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IAS 2005 : surcontamination / sur la route des marchands / Brésil contre « Big Pharma »

second volet

mardi 23 août 2005

Second volet de notre compte rendu de la conférence de l’IAS à Rio de Janeiro.

Près de vingt cinq ans après l’apparition du sida le visage du virus est plus connu mais aussi plus changeant. Son incroyable opportunisme profite de toutes les faiblesses individuelles mais aussi collectives. Sa dissémination suit les routes aériennes des voyageurs mais aussi celles, plus obscures, du trafic de drogue. Le Brésil aussi se bat contre ça, mais ce n’est pas le même trafic et ce ne sont pas les mêmes drogues et surtout, l’argent est ici prétendument propre. Quelques beaux thèmes de travail pour ce lundi de juillet à Rio.

Première plénière

C’est une virologiste de renom, Françoise Brun-Vésinet (Hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris) qui préside la première session plénière de la conférence dont l’objet est de définir le « portrait » de l’épidémie d’aujourd’hui à parir de trois thèmes : l’évolution des sous-types viraux au rythme des surcontaminations, l’incroyable dissémination du virus en Eurasie et enfin la prévention et l’accès aux traitements au Brésil.

Retour sur les surinfections

L’américaine Francine E. McCutchan a présenté le travail du programme d’épidémiologie moléculaire mondial soutenu par de nombreuses institutions américaines, européennes et internationales. L’objet de ce programme est de recenser et de mesurer l’évolution des virus VIH-1 et 2. Plus de 40 millions d’individus sont infectés dans le monde, soit par le VIH-1 soit par le VIH-2. Le premier comporte trois types : M, N et O. Le type M lui-même comporte neuf sous-types distincts. Au gré des mutations, de nouveaux types apparaissent créant ainsi de « nouveaux » virus recombinants. Cette grande diversité est une des caractéristiques du VIH : il est capable de produire dix milliards de nouveaux virus par jour chez un individu infecté dont la maladie n’est pas contrôlée. Et chaque réplication de son génome, il peut se produire une erreur de copie. Enfin, lorsque deux virus sont présents, chaque nouveau virus produit peut être le résultat de 7 à 30 recombinaisons entre les brins initiaux de l’ARN du virus. C’est ainsi qu’au fil des années sont apparues 21 formes de virus recombinantes dont certaines sont aujourd’hui devenues majoritaires dans certaines régions du monde comme la Thaïlande ou la Russie. On a constaté également l’apparition d’innombrables « formes recombinantes uniques » (URF) dont la diversité va évidemment croissante. On compte ainsi environ 40% de personnes infectées par un virus « original » au Kenya. Cette diversité des types de VIH ne va pas sans poser des questions tant sur le plan des traitements que de la prévention.

C’est pourquoi il est nécessaire de mettre au point de nouveaux outils capables de déterminer le type de virus présent chez la personne contaminée. Le programme mondial d’épidémiologie moléculaire s’acharne aussi à recenser tous ces variants ainsi que les zones géographiques où ils apparaissent. Actuellement, sur l’ensemble des séquences connues, les six sous-types les plus présents dans le monde comportent quatre sous-types initiaux (A, B, C et D) et deux formes recombinantes (CRF01 et CRF02). Le sous-type C, loin devant les autres, représente plus de la moitié des contaminations dans le monde. De nombreuses épidémies régionales contiennent une grande variété de séquences qui sont en permanente évolution. Pour illustrer cette diversité la chercheuse a comparé la dynamique des mélanges de sous-types viraux en fonction de la mobilité de son hôte — l’homme — grâce à une carte des routes aériennes.

Partout des recombinaisons s’opèrent et la répartition des virus dans le monde changent constamment. Elles sont le résultat des réinfections importantes dans les zones de contact entre souches multiples. Pour corroborer cette hypothèse, la chercheuse a développé un outil d’analyse permettant de suivre l’évolution des virus chez des personnes placées dans des conditions à haut risque. Différentes cohortes de patients en Tanzanie, Ouganda et Kenya représentant des populations rurales et urbaines présentent au départ une diversité de souches virales parmi lesquelles on trouve 26% à 51% de virus recombinants uniques. L’étude ainsi réalisée montre l’évolution des souches recombinantes dans ces populations.

Les conséquences de cette évolution sont les suivantes :
 sur le plan épidémiologique, elles modifient fortement la répartition, la diversité et le nombre de sous-types du virus.
 sur le plan prophylactique, elles inquiètent les chercheurs, notamment dans le domaine des vaccins, qui ont à combattre un virus plus complexe.

