parce qu’il faut se souvenir que si eux ont tendance parfois à oublier qu’on est des personnes, nous ne devons pas oublier qu’ils ont aussi leurs humeurs qui peuvent parfois jouer sur une décision. On n’est pas à la fois leurs égaux du point de vue de la connaissance, mais malgré tout je crois qu’il ne faut pas prendre comme argent comptant tout ce qu’ils disent. La consultation doit être un moment où il faut être extrêmement concentré, et faire très attention à ce que vous dit le médecin, à y repenser après, et d’une consultation à l’autre, normalement espacée de 3-4 mois, se souvenir de ce qu’il ou elle a dit.

Catherine : je suis assez d’accord avec Albert. Je suis consciente que je ne suis pas médecin. Quand je vais voir mon médecin, je suis aussi extrêmement concentrée, c’est-à-dire que même après vingt ans de contamination, pour moi, la visite à l’hôpital reste un moment où - même quand tout va bien, il ne faut rien oublier. Il m’arrive encore de préparer des petites listes de questions, pour ne rien oublier. Il faut absolument le faire parce que, même si maintenant je n’ai plus le trac ou quelque chose comme ça, avant je l’avais et du coup ça m’aidait énormément, il ne faut pas hésiter. C’est un moment où, vraiment, il faut être très concentré. En face, on a une autre personne qui en fonction de ses humeurs, de sa fatigue, s’il a reçu trois patients hyper compliqués avant par exemple, peut être moins disponible.

Médéric : il faut préserver ce temps de consultation qui, au besoin, doit être suffisamment long et ça, c’est un truc que j’apprécie particulièrement. Il y a des fois où ça va particulièrement rapidement, mais si on a des choses à discuter, je ne le sens pas pressé, c’est-à-dire que je ne suis pas poussé dehors. C’est quelque chose d’important, spécialement quand ça va pas. La moindre chose que je remarque dans les bilans, ou dans quoi que ce soit, je demande, même si je sais que cela fait quatre fois que je demande si c’est le HDL ou le LDL, le bon cholestérol, cela fait longtemps que je devrais le savoir mais je redemande. Cela se passe très bien, même s’il y a des choses sur lesquelles je ne transigerai pas. Aussi bonne que soit la relation avec mon médecin actuellement, s’il y a un truc qui ne va pas dans ce domaine-là, ce n’est pas un ami, c’est mon médecin et il est là pour me soigner.

Matthieu : je suis très hésitant de ce que je vais dire et peut-être que cela vous semblera complètement à côté de la plaque. Tant pis, je n’ai pas du tout votre expérience, puisque je vois très peu mon médecin, mais tu as employé l’expression d’égalité dans le rapport médecin-patient, et ça me rappelle le discours qui s’est développé autour de la relation prof-élève et de l’égalité et les catastrophes que, selon moi, cela a donné. Bien sûr, la relation prof-élève et la relation médecin-patient, ce n’est évidemment pas la même chose, mais il me semble que l’évolution de la relation du prof à l’élève, à la faveur de la démocratisation de l’enseignement, comme en fait l’évolution du rapport médecin-patient à la faveur de l’apparition du sida, s’inscrit aussi dans une problématique commune qui est celle du rapport des individus aux institutions, institution médicale d’une part, institution scolaire de l’autre. Je me permets seulement de faire ce rapprochement dans ce cadre-là, pour dire qu’il ne faudrait pas qu’il y ait un discours de suspicion qui se développe de la part des patients. Je ne parle juste que des mots. Ce que je constate, c’est un rapport qui ne serait pas seulement celui d’un sujet qui serait le médecin, par rapport à un objet qui serait le patient, l’objet de son analyse, l’objet de son savoir, mais ce serait plutôt une interaction à construire entre deux sujets. Je propose un autre discours qui n’est pas celui de l’égalité entre les deux, mais plutôt une interaction entre deux sujets. C’est sur les mots que je m’interroge. Les mots ne sont pas innocents, ça implique des comportements.

Hervé 2 : il s’agit que les malades, quels qu’ils soient d’ailleurs, prennent leur sort en main, c’est-à-dire qu’ils soient sujets et non plus un simple objet. C’est le malade qui décide en dernier ressort ; maintenant s’il est intelligent, il prend naturellement des avis auprès de personnes qui ont un certain savoir, une certaine technique, qui ont appris des choses, etc., mais en dernier ressort, c’est lui qui décide. C’est à lui seul de prendre ses responsabilités. Alors, il prend de mauvaises décisions, il en prend de bonnes, mais qu’il s’en prenne à lui-même après si, effectivement, il y a quelque chose qui ne va pas.

Matthieu : je ne dis pas autre chose, je suis complètement d’accord. Et justement ce sont les mots qui comptent parce que, là, les mots que tu utilises, c’est plutôt ‘objet’, ‘sujet’, ce sont des choses comme ça et ce n’est pas « égalité ».

Catherine : oui, c’est vrai que c’est une question de mots et on y fait très attention et justement le mot suspicion reparaît effectivement, mais en même temps, ils ont un savoir, il faut les écouter etc., mais à eux de nous écouter aussi, parce que c’est nous qui vivons avec cette maladie dans notre corps. Quand moi, je te dis, par exemple, que je suis persuadée que pour les hommes, ce n’est pas la même chose que pour les femmes, c’est parce que je connais mon corps, il y a des choses qui ne sont pas pareilles. Maintenant je hurle quand je suis chez le cardiologue et qu’il ne veut pas entendre, et qu’il me dit que c’est à cause de la cigarette que j’ai eu un infarctus. Mais non ! Je ne veux pas entendre ça ! D’accord, il y a la cigarette, mais il n’y a pas que ça. Il faut d’abord que l’on sache quoi. Peut-être que ce ne sont pas les médicaments, peut-être que ce n’est pas le virus, et ce n’est pas de la suspicion. Toi, tu connais mieux ton corps que le médecin en face. Quand on parle des dérèglements hormonaux etc., je veux qu’on arrête de me dire que c’est parce que je vieillis que j’ai des problèmes hormonaux. Non ! Je ne veux pas entendre ça. Je vieillis, c’est la vérité, mais je vois qu’il y a des problèmes avec les antirétroviraux, avec certains antirétroviraux. Ce n’est pas de la suspicion. C’est juste qu’il ne faut jamais oublier que c’est nous qui sommes malades et un jour, c’est nous qui crèverons.

Médéric : quoi qu’il arrive, les médecins, pour toutes leurs décisions, le font par rapport à ce qu’on leur dit et s’il y a des choses qu’ils ne veulent pas entendre, ils font mal leur job. Personne n’est à l’abri d’une erreur. Et ce n’est pas parce qu’un médecin est reconnu ou parce qu’il pense qu’il fait bien son travail qu’il le fait bien. Et en l’occurrence, un défaut d’écoute, c’est un indice qu’il y a quelque chose qui ne va pas.


Merci à Hervé X, Albin, Hervé Y, François, Fred, Catherine, Médéric, Albert, Matthieu, Stéphane, Gordon pour leur participation active.