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Sept questions à propos de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie

dimanche 10 octobre 2004, par Louis-Georges Tin

1° Quels sont les objectifs pratiques de cette Journée ?

En pratique, notre premier objectif est de susciter des actions. Elles pourront prendre des formes très diverses : un débat dans une classe, une exposition dans un café, une animation dans la rue, une émission à la radio, une projection dans une maison de quartier, une table ronde organisée par un parti politique, un concours de nouvelles lancé par un journal, une campagne de sensibilisation menée par un syndicat, etc. Ces initiatives pourront êtres portées par des associations LGBT (lesbiennes, gaies, bi et trans), par des organisations de défense des droits humains, mais aussi par des citoyennes et des citoyens de tous horizons. En effet, aujourd’hui, de nombreuses personnes qui ne s’intéressaient pas spécialement à l’homosexualité se sentent de plus en plus interpellées par ce problème qu’est l’homophobie.

Le second but de cette Journée est de coordonner et rendre visibles les actions. Si elles ont lieu le même jour, elles seront d’autant plus visibles et efficaces. Et si ce jour devient un rendez-vous annuel, les médias et l’opinion publique seront d’autant plus attentifs aux questions soulevées, ainsi qu’aux progrès ou reculs constatés. Par ailleurs, ceux qui coordonnent cette Journée pourront faire le compte rendu des actions menées, renseigner les journalistes et favoriser les échanges de bonnes pratiques entre les acteurs de terrain.

Ce projet a un troisième objectif : il s’agit d’inscrire cette Journée au calendrier national dans un maximum de pays, et ensuite, pourquoi pas, de la faire adopter au niveau international. Evidemment, c’est une visée lointaine, si ce n’est utopique. Mais la reconnaissance officielle n’est pas seulement un symbole, encore les symboles sont-ils une chose essentielle, on le sait bien. Elle contribuera à la pérennisation du combat. Elle permettra aussi de montrer que la lutte contre l’homophobie n’est pas seulement l’affaire des personnes homo, bi ou trans, mais qu’elle relève pleinement de l’autorité publique et de la volonté de l’ensemble de la société.

2° Vaut-il mieux parler d’homophobie, ou de LGBTphobie ?

Le mot « LGBTphobie » devrait permettre de tenir compte à la fois des lesbiennes, des gais, des bi et des trans. Malheureusement, ce qu’on voudrait gagner en visibilité, on le perd en fait en lisibilité. Le mot « homophobie » est aujourd’hui connu, et reconnu, dans un grand nombre de pays. Le mot « LGBTphobie » est, lui, à peu près inconnu dans la plupart des pays du monde. Par ailleurs, certains suggèrent même LGBTQphobie pour inclure les « queer ». Pourquoi pas en effet ?

Selon nous, tout est affaire de contexte. Une « Journée Mondiale de la LGBTphobie » aurait évidemment peu de chances d’être comprise du grand public, et encore moins d’être reconnue par les instances nationales ou internationales. Nous n’y gagnerions pas beaucoup. Et c’est pourquoi nous préférons la formule « Journée Mondiale de Lutte Contre l’homophobie », à condition de rappeler sans cesse au grand public que notre combat ne concerne pas seulement l’homosexualité masculine, mais qu’il s’agit tout autant des lesbiennes, des bi et des trans. Dans ces conditions, l’expression LGBT nous paraît très utile afin de mettre en évidence la diversité des problèmes évoqués.

En effet, l’homophobie concerne les lesbiennes (lesbophobie), les gais (gaiphobie) et les personnes bisexuelles (biphobie). Par ailleurs, notre engagement nous porte aussi à combattre la transphobie qui, quoique distincte de l’homophobie puisqu’elle concerne l’identité de genre et non l’orientation sexuelle, renvoie malgré tout à des dispositifs sociaux souvent proches des logiques homophobes elles-mêmes. En définitive, nous refusons les exclusives. Nous parlons de la « Journée Mondiale de l’homophobie », mais nous tenons aussi à rappeler au grand public que nous nous battons pour les droits des lesbiennes, des gais, des bi et des trans, c’est-à-dire pour les personnes LGBT, et contre toutes les discriminations en général.

3° Qu’en est-il justement des autres discriminations ? Cette Journée contre l’Homophobie ne risque-t-elle pas des les occulter ?

Non. S’il importe d’envisager la Discrimination comme un phénomène général, il est nécessaire de la combattre aussi sous ses formes spécifiques — et l’homophobie est l’une de ces formes. Faute de quoi, le discours et l’action demeurent dans l’abstraction, dans l’indifférenciation, si ce n’est dans la confusion.

