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Dossier sexpôle

Connaissez vos ennemiEs

mardi 15 juin 2004

Le débat actuel autour de l’égalité des droits, comme celui sur la criminalisation des prostituéEs, met en évidence les discours stigmatisants qui servent à justifier la répression dont nous, putes, trans, pédés et gouines, sommes l’objet. Revenons sur quelques ressorts de ces discours, pour que chacunE soit mieux à même de les démonter.

CrimininelLEs.

Nous le sommes dès que nous devenons visibles dans l’espace public. En faisant du racolage un délit passible de 2 mois de prison et d’une amende de 3 750 E, la Loi pour la sécurité intérieure (LSI) de Nicolas Sarkozy criminalise de fait la partie visible de la prostitution : la prostitution de rue. La pénalisation ancienne et actuelle de la prostitution de rue, comme celle de l’homosexualité avant 1982, repose sur les notions d’incitation à la débauche ou d’outrage aux bonnes mœurs : notre visibilité est jugée criminelle en ce qu’elle pourrait détourner les autres de leur bonne route, de l’orthodoxie sexuelle, the straight mind. Aujourd’hui la répression prend surtout pour cible les travailleurSEs du sexe, pour autant la dépénalisation de l’homosexualité n’a pas mis un terme à la criminalisation des homos et des trans. D’une part, elle se retrouve dans le fantasme du prosélytisme homosexuel ou, plus grave, dans l’amalgame entre homo et pédophile violeur. D’autre part, les forces de l’ordre continuent de réprimer les déviantEs que nous sommes. Ainsi, régulièrement, des policiers trouvent du meilleur goût de dresser des procès-verbaux à des trans pour « déguisement hors des périodes de carnaval » et, depuis 2 ans, les lieux de drague pédé sont particulièrement fliqués. La répression policière qui sévit sur les lieux de drague est d’ailleurs liée à l’application de la pénalisation du racolage. Les flics tentent d’utiliser le racolage pour criminaliser la présence sur les lieux de drague où, comme avec les prostituéEs, ils voudraient, contre la loi, faire de la possession de préservatifs un élément délictueux. L’année dernière dans le cadre du contrat local de sécurité du IIème arrondissement, le jardin du Carrousel du Louvre a failli être classé comme lieu de prostitution pour y justifier la répression policière.

Malades.

Si l’homosexualité n’est plus considérée comme une pathologie par l’OMS, cela est toujours le cas pour le transsexualisme, et la psychiatrie française continue à pathologiser les trans, trop contente qu’elle est de pouvoir ainsi justifier un contrôle « médical » par les protocoles de sélection au changement de sexe. Ces protocoles sont bel et bien un contrôle coercitif, qui met de côté les transgenres ne souhaitant pas se faire opérer, les lesbotrans, les transpédés, ainsi que les prostituéEs.
Cet enfermement dans la figure du malade a aussi nourri la stigmatisation comme vecteur de maladies vénériennes. L’enfermement des prostituéEs dans les maisons closes était d’ailleurs justifié par le contrôle sanitaire obligatoire dont elles faisaient l’objet. Si la loi Marthe Richard a fermé les maisons closes, pour autant elle ne fait pas disparaître cet amalgame. Avec l’apparition des premiers cas de sida, ce discours est revenu en force, qui fait du sida un cancer gay, puis la ma-ladie des 5 H (Homo, Héroïnomanes, HaïtienNEs, Hémophiles, Horses -putes). Bien que la lutte contre le sida ait permis de démonter cette notion de groupe à risque et les propositions de contrôle sanitaire obligatoire qui en découlent, aujourd’hui encore ce discours se trouve relayé par certainEs politiques. On se souvient de la proposition de Emmanuel Hamel (RPR) de rebaptiser le PaCS "Pacte de contamination sidaïque" ou, au moment des débats sur la LSI, des amalgames faits entre prostitution et sida.

Victimes.

Cette figure de la victime fonctionne à bien des égards comme celle du malade. D’une part, il s’agit de rendre raison de nos différences, de les constituer en tant qu’anormalités pour ainsi définir en creux la normalité, sans qu’il y ait besoin de la justifier. D’autre part, cela permet de disqualifier nos prises de paroles, et de nous réduire à des objets de discours. Enfin, cette figure de la victime autorise l’idée d’une possible rémission et apporte une caution aux entreprises de réinsertion forcée. Mais là où cette catégorisation est encore plus perfide, c’est qu’elle utilise aussi le fantasme du/de la criminelLE, et nous devenons victimes de nos propres communautés, victimes du « prosélytisme homosexuel », de la pédophilie qu’elle voudrait liée à l’homosexualité, de proxénètes que l’on se plaît à ne pas trop différencier des prostituéEs, ou encore du repli sur soi communautariste.