D’autre part, il n’est pas exclu que les personnes atteintes de souches multiples et recombinantes puissent transmettre des combinaisons de souches différentes, rendant encore plus complexe le schéma de transmission. Enfin et surtout, il exite de nombreuses preuves que les personnes ayant des souches multiples ont une charge virale plus élevée et une progression de la maladie plus importante. Des hypothèses non encore confirmées proposent que la destruction initiale de l’immunité plus importante prédispose à une maladie plus rapide et à une sensibilité plus grande à la réinfection, que les infections multiples génèrent des virus recombinants plus virulents, plus difficiles à combattre et qui seraient la cause de l’évolution plus rapide dans la maladie. Mais il ne fait pas de doute qu’il existe un effet de synergie entre les charges virales plus élevées et le risque de transmission plus grand liés aux infections multiples.

C’est pourquoi, la connaissance des mécanismes et des conditions de surinfection doivent pouvoir bénéficier aux personnes afin de leur éviter le risque d’évolution plus rapide de la madie ainsi qu’à la société afin d’éviter la diversité des souches à combattre par les traitements et les vaccins. La prévention de la sur-infection devient dès lors un objectif essentiel pour le contrôle de l’épidémie.

Le virus sur la route des marchands

C’est sur les routes du trafic de drogue oriental que nous entraîne ensuite Chris Beyrer, épidémiologiste américain. Sa présentation est centrée sur l’épidémie émergente des régions de l’Europe de l’Est et de l’Asie. Dans cette partie du monde, la grande majorité des personnes contaminées sont les usagers de drogues. Selon les régions, on compte un nombre variable d’homosexuels et de prostituéEs, et en Chine des donneurs de sang.

Dans cette région du monde, l’augmentation du nombre des contamination est survenue à des époques différentes : 1988-1991 à Bangkok, 1998-2002 dans la fédération de Russie ou dans les pays baltes. Dans tous les cas, la progression de l’épidémie a été fulgurante, sans contrôle.

En Estonie, les données épidémiologiques montrent que l’émergence du sida a été précédée par celle, non moins spectaculaire, des hépatites B et C. Parmi les 26 états qui comptent une prévalence supérieure à 20% chez les usagers de drogues, 11 ont connu cette émergence récemment et sont des pays eurasiatiques. Ainsi dans les Républiques de l’ex-Union Soviétique, les chiffres montrent que la prévalence est importante : Belarus (0,2% - 0,8%), Estonie (1,1%), Kyrgyzstan (0,1% - 0,2%), fédération de Russie (1,1%) et Ukraine (1,4%).

La brutale montée des contaminations chez les usagers de drogues est suivie progressivement par une montée moins spectaculaire mais régulière des transmissions par voie sexuelle. Dans tous les cas, ces épidémies chez les usagers de drogues se caractérisent par des points communs : elles ont été explosives (30 à 40% de prévalence la première année), elles sont transnationales, elles initient une épidémie plus générale (comme en Thaïlande, en Estonie, en Russie, en Asie Centrale, en Chine et au Vietnam), elles se distinguent au plan moléculaire et elles sont marquées par une réponse inadéquate en matière de santé publique. Les personnes atteintes sont le plus souvent des hommes jeunes et sexuellement actifs. Ils constituent ainsi la passerelle vers une étendue de l’épidémie par transmission sexuelle. Les prisons ont souvent joué un rôle important, notamment en Thaïlande et en Iran. Mais surtout, ces épidémies suivent les routes du trafic de l’héroïne. Elles ont été ainsi colportées et favorisées dans des pays où l’accès à la prévention et les services de soins sont très limités pour les usagers de drogues mais aussi où se pratiquent des politiques répressives et où les comportements à risque sont criminalisés. On a ainsi montré qu’à partir des pays producteurs, les souches virales qui ont infecté les usagers de drogue de l’Eurasie ont suivi les principales routes du trafic de l’héroïne, le sous-type B de Birmanie vers les provinces chinoises du Yunnan, de là vers le Xinjiang les sous-types B puis C et recombinants B/C, à travers le Laos et le nord-Vietnam et la Chine et vers l’Inde, colportant les sous-types B, C et E et recombinants.

