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Le Nord doit payer les traitements pour les malades du Sud

lundi 10 décembre 2001

La XIIème Conférence internationale sur le sida en Afrique qui se déroule du 9 au 13 décembre tombe à point nommé pour rappeler au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et la malaria l’une de ses raisons d’être : financer l’achat de médicaments pour les malades des pays pauvres.

(Ouagadougou) ’ Dans quelques jours, à Bruxelles, les objectifs du Fonds mondial lancé en avril 2001 par Kofi Annan seront finalisés. Or, la plupart des pays donateurs refusent toujours de financer de façon significative les médicaments pour les malades du sida dans les pays pauvres alors que plus 90% des 40 millions personnes atteintes vivent dans ces pays.

Lors de la CISMA qui s’est tenue à Abidjan en décembre 1997, la nécessité de fournir des antirétroviraux aux malades des pays pauvres était pour la première fois abordée publiquement par des chefs d’Etat.

Quatre ans plus tard, environ 200 000 personnes sont sous traitement dans les pays en développement. A l’initiative de quelques gouvernements (Côte d’Ivoire, Ouganda, Brésil, Sénégal, Maroc, Bénin, Chili, etc.), des programmes d’accès aux soins et aux médicaments antirétroviraux ont été lancés. Pourtant, le nombre de malades traités stagne et ne représente qu’une infime minorité des personnes en attente de médicaments.

Les bailleurs internationaux et les pays riches refusent toujours de contribuer financièrement à l’accès aux traitements dans les pays pauvres ; ils bloquent ainsi la mise en place d’une prise en charge des malades du sida à une échelle significative.

Le discours selon lequel des mesures de prévention seules pouvaient endiguer l’épidémie tandis que l’usage des antirétroviraux dans les pays pauvres était impossible a longtemps prévalu. Depuis trois ans, la démonstration est pourtant faite que la mise sous antirétroviraux des malades du sida dans les pays pauvres est techniquement réalisable et indispensable à une politique efficace de lutte contre l’épidémie.

Il y a quelques semaines, à l’occasion de la Conférence Interministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce à Doha, les 142 Etats membres signaient une déclaration reconnaissant la possibilité pour les pays de produire ou d’importer des médicaments génériques bon marché. Après cette victoire politique, seule la mise à disposition de financements conséquents permettra aux pays pauvres de soigner leurs malades.

Aujourd’hui, si l’épidémie continue de tuer des millions de malades chaque année, si 10 000 personnes meurent chaque jour des suite du sida, c’est avant tout parce que les financeurs internationaux se refusent à engager les moyens nécessaires pour stopper l’hécatombe. C’est pourquoi l’achat de médicaments pour approvisionner toutes les structures de prise en charge qui traitent déjà des malades ou qui sont en position de le faire doit être une priorité du Fonds mondial.

Les malades sous antirétroviraux dans les pays pauvres.

Depuis 1998, la mobilisation d’associations de lutte contre le sida, de médecins, la création de fonds nationaux, ainsi que le soutien financier de quelques rares bailleurs, ont permis d’initier la mise sous traitements antirétroviraux de malades dans les pays pauvres.

Ainsi, des centres de prise en charge sont opérationnels dans de plus en plus de pays. Les ONG se sont mobilisées et assurent le lien indispensable entre le corps médical et les malades, de façon à permettre un suivi régulier et adapté, ainsi qu’une bonne compliance des patients dans des conditions de ressources limitées.

Comme en témoigne Joseph Essombo, médecin prenant en charge des séropositifs à Bouaké en Côte d’Ivoire, « les hôpitaux, cliniques et instances de travail dans ce domaine peuvent d’ores et déjà augmenter en proportion les traitements et les soins efficaces, si on leur donne les médicaments anti-VIH/sida qu’ils ne peuvent payer ».

Mais l’approvisionnement en médicaments et le suivi des malades sont menés par des acteurs locaux qui manquent de moyens pour développer leur action, soigner un nombre croissant de patients et éviter les ruptures de stock. De plus en plus de pays sont prêts et élaborent des programmes sans trouver de soutien financier.

