Accueil > Traitements Recherche > États Généraux de la recherche : les chercheurs sont-ils prêts à (...)

États Généraux de la recherche : les chercheurs sont-ils prêts à collaborer avec les usagers de la recherche ?

jeudi 4 novembre 2004

Après 8 mois d’une large consultation de la communauté scientifique, les États Généraux de la Recherche arrivent à leur terme. Celui-ci est marqué par la rédaction d’un rapport de 70 pages qui tente de faire la synthèse d’une centaine de contributions. Act Up-Paris dénonce le peu de place accordée dans ce document à la réflexion sur la nécessaire collaboration entre les chercheurs et les associations de malades et/ou d’usagers de la recherche.

Lors des Assises de clôture des États Généraux de la Recherche les 28 et 29 octobre dernier, dans le cadre du débat sur le thème « science et société », Fabrice Pilorgé, membre d’Act Up-Paris et représentant du collectif TRT-5 [1] a dénoncé le fait que ne soit pas clairement affirmée l’importance d’un « dialogue permanent au sein des organismes de recherche, entre usagers et chercheurs ». « Vous, les chercheurs, avez une peur panique que la société vous dicte vos recherches, a-t-il constaté. Pourtant il ne s’agit que de créer des lieux de dialogue entre les malades, la société et les chercheurs, comme cela a été fait par l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le Sida et les Hépatites). S’agissant du sida, la collaboration entre malades et chercheurs a été fructueuse. Une demande d’usagers peut rebondir sur une question de recherche fondamentale sans entraver la liberté des chercheurs. »

Processus

Depuis mars 2003, le collectif « Sauvons la recherche » (SLR), qui regroupe des universitaires et des chercheurs des principaux organismes de recherche publique, se bat avec véhémence contre les désengagements financiers du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. En 2003, les budgets des organismes de recherche publique ont en effet subi des coupes sombres : 20 à 30% des sommes qui devaient leur être versées ont été bloquées par le Ministère des finances.

Le mouvement de protestation des chercheurs a été très largement soutenu par la société civile. Par ailleurs, lorsque SLR a demandé conseil à Act Up-Paris pour la scénographie de ses manifestations, les activistes ont rapidement répondu à la requête des chercheurs.

Pour canaliser le mouvement des chercheurs, le gouvernement a favorisé, au mois de mars, la création d’un Comité d’Initiative et de Proposition (le CIP). Celui-ci regroupait des représentants des chercheurs en colère et des personnalités scientifiques de premier ordre, comme Mrs Beaulieu et Brézin. Le CIP s’est vu confier la responsabilité d’organiser une large consultation, visant à dégager un consensus sur la réforme de l’organisation de la recherche en France.

Dès l’annonce de la création du CIP, Act Up-Paris et Aides ont demandé que des représentants de malades en fassent partie. Il s’agissait, pour nous, d’analyser l’expérience de la collaboration entre chercheurs et malades acquise dans le domaine de la lutte contre le sida, et d’en tirer des enseignements qui pourraient être transposés à d’autres pathologies. A titre d’exemple, le collectif TRT-5 est représenté au sein des groupes de travail de l’ANRS, dont les fonctions sont aussi bien de déterminer les priorités de la recherche, que de choisir les protocoles thérapeutiques qui seront mis en place. Par ailleurs le TRT-5 révise les notices d’information destinées aux patients ; le collectif va même jusqu’à négocier le design des protocoles d’essai, lorsqu’il juge que ceux-ci ne respectent pas l’équilibre entre l’intérêt pour la science et la protection des personnes qui se prêtent à la recherche.

L’initiative des associations Act Up-Paris et Aides visait d’une part à faire comprendre à la communauté scientifique les principes permettant aux malades d’être de véritables « acteurs de la recherche » et d’autre part, à faire inscrire ces principes dans les textes qui réglementent la recherche française.

Devant le refus catégorique du Pr Brézin et le peu de soutien des dirigeants de SLR, des associations de lutte contre le sida se sont réunis sous la houlette du TRT-5 et du CHV (Collectif Hépatites Virales) [2] pour constituer un atelier local dont le but était d’apporter la contribution des associations aux Etats Généraux. La synthèse des travaux de cet atelier local intitulé Les malades acteurs de la recherche a été transmise et intégrée au rapport du ClOEG Paris Centre. Un membre de cet atelier a en outre été auditionné par le groupe de travail « Science et Société » du CIP.

Malades, oubliés de la recherche

Le rapport des Etats Généraux plébiscité par les 850 chercheurs présents aux Assises les 28 et 29 octobre dernier à Grenoble, se veut une synthèse de la centaine de contributions élaborées par les chercheurs regroupés dans des ateliers locaux.

Le 9 novembre prochain, le CIP remettra son rapport final au ministre de la Recherche, François d’Aubert, un rapport qui devrait contribuer à la préparation d’un projet de loi d’orientation et de programmation de la recherche. Ce texte devrait être discuté avec la communauté scientifique cet hiver, puis présenté au Parlement au printemps.

Dans le rapport plébiscité par les chercheurs, les dispositifs suggérés pour renforcer les relations entre les chercheurs et la société civile (une mission interministérielle Science et Société, des conférences de citoyens, une représentation de la société civile dans un Haut Conseil de la Science) sont loin d’être suffisants. On peut légitimement se demander si la communauté scientifique n’a pas manqué, avec ces Etats Généraux, l’occasion d’une salutaire remise en cause de ses relations avec les usagers de la recherche et, au-delà, avec la société toute entière.

Dans le contexte particulier de l’épidémie de sida, l’expérience acquise, notamment par les associations de malades, a révélé de manière inédite l’intérêt d’une collaboration entre malades et chercheurs. Grâce à, ou à cause de, ce dispositif original, la France est au 4éme rang mondial de publication d’articles scientifiques dans le domaine du VIH/sida. Et 10 à 15% des 70 000 séropositifs suivis à l’hôpital participent à une recherche.

Act Up Paris exige que des dispositifs de collaboration entre chercheurs et malades, ainsi que des lieux de dialogue délibératif soient mis en place dans tous les organismes de recherche bio médicale.

Les chercheurs et les pouvoirs publics ont le choix :
 ils peuvent choisir d’accompagner et d’encadrer réglementairement notre demande, qui rejoint les aspirations citoyennes, et la légitimité de la société de participer à l’orientation de la recherche ;
 ils peuvent faire le choix contraire et prendre le risque que la société et les malades eux-mêmes imposent ces lieux de dialogue, comme les malades du sida l’ont fait au début des années 1990 en s’invitant, sans y avoir été conviés, aux réunions des groupes de travail qui déterminent désormais les priorités de recherche à l’ANRS.


[1Le collectif TRT-5 (Traitements et Recherche Thérapeutique) regroupe des membres des associations de lutte contre le sida Act Up, Arcat, AIDES, Actions Traitements, Dessine moi un mouton, Nova Dona, Sida Info Service, Sol En Si.

[2Le CHV (Collectif Hépatites Virales) regroupe des membres des associations Act Up, AIDES, Actions Traitement, Arcat, Sida/Hépatites Info Service, Transhepate, Nova Dona, Association française des hémophiles.