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Gay Pride : un an plus tard

Gouverne et ment

juin 1998

Jospin : le règne de la majorité

La législation doit être modifiée chaque fois qu’elle s’avère injuste ou insuffisante ". C’est ce que Lionel Jospin écrivait au CSRH en mai 1997 à propos de la situation des homosexuels ; " il reste beaucoup à faire, ajoutait-il, pour que l’égalité des droits pourtant garantie par notre constitution ne soit pas un vain mot dans notre société ". D’où la promesse d’abroger les lois Pasqua-Debré (Bercy, mai 1997) ; d’où la conviction que " la révision de la loi sur la toxicomanie du 31 décembre 1970 peut et doit être envisagée, notamment à la lumière des pratiques et des expériences menées chez nos voisins européens " (Interdépendances, juin 1997). Tant de cynisme confond. Sur chacun de ces fronts, non seulement rien n’a changé, mais les résistances sont accrues : le droit des étrangers a été durci ; les couples homosexuels restent exclus du mariage ; les militants anti-prohibitionnistes essuient des condamnations pénales ; les chômeurs doivent rallier la " société du travail ", etc. En fait, les reniements de Lionel Jospin sont très cohérents : ils épousent une ligne majoritaire et travaillent à refermer les béances que nos revendications minoritaires ne cessent d’ouvrir.

Guigou : ne pas toucher aux choses

Elisabeth Guigou est une femme respecteuse des choses. En janvier 1998, aussitôt après avoir écrit à Jean-Paul Pouliquen qu’elle tient à " voir rediscuter dès 1998 un texte ayant pour objet d’améliorer la nécessaire solidarité entre deux personnes ayant un projet de vie commun ", elle précisera qu’il " faut faire très attention dans l’élaboration de ces textes pour qu’ils ne touchent pas à l’ordre symbolique des choses ". En août 1997, elle déclarait dans Le Monde qu’il " faut privilégier les alternatives à l’incarcération " ; mais le souci de ne pas toucher aux choses l’a conduit, en avril 1998, à s’opposer à une proposition de loi visant à limiter massivement le recours à la détention provisoire et à imposer le principe de l’encellulement individuel des prévenus. En mai 1998, elle déclarait dans la revue de l’OIP qu’il " faut permettre aux détenus un accès aux soins équivalent à celui de l’ensemble des citoyens " ; mais puisqu’il ne faut pas toucher aux choses, elle ne fera rien pour assurer en prison la mise à disposition de matériel d’injection stérile pour usagers de drogues, ni pour faciliter l’accès des détenus aux soins dentaires, ni pour permettre la libération anticipée de personnes atteintes de pathologies graves. Elisabeth Guigou, pourtant, sait prendre des risques et brusquer le réel : elle a rendu obligatoire l’affichage de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans les prisons françaises...

Chevènement : le lapsus de la gauche plurielle

150 000 sans-papiers fichés dans les préfectures, 80 000 d’entre eux promis à l’expulsion, des grévistes de la faim qu’on laisse agoniser pendant 50 jours avant de négocier : de Jean-Pierre Chevènement, nous attendions le pire et nous l’avons eu. En juillet 1997, il demandait aux préfets d’appliquer sa circulaire de manière " ouverte et généreuse ". En septembre, les adjectifs chers à Jean-Louis Debré resurgissent : le projet de loi sur l’immigration proposé aux parlementaires sera " digne mais ferme ". Peu après Jean-Pierre Chevènement réhabilite la sécurité comme " droit républicain fondamental ". Il peut alors se lâcher : ceux qui enfreignent les lois de la République sont des sauvageons à la solde de l’étranger qui répondront de leur incivisme lors du Jugement Dernier. N’ayant pas promis l’abrogation des lois Pasqua-Debré, il n’a pas eu à se renier : il mène depuis le début une politique de droite, dont la seule évolution consiste en l’abandon progressif d’un langage de gauche. A ce titre, Jean-Pierre Chevènement n’est pas un renégat, c’est un lapsus : le lapsus droitier de la gauche plurielle.

Kouchner : peu de bruit pour rien

Soyons justes : Bernard Kouchner ne fait pas partie de ces soixante-huitards qui ont renié leurs idéaux de jeunesse en entrant dans les cabinets de la gauche officielle. C’est peut-être pire : en public ou en privé, il persiste à afficher des positions progressistes, mais se refuse obstinément à les mettre en pratique. Interviewé par Têtu peu après sa nomination, cet homme de gauche envisage des campagnes de prévention grand public en direction des homosexuels, que nous attendons toujours. Signataire de l’appel du 18 juin et rédacteur d’un texte de la Coordination Radicale Antipohibitionniste qui préconise " l’organisation par l’Etat du marché des drogues ", il se refuse pourtant à modifier la loi de 1970, n’oeuvre pas à l’élargissement de la palette de substitution et n’apporte aucun soutien à la " boutique " menacée de la rue Beaurepaire. Bernard Kouchner aime à se présenter comme un réformateur esseulé en butte à l’inertie de ses collègues, et qui en souffre ; il s’agit plus probablement et plus prosaïquement d’une forme assez banale de lâcheté.

Aubry : une femme qui ne varie pas

Le 1er juillet 1997, Martine Aubry écrit à Act Up-Paris. Elle tient à nous rassurer : " je me permets de vous préciser que j’ai été parmi les premiers signataires d’un appel en faveur du CUS publié dans Le Monde du 22 juin 1996. Il va de soi que ma position n’a pas varié depuis ". Rassurés, nous ne le sommes qu’à moitié. Après tout, cet hiver, elle n’a pas eu besoin de faire varier sa " position " pour passer de la lutte contre le chômage à l’évacuation des chômeurs. A ce titre, Martine Aubry résume le rapport du PS aux minorités en luttes : carotte égalitaire pour remplir les urnes, bâton policier pour vider les rues.

Royal : la Christine Boutin du PS

Signataire de l’appel en faveur du CUS publié dans Le Monde en juin 1996, Ségolène Royal déclarait pendant l’été 1997 : " je suis favorable à une reconnaissance du couple homosexuel en alignant sa situation sur celle de l’union libre hétérosexuelle. " Après une telle audace, probablement rattrapée par un remords de mère, elle laissera ses préoccupations glisser de l’égalité juridique des couples vers la protection morale des familles. En sacrifiant au passage les exigences de la santé publique : au début de l’année, elle s’oppose à la diffusion d’une plaquette de prévention DGS/CFES destinée aux écoles primaires et aux collèges, sous prétexte " d’incitation à la débauche " ; en avril, elle dénonce l’irresponsabilité des signataires de l’appel des 111, coupables de donner le mauvais exemple à la jeunesse en matière de drogues. Le PS a trouvé sa Christine Boutin.