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Immunothérapie et Interleukines

Immuno de 2 à 7

jeudi 2 mars 2006

Si l’interleukine 2, candidate à l’essai dans la stimulation du système immunitaire est déjà entrée dans l’arsenal thérapeutique contre le VIH, l’interleukine 7, autre cytokine récemment introduite dans les essais cliniques, semble elle aussi intéressante dans le domaine de l’immunothérapie. Explications.

Malgré une réponse immune forte accompagnant les premiers temps de l’infection par le VIH, le contrôle de cette infection par le système immunitaire n’est pas assuré sur le long terme, contrairement à ce qui peut se passer pour d’autres infections virales. Ce contrôle devient défaillant et conduit à une immunodéficience sévère parce que certaines cellules cruciales de l’immunité sont les cibles directes ou indirectes du virus. Il s’agit tout particulièrement des lymphocytes T dits CD4, infectés du fait qu’ils présentent le récepteur au VIH nommé CD4, avec lequel le virus va interagir pour déclencher la séquence d’événements lui permettant de pénétrer dans la cellule (lire l’article sur les CCR5. Quoique permettant de réduire la multiplication virale du VIH, les traitements antirétroviraux ne permettent pas un retour à la normale de la défense immunitaire. L’immunothérapie pourrait assurer ce retour. Des essais ont lieu depuis de nombreuses années chez les personnes vivant avec le VIH pour stimuler leur système immunitaire défaillant. L’interleukine 2 (IL-2) et l’IL-7 plus récemment sont aussi évaluées pour reconstituer les populations de lymphocytes T chez des personnes présentant un déficit immunitaire après chimiothérapie anticancéreuse ou lors de greffe de moelle osseuse.

Le système immunitaire

Pour lutter contre un corps étranger qu’il soit pathogène (bactérie, virus, etc.) ou non, et parfois même contre lui-même (on parle de maladies auto-immunes), l’organisme dispose de plusieurs stratégies. Celle qui permet d’enregistrer en quelque sorte la nature de l’agresseur passe par les lymphocytes. Une mise en mémoire permettra de réagir plus rapidement et plus intensément (qu’au premier contact) lors d’une nouvelle agression par ce même corps étranger. L’efficacité et la spécificité du système repose sur l’existence d’une multitude de sous-populations pré-existantes de lymphocytes, chacune reconnaissant un élément (appelé antigène) susceptible d’être présent dans un corps étranger (ce motif est appelé antigène). Ce répertoire très élevé de motifs reconnus permet d’enclencher une réponse de deux types contre l’agent étranger : une réponse dite humorale qui passe par les lymphocytes B qui produisent des anticorps et une réponse dite cellulaire assurée par les lymphocytes T qui expriment un récepteur spécifique à leur surface (récepteur T). Dans chaque sous-population, l’anticorps ou le récepteur T reconnaît spécifiquement un seul antigène.

Avant d’avoir rencontré son antigène, la sous-population de lymphocytes (B ou T) est dite naïve. Après cette rencontre, elle va être amplifiée par multiplication cellulaire (on parle de prolifération) et activée pour produire des anticorps (lymphocytes B) ou devenir effectrice (lymphocytes T) pour détruire les cellules porteuses d’un antigène de l’agent étranger. Lorsque l’agent a été éliminé (ou du moins n’est plus visible par les cellules lymphocytaires), la plupart des cellules de la sous-population amplifiée meurent, mais quelques cellules survivent et assurent la mémoire de cette rencontre. Ces cellules sont prêtes à agir plus vite et plus intensément lors d’une nouvelle confrontation qui va induire de nouveau leur prolifération et activation.

Les lymphocytes chez l’adulte proviennent de précurseurs qui se développent dans la moelle osseuse. Une partie de ces précurseurs va se multiplier et évoluer -se différencier en jargon scientifique- pour migrer vers la rate pour y évoluer encore et produire les lymphocytes de type B. Une autre partie de ces précurseurs prendra la route vers le thymus où l’environnement est favorable à leur évolution en lymphocytes de type T (pour thymus). Deux sous-types majeurs vont émerger qui expriment soit le récepteur CD4, soit le récepteur CD8 et qui vont se disséminer dans l’organisme (ils sont alors appelés lymphocytes périphériques). Les lymphocytes CD4 (auxiliaires ou helper en anglais) aident d’autres cellules à accomplir leurs fonctions (lymphocyte B, macrophages), alors que les CD8 (lymphocytes T cytolytiques) vont tuer les cellules infectées par un virus par exemple (source d’antigènes). C’est aussi dans le thymus que va se constituer le répertoire des cellules T évoqué ci-dessus. Environ 100 millions de types distincts de cellules vont y apparaître (les sous-populations précédemment évoquées) suite à des réarrangements de gènes, chaque type étant caractérisé par l’expression d’un récepteur T distinct qui permet la reconnaissance d’un antigène ou d’un élément étranger au corps humain.