L’exemple du Tajikistan est éloquent : le PIB est de 178$ par habitant, il est situé sur la principale route de l’héroïne entre l’Afghanistan et la Russie dont le trafic représente entre 30 et 50% de l’économie. Le nombre d’usagers est estimé entre 43 000 et 135 000. La prévalence était estimée à 3,85% en 2001 et 95% des usagers disent partager les seringues. Il n’y a ni substitution ni antirétroviraux au Tajikistan. Dans une étude menée à Dushanbe en 2004, parmi 489 usagers de drogue, 12% sont VIH+, 61,2% VHC+ positifs et 15,4% ont une syphilis. L’épidémie émergente actuellement est celle de l’Iran. On estime entre 2 et 4 millions le nombre d’usagers de drogues. Il y a actuellement 10 000 cas reportés de séropositifs. La prévalence est de 15,2% parmi les usagers en attente d’un traitement. L’épidémie est là particulièrement associée au partage de seringues dans les prisons.

Mais la production d’opium reste une des principales ressources économiques de ces régions. La production afghane qui avait atteint son maximum pendant la période des talibans avait pratiquement cessé en 2001. Elle est aujourd’hui revenu au même niveau. L’administration de Bush comme le gouvernement afghan admettent que le contrôle de cette production pourrait prendre des dizaines d’années. C’est pourquoi il est essentiel de mettre en place l’accès aux traitements et la prévention partout où l’héroïne circule. La culture licite comme en Australie pourrait être une solution mais semble difficile dans le contexte politique actuel. Les mesures de prévention qui ont fait leurs preuves sont l’usage de traitement de substitution, les mesures de réduction des risques comme l’échange de seringues, la fourniture de préservatifs, le conseil psychosocial et les interventions comportementales d’éducation par les pairs. Cependant des freins existent à la mise en place de ces mesures. Ainsi, le gouvernement américain continue de refuser toute aide fédérale aux programmes d’échanges de seringues que ce soit au niveau national ou international. La conséquence est immédiate : l’argent du programme PEPFAR ne peut être utilisé pour fournir des séringues propres. Les produits de substitution sont illégaux en Russie et restent limités à quelques programmes pilotes. Aucun gouvernement ne finance la réduction des risques ou l’usage de seringues (sauf Hong-Kong) dans toutes ces régions de prédominance de la transmission chez les usagers. Les politiques sur la drogue restent fortement répressives et les usagers sont criminalisés. Conséquence : l’accès aux antirétroviraux reste totalement marginal voire inexistant pour les usagers de drogues par rapport aux autres personnes atteintes.

Que faut-il changer pour faire avancer les choses ? Augmenter l’accès des usagers de drogue aux structures sociales et de soins, promouvoir une approche non répressive basée sur les droits de l’Homme et les principes de santé publique, réduire la marginalisation et la stigmatisation. Quelques signes d’espoirs ont malgré tout émergé en 2005 :
 la Chine a entrepris un programme pilote de méthadone en 2004 et envisage 20 000 traitements en 2005 ;
 des programmes de réduction des risques ont vu le jour dans 22 pays dont l’Iran et le Tajikistan, des programmes d’échange de seringues en Chine ;
 les traitements de substitution ont été approuvés dans 19 pays dont l’Iran ;
 le fonds mondial a consacré 227,2 millions de $ en Europe de l’Est et en Fédération de Russie ;
 enfin, la Méthadone et la Burprénorphine ont été introduits dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS.

Mais beaucoup de chemin reste encore à faire.

Brésil contre « big pharma » ?

Pedro Chequer est le directeur du programme de lutte contre le sida au Ministère de la Santé brésilien. Au cours de son intervention, il a fait un tour d’horizon sur l’accès aux soins et la prévention au Brésil. Il a rappelé que la réponse du système de santé publique brésilien à l’épidémie de sida est basé sur des principes inspirés par la constitution du pays : une approche compréhensive, un accès universel et équitable, la participation de la société civile. Cette réponse a été initiée tôt, dès 1983. Les études sur l’usage du préservatif indiquent un taux actuel de 63% (chiffre de 2003) chez les jeunes lors du premier rapport sexuel, ce qui est , souligne-t-il, tout à fait comparable aux pays développés.

Les programmes de réduction des risques pour les usagers de drogues ont été introduits à la fin des années 80. Le résultat est la baisse de ce mode de contamination de 23% du total en 1993 à 10% en 2003. Les résultats récents indiquent que 74% des usagers de drogue ne partagent pas de seringues. La prévalence dans cette population est ainsi passé de 63% en 1992 à 37% en 2002. Plus largement, la prévalence de certaines populations mesurées directement est de 0,08% chez les conscrits (2002) et de 0,4% chez les femmes enceintes (2004). Elle est de 6,1% chez les travailleurs du sexe selon une étude de 2000. Comme dans les pays occidentaux, la mortalité a été fortement infléchie à partir de l’apparition des antiprotéases.