C’est d’ailleurs l’un des intérêts de la Journée Internationale de la Femme. Elle permet de mettre l’accent de manière spécifique sur l’inégalité entre les sexes. De même, la Journée Mondiale de Lutte Contre l’Homophobie permettra de mettre l’accent de manière spécifique sur l’inégalité entre les sexualités.

Cependant, la lutte contre l’homophobie débouche nécessairement sur l’affirmation des droits sexuels en général, qu’il s’agisse du sexe, du genre, de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle. C’est pourquoi elle rejoint le combat contre le sexisme ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les personnes les plus sexistes sont souvent, en même temps, les plus homophobes. Mais elle rejoint aussi la lutte contre le sida et contre toutes les infections sexuellement transmissibles, l’autonomie sexuelle ne pouvant guère s’exercer sans un accès minimal à l’information et aux soins.

Enfin, la lutte contre l’homophobie débouche aussi sur l’affirmation des droits humains en général. Du reste, les associations LGBT s’engagent souvent bien au-delà des problématiques sexuelles, et elles se trouvent ainsi à l’unisson de nombreux autres mouvements sociaux dont elles sont bien sûr solidaires. Dans ces conditions, la Journée Mondiale de Lutte Contre l’Homophobie favorisera le rapprochement entre les associations LGBT et les associations de défense des droits humains.

4° En quoi la Journée Mondiale se distingue-t-elle de la Marche des Fiertés ?

Ces deux événements se distinguent précisément dans la mesure où ils se complètent :
 au niveau du principe : les Marches mettent l’accent sur la fierté des lesbiennes, des gais, des bis et des trans, qui refusent l’opprobre ; la Journée Mondiale, elle, montre que la véritable honte, c’est l’homophobie, laquelle doit être déconstruite dans ses logiques sociales et combattue sur le terrain.
 au niveau de la pratique : à travers la Marche des fiertés, nous sortons dans la rue pour nous faire entendre de la société civile ; à travers la Journée Mondiale, nous rentrons dans la société civile pour porter le débat au cœur même des institutions, des écoles, des quartiers, etc. On le voit, les deux démarches sont tout à fait symétriques et complémentaires.

Par ailleurs, certaines personnes qui, quoique sensibles au problème de l’homophobie, pensent ne pas avoir leur place au sein d’une Marche des Fiertés, pourraient malgré tout apporter leur contribution à travers l’alternative que constitue une Journée Contre l’Homophobie. De manière analogue, mais à l’échelle internationale, dans certains pays où l’organisation d’une Marche des Fiertés est manifestement impossible, une action contre l’homophobie pourrait être envisagée à l’occasion de la Journée Mondiale, surtout lorsque, officiellement du moins, l’homosexualité n’est pas condamnée par les lois en vigueur. En ce sens, la Journée Mondiale peut constituer un levier politique prolongeant l’action des fiertés pour les personnes ou les pays qui ne peuvent pas (ou ne veulent pas) s’inscrire dans la logique de celles-ci. Mais dans l’ensemble, il est clair que ces deux démarches sont à la fois nécessaires et complémentaires.

5° Parler d’homophobie, n’est-ce pas se complaire dans une attitude de victimes ?

Il est peu probable que les victimes de l’homophobie aient lieu de se complaire dans un pareil rôle. Les actes et les discours homophobes sont une réalité qu’on ne peut (plus) ignorer. Notre but est précisément de dénoncer les violences passées et présentes pour prévenir, ou du moins limiter, les violences futures. Le problème n’est pas l’homosexualité, mais l’homophobie : nous devons donc concentrer nos efforts sur ce terrain.

Que nous le voulions ou non, nous sommes toutes et tous des enfants de l’homophobie. Cependant, le combat que nous menons contre elle, et d’abord en nous-mêmes, nous rend plus forts qu’elle-même. Loin de nous affaiblir dans une attitude de victimes, la connaissance des mécanismes de l’homophobie sociale fait de nous des sujets plus autonomes. C’est pourquoi l’affirmation d’une politique LGBT ne peut se faire sans une déconstruction préalable des logiques qui la rendaient jusqu’alors impossible, et qui la rendent désormais nécessaire.

6° La Journée Mondiale prendra-t-elle la même forme un peu partout ?

C’est peu probable. L’homophobie prenant des formes très diverses selon les espaces géographiques ou sociaux, les réponses apportées seront certainement très différentes elles aussi.