Buts et stratégies de l’immunothérapie

La durée de vie des lymphocytes est variable selon leur type, localisation et fonction. Il y a un perpétuel renouvellement de ces populations cellulaires dans l’organisme par les processus qui viennent d’être décrits. En induisant la destruction des cellules CD4 et donc potentiellement de certaines des sous-populations évoquées ci-dessus, le VIH participe à l’appauvrissement du répertoire des cellules T prêtes à défendre l’organisme contre des éléments étrangers. Une stratégie thérapeutique visant à reconstituer ce répertoire, en agissant sur les cellules précurseurs dans le thymus, est donc potentiellement plus avantageuse qu’une stratégie visant à amplifier uniquement les populations de cellules mémoires périphériques restantes, mais seuls les résultats cliniques le montreront.

Ces types de stratégie ne sont pas utopiques. Effectivement, tous les événements qui participent au développement du système immunitaire et à la réponse immune (différenciation, migration, prolifération, survie cellulaires, constitution et maintien des répertoires d’anticorps et du récepteur T) sont possibles parce qu’il existe un ensemble de facteurs produits localement et diffusant dans les tissus ou l’organisme entier : les cytokines. Parmi ces médiateurs solubles, il y a la famille des interleukines produites par les cellules de l’immunité. L’une d’entre elles, l’interleukine 2 (IL-2) fait déjà l’objet d’essais cliniques depuis de nombreuses années. L’interleukine 7 (IL-7) fait l’objet d’essais cliniques depuis peu, dont l’essai CYT 99 007, une phase I évaluant sa sécurité d’injection en complément d’un traitement antirétroviral, et éventuellement son activité. Elle est déjà utilisée en cancérologie.

IL-2 et VIH

L’interleukine-2 (IL-2) est principalement produite par les lymphocytes CD4 activés. Elle agit sur leur multiplication cellulaire (prolifération) et les pousse à synthétiser d’autres cytokines en plus grande quantité. Elle active aussi les lymphocytes de type NK (tueur naturel) en augmentant leur potentiel de destruction de cellules et agit sur leur prolifération, comme sur celle des lymphocytes B. La synthèse d’anticorps par les lymphocytes B est stimulée par l’IL-2. Ces effets participent à la défense de l’organisme contre les agents pathogènes. Chez les personnes vivant avec le VIH et traitées par des antirétroviraux, l’administration d’IL-2 recombinante entraîne une augmentation du nombre de lymphocytes CD4 (L’aldesleukine (Proleukin®), était initialement prise par voie intraveineuse, mais maintenant par la voie sous-cutanée est moins contraignante). Cet effet est dû à une prolifération accrue et à une prolongation de la durée de vie de ces cellules. Cependant, plus le système immunitaire est atteint, moins l’IL-2 est efficace. La plupart des essais ont aussi montré que l’IL-2 n’affectait pas la charge virale. Deux essais majeurs internationaux de phase III sont en cours : ESPRIT- ANRS 101 et SILCAAT-ANRS 122. Ces deux études dont les résultats sont attendus d’ici un an, visent à évaluer l’efficacité de l’IL-2, notamment par rapport à l’apparition d’événements signant l’entrée au stade sida. Mais le bénéfice clinique ne sera peut-être pas au rendez-vous, car l’effet d’amplification ne concerne pas tous les types de lymphocytes CD4 (lymphocyte naïf, mémoire, effecteur, etc.). Ils n’ont pas les mêmes fonctions dans la réaction immune, ni les mêmes distributions tissulaires. L’IL-2 pourrait aussi avoir un intérêt pour alléger un traitement existant, repousser le début d’un traitement antirétroviral (grâce à des CD4 plus élevés) ou en association avec des vaccins thérapeutiques (grâce à la restauration de la réponse immunitaire) ou au cours d’interruption thérapeutiques. Ceci fait aussi l’objet d’études actuelles.