Le nombre de personnes sous traitement est en permanente augmentation. Il est à ce jour de 170.000 personnes. Sur les 17 antiviraux utilisés couramment, 8 sont produits localement. Le taux de résistance primaire de 8,3% indique un bon taux de succès des thérapies. Le réseau de suivi qui comporte 81 laboratoires pour la charge virale et 71 pour la mesure des lymphocytes CD4 permet un suivi de qualité. L’accès aux tests de résistance génotypique est possible via un réseau national de 14 laboratoires et de 180 médecins accrédités. Le coût des antirétroviraux a été en constante décroissance depuis 2002 grâce aux investissements du ministère de la Santé dans la production nationale, notamment dans des laboratoires publics, mais aussi grâce aux négociations de prix avec les firmes détentrices de brevets. Le besoin récent de nouveaux produits pour les traitements de seconde ligne de même que l’augmentation importante des besoins ont infléchi cette baisse et en 2005, le prix moyen des traitements a pour la première fois été en augmentation mais il devrait revenir aux limites de 2001 prochainement.

Mais l’augmentation croissante des besoins laisse craindre une situation économiquement insoutenable à terme. Le problème principal est l’introduction de nouveaux antiviraux récents dont le coût est prohibitif : 62,5% des 310 millions de dollars budgétés pour les antiviraux en 2005 sont consacrés à trois produits seulement : l’efavirenz, le lopinavir et le tenofovir (Sustiva en France, Kaletra et Viread). Pedro Chequer s’empresse de préciser qu’il n’existe aucune taxe d’importation d’aucune sorte et que les allégations dans ce sens de certains milieux américains sont totalement infondées. Pour bien comprendre le problème, il suffit de voir l’exemple du Lopinavir (Kaletra produit par Abott) : son prix a baissé de 25% entre 2002 et 2005 alors que dans le même temps le nombre de patients l’utilisant a augmenté de 800% ! C’est ce qui a conduit le ministère de la Santé brésilien à reprendre les négociations avec Abott. Mais les dernières offres de l’industriel ne permettent pas d’espérer un retour des dépenses à des niveaux soutenables. Le prix proposé de 0,99$ par gélule pour 2006 puis décroissant jusqu’à 0,70$ en 2010 n’est effectivement pas comparable à ce qu’il serait en production locale, actuellement 0,69$ qui pourrait être réduit à 0,40$ l’an prochain.

Abott ne propose face à cela qu’un transfert de technologie à partir de 2009, trois ans avant la fin de la protection du brevet. Mais la pression d’Abott pour empêcher une réduction substantielle des prix au Brésil est aussi destinée à mieux contrôler les négociations de prix des autres pays à faibles ressources. La même logique s’applique aux autres antirétroviraux comme éfavirenz, tenofovir et nelfinavir. Néanmoins le ministère de la Santé reste ouvert aux négociations et prendra des décisions en fonction de l’intérêt national dans le respect des législations internationales.

La situation du Brésil va certainement se reproduire ailleurs au fur et à mesure du développement de besoins pour de nouveaux traitements, de seconde puis de troisième ligne. La configuration du marché dominé par des producteurs en situation de monopole génère la situation bien connue de contrôle des prix. Ceci doit être pris en compte dans les prévisions de besoins des années futures. L’absence de transparence sur les données et le contrôle de qualité validés au niveau international sont la cause du nombre réduit de producteurs et réduit la disponibilité des médicaments et la possibilité de réductions des prix. La participation de la société civile est ici essentielle. Le rôle des ONG pour la défense des droits des personnes atteintes par le VIH/sida et le maintient de la pression sur les gouvernements est essentiel. Le Brésil a mis en place dès 2002 des programmes de collaboration entre pays du sud à la hauteur de ses possibilités et qui ont pour but de démontrer la faisabilité des traitements antirétroviraux dans les pays à faibles ressources. Le programme vient d’être étendu et il concerne aujourd’hui le Cap Vert, Saõ Tome & Principe, la Guinée Bissau, le Timor Oriental, la Bolivie et le Paraguay.

Lancé en 2004, le réseau de coopération technologique du VIH/SIDA est un autre exemple de coopération sud-sud. Il englobe le Brésil, la Chine, Cuba, le Nigéria, la Russie, la Thaïlande et l’Ukraine et consiste en un programme de transferts de technologies dans les domaines de la production des antirétroviraux, de la recherche sur les vaccins et les microbicides, des préservatifs et des laboratoires. Cette initiative vise à surmonter les difficultés rencontrées dans ces domaines par les pays à faibles ressources. Dans le même état d’esprit a été créé à l’initiative du Brésil et de l’ONUSIDA le centre de coopération technique international.