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Les raisons d’un zap

mercredi 23 avril 2003, par Victoire Patouillard

Les éditions Blanche, qui éditent de la littérature érotique, ont publié en janvier 2003 Serial Fucker, journal d’un barebacker, un livre d’Éric Rémès qui lance un appel à la contamination des militants d’Act Up-Paris. Dans ce même livre, l’auteur prodigue des conseils sur la manière de contaminer quelqu’un à son insu. Plomber quelqu’un, c’est-à-dire le contaminer, devient un motif de fierté : « Pour plomber quelqu’un, c’est également très simple. Il suffit d’un peu de doigté (...). On retire discrètement la capote pendant la baise. On fait semblant de la mettre. Des plombeurs crèvent préalablement les capotes avec une aiguille, etc. » Les militantEs d’Act Up Paris sont traitéEs de « connasses », de « dindes » et le grand jeu auquel l’auteur appelle est de nous contaminer : « J’ai plombé une actupienne, tralalalaire, tralalala (...). La mode est lancée.« 

Vendredi 11 avril, en réaction à la publication de ce livre, douze militants d’Act Up Paris ont zappé le bureau du directeur des Éditions Blanche, Franck Spengler : ils ont d’abord collé sur les murs des affiches noires « les Éditions Blanche veulent notre mort », « Franck Spengler complice du sida ». Ils ont ensuite pris les livres et les documents des étagères et les ont jetés au sol. Les meubles et le matériel informatique n’ont pas été touchés et aucune violence n’a été exercée contre le personnel de la maison d’éditions. Les actions publiques d’Act Up sont des actions non violentes. Si un membre du personnel s’est blessé en voulant empêcher la chute d’une pile de livres, nous en sommes désolés. Depuis ce zap, la seule réponse des Éditions Blanche a été la défense de la liberté d’expression et du droit d’éditer.

Cependant il nous semble que la liberté d’expression ne dédouane pas un éditeur de sa responsabilité dans les ouvrages qu’il choisit de publier. Franck Spengler s’était déjà distingué en publiant les livres homophobes et misogynes d’Alain Soral. Au moment où se confirme la reprise de l’épidémie de sida, il choisit de publier un livre sur le bareback, discours qui valorise les pratiques à risques. La littérature érotique aurait pourtant tout à gagner à se libérer des représentations aliénantes auxquelles elle reste encore attachée après les années de la libération sexuelle et les années du sexe à moindre risque. La rhétorique de la subversion des auteurs barebackers ou d’Alain Soral ne doit pas nous tromper. Les images qu’ils utilisent pour décrire les femmes, les homosexuels ou les séropositifs sont éculées ; elles incitent à la haine, à l’ignorance et à la discrimination.

C’est une autre littérature érotique que nous voulons ; c’est une sexualité vraiment libérée que nous défendons. Car nous savons que c’est dans ce cadre que peut prendre place une véritable prévention du sida. Franck Spengler semble croire que l’on peut appeler impunément à la haine des séropositifs, des homosexuels et des femmes. Il fait mine d’ignorer la violence réelle exercée par les livres d’Eric Rémès et d’Alain Soral. Nous souhaiterions pourtant qu’il ait aujourd’hui le courage de répondre de sa politique de publications.


Cette tribune a été publiée dans L’Humanité du 21 avril 2003.