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grâces médicales : attendre et mourir

vendredi 2 mars 2001, par Act Up-Paris

Condamner un malade à la prison, c’est menacer gravement son état de santé. Lui refuser une grâce médicale, c’est le condamner à mort.

Hier, des militants d’Act Up-Paris ont manifesté devant l’Administration Pénitentiaire, rue du Renard à Paris, afin de dénoncer une fois de plus la difficulté pour les détenus malades ou atteints de pathologies graves d’obtenir une grâce médicale.

Dénoncer les lenteurs administratives et l’archaïsme criminel de ce dispositif n’est pas nouveau pour nous. Nous avons toujours eu, depuis notre création, à nous préoccuper des détenus malades du sida ou atteints de pathologies graves : à l’époque les demandes de grâces étaient nombreuses, ainsi que les décès ; et les grâces n’étaient accordées qu’aux personnes en fin de vie, le plus souvent la veille de leur mort.

En 1996, un rapport sur les grâces médicales a été demandé au Professeur Gentillini et à M. Pradel par H. Gaymard et J. Toubon, alors ministre de la Santé et de la Justice. Le pré-rapport restera lettre morte pour cause de dissolution. E. Guigou et B. Kouchner, nommés en 1997, M. Lebranchu et D. Gillot à leur suite, ne rouvriront pas ce dossier, malgré nos pressions. Des rendez-vous, des courriers communs avec d’autres associations ayant les mêmes difficultés sur ce dossier, une action contre l’administration pénitentiaire en février 2000, une manifestation au mois de novembre 2000 , rien n’y fait, les détenus malades continuent d’attendre qu’on s’interesse à leur sort.

Aujourd’hui, la prise en charge médicale des personnes atteintes par le VIH/sida s’est améliorée. On meurt moins, mais on en meurt encore. Les conditions de détention, elles, n’ont pas évolué, et une pathologie comme l’infection à VIH est incompatible avec l’enfermement. En prison, les contraintes d’une multithérapie antirétrovirale sont aggravées. On peut moins bien soigner les infections opportunistes. On ne peut choisir son médecin. Garder son état de santé confidentiel est impossible. Le matériel d’hygiène (savon, papier toilette, etc.), mais aussi les vitamines et les compléments nutritionnels, dont ont souvent besoin les séropositifs, sont à un prix inaccessibles. Bref, la prison est pathogène. Les malades doivent en sortir.

Les grâces médicales devraient permettre de libérer rapidement une personne atteinte d’une maladie grave. Dans la réalité, il n’en est rien. Le dispositif est complexe, d’une lenteur extrême. Il exclut d’emblée les détenus en préventive, puisqu’il faut être condamné pour pouvoir en bénéficier. Pour les détenus purgeant une peine, il faut atteindre un stade avancé de la maladie pour demander une grâce médicale. Elle est adressée au Président de la République, qui la transmet à la Chancellerie. Cette dernière doit nommer un médecin expert qui rend son avis. Enfin, le Président de la République, ayant tout pouvoir, gracie ou non, selon son humeur. Le parcours est trop lent, les refus nombreux. Ainsi, Act Up a déposé une demande de grâce pour un détenu le 31 mars 2000. Malgré nos relances, nous n’avons toujours pas de réponse. Ce détenu a entre temps fait une grève de la faim, qui a aggravé son état de santé. Qu’importe, pour l’administration pénitentiaire, puisqu’il n’est pas encore mort.

Il n’existe aucune étude de la part des ministères de la Justice ou de la Santé sur les grâces médicales : combien de demandes sont adressées par an ? Combien sont refusées ? Combien sont accordées ? Avec quel délai de réponse ? Ce silence montre bien l’indifférence des pouvoirs publics face à la situation dramatique des malades en détention.

Marylise Lebranchu nous promet une loi pénitentiaire avec, peut-être, une réforme du système des grâces. Les détenus gravement malades n’ont pas le temps d’attendre l’automne prochain, les débats parlementaires, le vote de la loi, les décrets d’application. Les administrations doivent dès maintenant raccourcir les délais de traitement des dossiers, prendre en compte les demandes de tous les détenus atteints d’une pathologie grave, et non pas seulement les personnes en fin de vie, et assurer l’indépendance des médecins-experts qui sont nommés.

Sans ces mesures concrètes, immédiates, les administrations et les pouvoirs publics se rendront complice de l’aggravation de l’état de santé de tous les détenus atteints de pathologies telles que le VIH. Nous en avons assez que les débats qui agitent régulièrement l’opinion publique et les politiques sur l’état catastrophique des conditions de détention n’aboutissent à rien, si ce n’est à construire des prisons neuves.

Que les pouvoirs publics libèrent les sans-papiers, les usagers de drogue, les prostituées, les précaires, les malades et tous les autres.

Une réforme immédiate du dispositif des grâces médicales serait, en attendant, une première étape vers la libération de tous les détenus atteints de pathologies graves.


Tribune parue dans L’humanité daté du vendredi 2 mars 2001