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sida : envie d’en être ?

rencontre avec Jean-François, un de nos militantEs

mercredi 1er juin 2005

Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. A cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde.
Rencontre avec un de nos militantEs, Jean-François.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates.
Je suis né en 1960. 1968 : découverte du plaisir de prendre une douche avec un garçon, c’était en colo. Je ne sais pas pour quelle raison les monos avaient décidé de nous faire prendre les douches à deux ; on avait 8 ans tous les deux, quel plaisir ! 1973 : mon 1er rapport sexuel avec mon meilleur copain. 1975 : mon 1er client. 1978 : je viens à Paris, vivre avec mon copain, j’annonce mon homosexualité à mes parents au passage. 1981 : je pars à Londres pour mes études, puis à New-York en 1982 et San Francisco en 1984. Là je rentre à Paris, c’était trop dur là-bas, tous mes potes mouraient. 1988 : ma première fille, puis deux autres enfants : une deuxième fille en 1990 et un fils en 1992. 1999 : je pars à Londres vivre avec un client. 2003 : je rentre à Paris et j’apprends ma séropositivité.

Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ?
C’était le 3 septembre 2003. Après avoir vu un dentiste à cause d’une gingivite, je vais faire un test de dépistage. Le lendemain, le labo me rappelle pour un deuxième prélèvement et là, surprise, l’infirmière me demande depuis combien de temps je sais que je suis séropo ! Bien sûr, comme je ne le savais pas encore, ce fut comme un électrochoc, et la confirmation tomba quelques jours après.

Dans les années 80, tu avais quel aperçu du sida ?
Ce qui m’a le plus marqué sûrement, c’est le début des années 80. En 1982 j’étais à New York. C’était très bizarre, puis c’est devenu l’horreur. On ne savait pas ce que c’était que ce truc qui nous tuait les uns après les autres. Le pire pour moi, a été en 1984 à San Francisco. On ne se rendait pas vraiment compte, tout ce qu’on voyait c’était les potes qui crevaient, Reagan qui parlait de punition divine, de cancer gay... Les saunas fermaient, là j’ai paniqué, je suis rentré en France et je me suis planqué chez moi pendant presque un an. Un ensemble de sentiments très bizarres tout de même, beaucoup d’inconscience aussi. On baisait beaucoup, genre des partouzes pendant tout un week-end avec des centaines de mecs, tout ça sans capote - j’ai commencé à en mettre en 88 seulement ! comme si j’étais immunisé, que ça ne pouvait pas m’arriver...

A l’époque que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ?
Tout et pas grand-chose... Le souvenir que j’ai, c’est que c’était surtout sexuel, ou par le sang. Mais c’était aussi l’époque où le personnel médical mettait des combinaisons de cosmonautes, alors... et puis on était nombreux à ne pas y croire vraiment, malgré les morts autour de nous. La vraie prise de conscience est venue plus tard, après 1985 en fait.

Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité ?
Un petit retour en arrière d’abord. Quand je me suis installé à Londres avec mon mec en 1999, on a fait un test après 3 mois et le mien était négatif. J’ai sûrement commis l’erreur de ne pas lui demander de voir le sien. Quand je l’ai quitté, en 2003, tout s’est écroulé en même temps. C’est lui qui finançait tout, qui me trouvait du boulot comme photographe, j’habitais chez lui et tout d’un coup : plus rien, plus de mec, plus de boulot, plus de logement et retour à Paris. Là j’ai squatté chez une copine jusqu’à ce qu’un contrat me soit enfin payé et que je puisse prendre un appart. C’est là que je suis venu militer à Act Up. Avant de connaître ma séropositivité d’ailleurs. Je trouvais que la France ne faisait rien pour lutter contre le sida. Qu’il fallait de nouvelles forces. Et puis ça a été une de mes plus grandes chances, d’avoir trouvé à Act Up de vraiEs amiEs et toute l’information dont je pouvais avoir besoin. Et puis j’ai rencontré mon mec fin octobre, dans un bar : on entrait en même temps, on s’est embrassé et on ne s’est plus quitté. C’est vrai que comme on est escort tous les deux c’est plus simple à vivre. Il a très bien accepté ma séropositivité. Tout cela m’a permis de prendre vraiment la décision de continuer à vivre, de comprendre que je n’étais pas seul. En septembre, quand j’ai appris que j’étais séropo, je n’imaginais même plus que j’allais encore pouvoir baiser, même me masturber n’était pas évident, et puis c’est revenu très vite finalement. J’ai quand même mis 6 mois avant de pouvoir rebosser et reprendre des clients.