La faisabilité de la mise sous antirétroviraux des malades dans les pays pauvres étant démontrée, l’urgence est de renforcer et d’étendre l’accès existant.

Avec les génériques le prix des médicaments n’est plus l’obstacle majeur.

Depuis l’avènement des multithérapies, les bailleurs internationaux utilisent l’argument du prix trop élevé des médicaments pour justifier leur refus de s’engager dans la prise en charge médicale des malades du sida dans les pays pauvres.

Désormais, une partie des traitements anti-VIH est fabriquée directement par des pays, comme l’Inde, la Thaïlande ou le Brésil, et vendus à bas prix.

En octobre 2000, un producteur indien lançait une trithérapie générique à 800 dollars US par an, soit une économie de plus de 90% par rapport aux prix proposés par les multinationales. En février 2001, il ramenait son prix à 350 dollars US. En octobre 2001, un autre producteur descendait à 295 dollars US.

Dans le même temps, l’apparition de médicaments génériques vendus à très bas prix a entraîné un alignement des tarifs proposés par les laboratoires occidentaux.

Les producteurs de génériques ont ainsi prouvé deux choses :
 les médicaments peuvent être vendus à des prix largement inférieurs à ce que l’industrie occidentale a toujours prétendu,
 l’absence de monopole et la concurrence entre producteurs sont les mécanismes les plus efficaces pour obtenir une baisse drastique et durable du prix des médicaments, bien plus que l’éventuelle philanthropie ou les actions de charité des laboratoires.

A Doha, en novembre dernier, l’ensemble des Etats membres de l’OMC se sont prononcés sur les accords sur la propriété intellectuelle et l’accès aux médicaments. Désormais, le dogme du monopole des compagnies privées sur les produits essentiels que sont les médicaments ne fait plus force de loi.

Si depuis trois ans les pressions et les menaces des Etats du Nord et des industriels bloquent la production de génériques et leur exportation dans les pays les plus pauvres, les gouvernements sont à présent libres de produire et d’importer les médicaments sous brevet dont ils ont besoin. En déclarant que « chaque membre [de l’OMC] a le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences peuvent être accordées », les 142 Etats membres ont établi sans ambiguïté la primauté de la santé sur le profit ’ indépendamment même de situations d’urgence nationale.

En se mobilisant et en organisant une alliance de plus de 80 pays en développement face aux industriels des pays riches, les pays du Sud se sont donné les moyens de faire chuter le prix des produits de santé sans être tributaires de la seule bonne volonté des compagnies occidentales, et sans devoir craindre les représailles des pays du Nord qui leur sont alliés.

Ainsi, les pays qui possèdent les capacités de production peuvent désormais fabriquer sous licence obligatoire l’intégralité de la palette thérapeutique contre le sida, et notamment les traitements les plus récents qui ne sont pas disponibles à des prix abordables dans les pays en développement (amprenavir, lopinavir, tenofovir, par exemple). De plus, forts de leur mobilisation, les pays du Sud peuvent rapidement imposer la reconnaissance du droit à exporter en direction des pays les plus pauvres qui ne disposent pas de capacité de production.

Dès lors que le prix des médicaments peut être réduit significativement, plus rien ne devrait empêcher l’indispensable engagement des pays riches à financer l’achat de traitements en masse et le renforcement des structures sanitaires de façon à étendre l’accès aux médicaments pour les malades du sida dans les pays pauvres.

Le Fonds mondial, manœuvre de diversion ?

En avril 2000, Kofi Annan annonçait la création d’un Fonds mondial destiné à collecter 10 milliards de dollars par an pour la lutte contre le sida et déclarait : « il est inacceptable que les malades les plus pauvres ne puissent avoir accès à des médicaments qui ont changé la vie des malades dans les pays riches ».

Conséquence logique de la montée en puissance du débat sur l’accès aux traitements dans les pays pauvres, les gouvernements et les bailleurs de fonds sont alors dans l’obligation de quitter la posture d’attentisme qu’ils conservaient depuis 20 ans. Lors de la Session spéciale des Nations Unies en juin dernier à New York, puis à l’occasion du G8 à Gênes (Italie) en juillet, les pays du Nord se sont donc engagés à alimenter ce fonds.