Dans de nombreux pays du Sud, le problème réside dans le mariage forcé (hétérosexuel bien sûr), notamment pour les femmes ; dans de nombreux pays du Nord, c’est l’interdiction du mariage (homosexuel bien sûr) qui est au cœur des débats. Dans certains milieux, les hommes sont exclus ou lynchés sur la place publique, tandis que les femmes sont enfermées ou punies dans le silence des gynécées. Dans certains cas, l’homophobie s’exerce au nom de Dieu, dans d’autres cas, au nom de la Science. Parfois, l’homosexualité est condamnée mais les transgenres sont « tolérés », et parfois c’est l’inverse. Selon les cas, la bisexualité est regardée comme un moindre mal ou comme le comble du vice, etc.

Bref, les situations sont multiples, et le travail de coordination générale ne pourra que révéler la couleur originale et spécifique des initiatives menées ici et là. De fait, depuis quelques décennies, de nombreuses actions très positives ont vu le jour. Les marches des fiertés ont lieu un peu partout dans le monde et sont de plus en plus nombreuses. En 1996, l’Afrique du Sud a ouvert la voie (bientôt suivie par l’Équateur) en affirmant dans sa constitution l’égalité entre tous les citoyens, quels que soient leur sexe, leur identité ou leur orientation sexuelle. Par ailleurs, depuis quelques années, existe aux Etats-Unis une journée du souvenir pour les victimes d’actes transphobes. Désormais, elle est aussi célébrée par des associations en Espagne, en France, au Chili et au Canada. Et depuis 2003, le Canada organise chaque année une Journée nationale de lutte contre l’homophobie dont nous devons nous inspirer.

Enfin, au-delà des initiatives locales ou nationales, deux faits retiennent notre attention dans la mesure où ils mettent en jeu les instances internationales. Le premier concerne la récente résolution présentée par le Brésil à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies pour faire reconnaître les droits des personnes LGBT. Bien entendu, nous ne pouvons que soutenir cette initiative et nous espérons qu’elle pourra être votée au plus tôt, malgré les obstacles rencontrés jusqu’ici. Le second fait est un peu plus ancien, mais n’est pas moins significatif : le 17 mai 1990, l’Assemblée générale de l’Organisation Mondiale de la Santé supprimait l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Ce faisant, elle entendait mettre fin à plus d’un siècle d’homophobie médicale. Dès lors, poursuivant cette logique historique, nous souhaitons que le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme et la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies condamnent également l’homophobie dans ses manifestations politiques, sociales et culturelles en reconnaissant cette Journée. La décision de l’OMS constitue pour nous une date historique et un symbole fort : nous proposons donc que cette Journée mondiale ait lieu chaque année le 17 mai.

7° Quel est donc le calendrier des actions à venir ?

Dans un premier temps, sur la base du texte proposé, nous voulons obtenir un maximum de signatures, par internet ou sur papier, dans un maximum de pays. Elles peuvent émaner d’associations LGBT, d’associations liées à la défense des droits humains, de syndicats, de partis politiques, de citoyennes, de citoyens, etc. Nous souhaitons également obtenir le soutien de l’ILGA (International Lesbian and Gay Association) et de ses branches continentales lors des prochaines réunions (à Katmandou, Budapest et Santiago du Chili).

Ayant réuni un maximum de soutiens, nous voudrions fixer au 17 mai 2005 la première Journée Mondiale de Lutte Contre l’Homophobie. Dans tous les pays où cela sera possible, la pétition pourra être remise officiellement aux autorités nationales ce même jour, de manière symbolique. Cela ne peut que renforcer la dimension internationale de notre engagement, et aider celles et ceux qui se trouvent dans des pays où ces actions ne sont pas encore possibles. Dès lors, nous pourrons dresser un premier bilan qui permettra d’améliorer et d’amplifier les initiatives des années à venir. Nous espérons que notre requête pourra être présentée aux Nations Unies dès la deuxième année ou, le cas échéant, la troisième ou la quatrième année, c’est-à-dire dès que la Journée mondiale aura pris suffisamment d’ampleur pour être présentée de manière significative.

Évidemment, nous ne savons pas quand les Nations Unies reconnaîtront la légitimité et l’importance de nos actions, mais cela ne nous empêche pas de continuer notre combat contre l’homophobie et pour les droits des lesbiennes, des gais, des bi et des trans dans tous les pays du monde.


A propos de la Journée mondiale du lutte contre l’homophobie, lire également Vers une journée mondiale de lutte contre l’homophobie.