IL-7 et VIH

L’IL-7 est produite dans l’environnement tissulaire de la moelle osseuse et du thymus. L’IL-7 stimule la survie et l’expansion des populations cellulaires qui sont des précurseurs immatures destinés à devenir des lymphocytes B et T. C’est aussi un co-facteur pour le processus qui conduit au réarrangement du gène du récepteur T. Chez l’adulte, elle assure la survie des cellules T périphériques et régule la multiplication des populations de cellules T naïves et mémoires. Selon le type de lymphocytes, son action est plus ou moins spécifique par rapport à d’autres cytokines (il est sous-entendu que différentes cytokines peuvent avoir des effets similaires sur certaines populations). En particulier, elle assure spécifiquement la survie des cellules T naïves. La production de lymphocytes B est aussi régulée par l’IL-7 (initialement, elle avait été identifiée comme facteur de survie, différenciation et prolifération des cellules précurseurs des lymphocytes B). On sait aujourd’hui qu’elle est requise pour assurer le répertoire des antigènes (encore un processus de réarrangement de gène qui conduit à la diversité des anticorps cette fois). Enfin, l’IL-7 stimule la génération des cellules B dans la rate, les ganglions lymphatiques et la moelle osseuse.

Alors que les premières études réalisées chez les souris indiquaient un effet sur la génération des deux types de lymphocytes, B et T, quelques essais chez le singe ont montré que l’effet est moins marqué dans la population B chez cette espèce plus proche de l’homme. Chez le singe infecté par un virus apparenté au VIH (SIV, Simian immunodeficiency virus), l’effet de l’administration d’IL-7 est aussi plus marqué au niveau de l’expansion périphérique des lymphocytes T que sur leur génération à partir du thymus. L’administration d’IL-7 ne semble pas stimuler la réplication virale dans l’organisme, du moins chez le singe infecté par le SIV, contrairement à ce qui a été observé sur certaines cultures de cellules in vitro. Les essais cliniques devraient apporter une réponse définitive à cette question.

Tous ces résultats suggèrent qu’un effet bénéfique peut être obtenu chez l’homme avec cette interleukine pour augmenter le nombre de lymphocytes T périphériques préexistants ou pour favoriser une nouvelle production à partir du thymus. Les conséquences attendues lors de l’infection à VIH sont une amélioration de la réponse immunitaire en augmentant le nombre de cellules T CD4, en repoussant le moment de leur déclin et en élargissant le répertoire des cellules T. L’IL-7 pourrait aussi augmenter une réponse vaccinale et diminuer les infections opportunistes.

IL-7 et IL-2 : même combat ?

Pour agir, les cytokines doivent rencontrer un récepteur sur les cellules cibles. Les récepteurs des interleukines 2 et 7 ne sont pas tout à fait les mêmes et ne sont pas exprimés par les mêmes cellules cibles. On s’attend donc à des résultats différents lors de l’administration de ces deux interleukines qui agissent donc comme de fins régulateurs des populations lymphocytaires. En effet, comme indiqué plus haut, l’IL-7 peut agir en stimulant la production de nouveaux lymphocytes T par le thymus (renouvellement d’une partie du répertoire perdu lors de l’infection à VIH) et en augmentant le nombre de cellules T périphériques existantes (le répertoire n’est pas renouvelé mais les acteurs sont amplifiés en nombre), alors que l’IL-2 agit plutôt sur ce deuxième aspect. Enfin, l’IL-2 amplifie plutôt les populations de lymphocytes T CD4, alors que l’IL-7 agit sur les deux populations, CD4 ou CD8.

Le bénéfice clinique de l’immunothérapie dans d’autres pathologies comme le cancer est visible après de nombreuses années. Il en sera sans doute de même dans l’infection à VIH. L’avenir proche avec les phases III en cours pour l’IL-2 devrait apporter une réponse, mais il faudra sans doute patienter encore quelques années pour l’IL-7. S’il s’avère que l’immunothérapie restaure effectivement la réponse immunitaire et renforce celle spécifique au VIH, peut-être avec un cocktail d’interleukines, il sera peut-être possible alors de modifier (voire de stopper) les traitements antirétroviraux, sources de toxicités diverses.

À retenir

L’immunothérapie vise à sauvegarder les lymphocytes CD4, cibles privilégiées du VIH, mais aussi à maintenir ou amplifier la réponse immunitaire spécifique du VIH et à restaurer (ou maintenir) et stimuler la réponse immunitaire vis-à-vis des agents pathogènes en général. Les interleukines 2 et 7 sont en cours d’essais cliniques à l’heure actuelle en complément des traitements antirétroviraux. L’ANRS vient de mettre en place une cohorte regroupant les patients traités par IL-2 (dans des essais ou par ATU) pour évaluer l’impact au long cours de ce traitement.