Avant l’annonce de la séropositivité, comment te protégeais-tu ? Et après ?
Depuis 1988, j’ai toujours eu des rapports protégés avec les clients et en dehors de mes relations conjugales. C’est fou comme on peut imaginer que le couple est un moyen de prévention. En fait, l’annonce de ma séropositivité n’a pas changé grand-chose si ce n’est que maintenant, c’est capote 100 %, en couple et en dehors. Au moins, on n’a pas de questions à se poser. Et puis je n’ai pas envie que mes relations sexuelles soient en fonction de mon statut sérologique ou de celui de mon partenaire, qu’elles soient « sérotriées », alors c’est capote pour tout le monde et voilà.

Raconte-nous ton premier entretien avec ton médecin traitant.
C’était le lendemain de l’annonce de ma séropositivité. Je l’ai trouvé par hasard dans l’annuaire. Il a vraiment été super. Il m’a beaucoup écouté, on a passé 3 heures à discuter. Quand je suis sorti, sa salle d’attente débordait.

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ?
En fait c’est assez simple, je vais à l’hôpital tous les 3 mois après avoir fait une analyse de sang. On constate les diverses évolutions, ma toubib fait un contrôle général et voilà. C’est moi qui ai décidé quand j’allais commencer mon traitement et qui l’ai choisi. Là aussi Act Up a été un apport extraordinaire par l’information et le soutien que j’ai pu y trouver. Pour l’instant je n’ai pas eu de problèmes très importants, on verra bien quand ça se présentera. Une chose est certaine, c’est moi qui décide et pas la toubib. C’est moi qui suis malade et il n’est pas question de laisser quelqu’un décider pour moi.

Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité dans ton entourage ?
Les premierEs à avoir été au courant ce fut mes amiEs d’Act Up. Là c’était facile. Et puis la mère de mes enfants, ma sœur et mes amiEs en général. Ça s’est bien passé au sens où j’ai trouvé un soutien, il n’y a pas eu de rejet. Mes parents et mes enfants, je ne leur ai dit qu’à l’été 2004. J’ai beaucoup hésité, je ne voulais pas de drame. Il fallait que je puisse leur dire sans m’écrouler. Ça a été très fort en fait, ça nous a beaucoup rapprochéEs.

Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ?
La première étape a été pour moi la décision de continuer à vivre. Apprendre ma séropositivité a été synonyme de confrontation avec la mort. Là, c’est très direct. Avec ce virus on sait qu’on y va en accéléré. La décision à prendre en premier est donc de savoir si on arrête de suite ou si on continue, tout en sachant que ça viendra un jour, on ne sait pas quand, mais peu importe. Finalement j’ai décidé que j’avais encore des choses à faire sur cette terre. Il y a ensuite différentes étapes, avant et après trithérapie. Avant on se sent descendre en même temps que les CD4. En septembre 2003, j’étais à 500, en septembre 2004 à 220. Entre-temps j’ai perdu un boulot parce qu’à force de ne pas pouvoir venir à cause des diarrhées ou de la fatigue absolue on finit par te dire que c’est plus la peine de venir, et puis assez rapidement après le début du traitement, les forces reviennent, les CD4 remontent, on peut passer plus de deux heures à la fois en dehors du lit, j’ai repris 17 kg depuis le début du traitement, je n’ai pas vraiment d’effets secondaires, aujourd’hui ma charge virale est indétectable et les CD4 à plus de 500. À part la bilirubine qui est un peu trop forte, tout va bien et le moral est bien remonté aussi. Il y a bien sûr encore des diarrhées, toujours de la fatigue, des baisses de moral, mais globalement c’est tenable.

Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ?
Comme j’ai choisi moi-même mon traitement et le moment de le commencer, je n’ai pas eu de problème particulier. Je prend 5 gélules par jour (Reyataz, Viread, Emtriva et Norvir). Au début c’est beaucoup de nausées, de maux de ventre, de diarrhées, beaucoup de fatigue aussi, et puis petit à petit ça diminue et on reprend des forces.

As-tu trouvé unE girl/boy friend à Act Up ?
Disons que j’ai deux chériEs très intimes avec qui je partage plus que le militantisme. Ça va bien au-delà de simples relations sexuelles.

As-tu déjà souffert de discriminations ?
C’est clair que quand on est pédé, pute et séropo, les discriminations on connaît. Maintenant je ne peux pas dire que ça me touche encore : ça me met en colère, ça renforce ma volonté de les combattre, mais je n’en souffre plus vraiment intérieurement.

Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ?
Ça dépend avec qui. Mais en général non. Si la relation n’est que ponctuelle, je ne vois pas l’intérêt. Si c’est une relation plus profonde, oui, là c’est important. Je ne veux rien avoir à cacher de moi, de ma vie.

Comment vois-tu l’avenir moléculaire ?
Difficile de dire quelque chose à ce sujet. C’est vrai que les nouvelles molécules anti-CCR5 sont porteuses d’espoir, mais les labos sont tellement plus préoccupés par leur profit à court terme et leur cotation boursière qu’on se demande si c’est l’intérêt des malades qui prime. On verra bien, mais je n’ai pas le sentiment qu’on est sur une piste sérieuse nous amenant à l’éradication de ce virus.

Est-ce qu’être différent t’a posé des problèmes ?
Oui forcément. Dans une société patriarcale hétérocentrée et chrétienne ce n’est pas toujours évident. Mais c’est vrai que je suis sorti assez tôt de ce modèle. Finalement je suis très fier de ce que je suis devenu. J’ai pu me libérer de ce carcan très tôt dans ma vie. Sûrement que d’avoir eu mes premiers clients à 15 ans m’a bien aidé à assumer mes différences.

Quelles drogues prends-tu ou as-tu prises ?
Aujourd’hui plus rien. Je ne suis pas bien sûr que ce soit très compatible avec une trithérapie. A 20 ans, c’était différent. Mais à part du haschich, un peu de coke et quelques bonbons divers, je n’ai jamais été très addict.

Comment vis-tu ?
Ça va mieux globalement. Côté boulot ça marche pas trop mal, j’ai plein d’amiEs, des amantEs que j’aime. Mes enfants sont géniaux. Il ne me reste plus qu’à trouver un appart mieux adapté à mes besoins et la vie est belle.

Dans dix ans tu te vois comment ?
Je ne sais pas bien. Je vis plutôt au jour le jour. On verra bien ce que l’avenir réserve comme surprises. L’essentiel finalement c’est toujours de s’adapter en fonction des événements.

Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ?
C’est sûr que je me serais bien passé du VIH. Mais ça a sûrement renforcé mon tempérament de combattant.

Qu’est ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ?
Evidemment il y a les trithérapies. On ne meurt pas forcément aussi vite qu’avant, mais on vieillit plus vite. On est dans un état plus ou moins dépressif en permanence, sans parler des diarrhées et autres effets secondaires des traitements que l’on ne connaît pas bien encore, les problèmes cardiovasculaires, et puis le virus attaque bien le cerveau manifestement, alors à long terme, dans quel état de dégénérescence on se retrouve ? Mais s’il y a une chose certaine, c’est qu’on ne revient pas en arrière et avec cet alien dans le corps, c’est juste pas facile à vivre...