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Retour du Burkina

novembre 1998

Burkina Faso : " pays des hommes intègres ". 10 millions d’habitants, plus d’un demi-million de séropos (8%) et une épidémie qui explose : la guerre. Mais une guerre propre, qui ne fait pas de bruit. Les séropos ne disent rien : les séropos n’existent pas. Les résultats des tests sont des secrets bien gardés qui circulent sous les blouses blanches des internes. Au service de gastro-entérologie de l’hôpital de Ouagadougou, on a testé tous les malades, à leur insu, pour voir. Sur 96 tests réalisés, 87 positifs, et aucune annonce. Qu’est-ce qu’on fait ? Rien.

Visibilité nulle. Dans la capitale, à Ouagadougou, il n’y a pas d’association de malades, il n’existe que des " associations de soutien aux personnes atteintes ". Mais nous ne sommes pas dupes : personne ici ne s’implique à ce point sans avoir de très bonnes raisons de le faire. Pourtant, personne ne dit jamais les vraies raisons de son combat.

Partout où nous allons, nous rencontrons les responsables des associations, puis " leurs malades ", qui restent muets en la présence des premiers. Les malades ont honte de leur statut ici, ils ne parlent pas. A la troisième visite, les dirigeants sont absents, mais Roch Zongo, lui, est là : un activiste né, qu’un médecin nous a présenté à dessein. Le mélange Zongo/Act Up détonne, ça fomente : " le poing sur la table des médecins (...), leur dire qu’ils ont gâché deux ans de notre vie à ne rien nous dire (...), leur dire qu’on sait maintenant que des traitements existent, qu’on les veut. Maintenant ! ".

Danser = vivre !

Zongo canalise les énergies et la colère de cinq autres malades, autrefois isolés. Ensemble, ils vont créer la première association de personnes atteintes de Ouagadougou. Act Up est dépassé. Deux nuits de discussions et de danse libèrent la fureur de vivre de ces inconnus d’hier. Vie Espoir Solidarité est née. Aux dernières nouvelles, les statuts sont écrits. Les représentants du gouvernement se mettent soudain à les courtiser. Ils nous accompagneront désormais dans nos périples à travers le dédale du Programme Population et Lutte contre le sida de la Banque mondiale.

Génération perdue.

Après 10 jours d’enquête et 40 entretiens, nous avons compris : L’argent de la lutte contre le sida au Burkina Faso, c’est celui que la Banque mondiale a " prêté " : 170 millions de francs à dépenser entre 94 et 99, dans le cadre d’un programme atrocement ficelé depuis Washington ; des millions consacrés à " changer les mentalités " ; de la prévention, toujours de la prévention.

L’experte de la Banque à l’origine de ce programme nous expose les objectifs qui ont présidé à sa conception : " Il fallait limiter l’expansion de l’épidémie. Vous savez, ici, il y a une génération perdue. Il faut faire en sorte que la suivante soit préservée ". Une génération perdue ? Il s’agit juste de cela pour cette experte de la Banque mondiale. Le reste, les " termes de référence " absurdes de ce programme et les procédures impossibles, découlent naturellement de cette logique caricaturale.

Regrets.

Le gouvernement burkinabé regrette d’avoir accepté les termes de ce contrat : l’argent est inutilisable, les objectifs ne correspondent pas aux besoins, les politiques sont pieds et poings liés par les administrateurs zélés qui n’acceptent qu’à regret de payer par bribes les mobylettes, les toyotas et les téléviseurs censés véhiculer des messages de prévention qui n’ont aucun effet.
La Banque mondiale, là-bas à Washington, regrette un peu aussi : ses experts ont fait un audit qui conclut à l’échec, il faut revoir les termes du programme.

Action.

Trois jours d’ateliers rassemblant tous les acteurs concernés, sont organisés à Bonkougou. Les membres du gouvernement -qui nous ont vu zapper la Banque à Genève- nous propulsent devant les micros de la plénière, pour qu’Act Up-Paris dise tout haut ce que tous, ici, pensent tout bas : la Banque mondiale est le premier responsable du retard en matière de dépistage, de prise en charge, de mobilisation des malades, des médecins, des politiques du Burkina Faso. Ses " experts " venus de Washington n’ont d’autre choix que de nous entendre. Eux qui, diront-ils, ont " tant appris en nous parlant ", ne savent pas ce qu’est un CD4, et roulent des yeux interrogateurs lorsqu’on leur parle de Bactrim : " Bactrim, d’accord, mais c’est quoi ? ".

De passage à Paris, les dirigeants de la Banque ont été prévenus : Act Up is watching them. Nous les attendons au tournant de ce programme assassin.