Les malades des pays pauvres, les ONG et les activistes ont alors pu croire que le Fonds mondial allait marquer un tournant décisif dans la lutte contre l’épidémie : permettre enfin un changement d’échelle en matière de financement et la prise en charge des millions de malades qui n’ont toujours pas accès aux médicaments.

Pourtant, à l’heure actuelle, les promesses de contribution ne représentent qu’environ 1.5 milliards de dollars, pour lutter contre le sida, la tuberculose et la malaria. Nous sommes bien loin des 10 milliards de dollars nécessaires annuellement.

En outre, les réticences à financer les médicaments demeurent. Et les membres du groupe de travail chargés de mettre en place le Fonds mondial et définir ses objectifs ’ majoritairement des représentants de pays riches ’, ignorent ou nient les initiatives de prise en charge des malades dans les pays du Sud et se refusent à considérer l’achat de traitements comme une priorité.

Dans le même temps, les bailleurs internationaux, arguant de l’existence du Fonds mondial, estiment ne pas avoir à financer eux-mêmes directement des médicaments.

Du 13 au 15 décembre 2001, le groupe de travail du Fonds mondial se réunira une dernière fois à Bruxelles pour finaliser ses décisions. Loin de la réalité du terrain et des malades, une quarantaine de personnes s’apprête à statuer sur la vie de millions d’autres.

27 000 personnes dans le monde meurent chaque jour parce qu’ils n’ont pas accès à des traitements contre le sida, la tuberculose et la malaria. Une chose est sûre, si le Fonds mondial se refuse à financer les médicaments antirétroviraux, il aura trahi les attentes de millions de personnes atteintes et de leurs proches. Il aura ainsi perdu l’une de ses principales raisons d’être, et, incapable de marquer un tournant décisif dans la lutte contre l’épidémie, sera d’avance condamné à disparaître. Les bailleurs ne pourront alors plus dissimuler leur inaction derrière l’existence de ce fonds.

Les associations exigent aujourd’hui que soient prises des mesures concrètes qui permettent de sauver des vies sans plus attendre, en mettant les médicaments anti-sida vitaux entre les mains des organisations qualifiées, étatiques ou non-gouvernementales, par le biais des systèmes d’accès et de distribution déjà en place.

 Le Fonds mondial doit s’engager à sauver la vie des personnes infectées par le VIH, la tuberculose et la malaria en fournissant des médicaments. Les traitements contre le sida doivent être tout aussi prioritaires que la prévention ou le traitement de la tuberculose et de la malaria.

 Le Fonds mondial doit donner la priorité et accélérer l’attribution de financements pour l’achat de médicaments aux prix les plus bas, garantis par la concurrence internationale et les achats groupés. Pour cela il ne doit pas contrevenir à l’usage de médicaments génériques abordables pour combattre ces trois maladies mais au contraire y recourir massivement.

 Le Fonds mondial doit financer le plus rapidement possible l’achat de médicaments pour toutes les instances de santé qui peuvent d’ores et déjà délivrer des traitements aux personnes infectées par le sida, la tuberculose ou la malaria.

 Le Fonds mondial ne peut prendre argument de l’insuffisance des ressources pour justifier la mise en place de mesures clairement inadaptées, comme la prévention sans traitement. Les experts sont formels, une prévention efficace passe par une reconnaissance de la maladie et donc une prise en charge médicale des malades. Seuls les antirétroviraux permettent de lutter contre le virus et d’éviter la mort ; ils changent ainsi fondamentalement le rapport à la maladie.

Les intérêts commerciaux des laboratoires ont du céder le pas aux intérêts de santé publique, mais la pingrerie des bailleurs internationaux continue de tuer des millions de malades.

Les pays donateurs doivent tenir la promesse faite en juin dernier, à l’assemblée générale spéciale des Nations Unies, et consacrer un minimum de 10 milliards de dollars par an au Fonds mondial sans bloquer l’accès aux médicaments antirétroviraux.