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Bernard Kouchner ment

juin 1999

« Premier faux-pas du gouvernement Jospin ». C’est ainsi qu’Act Up-Paris avait qualifié la nomination de Bernard Kouchner au poste de secrétaire d’Etat à la Santé le 4 juin 1997. Dans le numéro de juillet-août 1997 de la revue Têtu, celui-ci s’était déclaré choqué d’une telle réaction : selon lui, il avait déjà donné, au cours de son premier mandat en 1992, les gages de son efficacité et d’un engagement sincère, notamment en matière de réduction des risques liés à la toxicomanie, dont les résultats n’auraient été visibles qu’après son départ : « L’impulsion a été donnée lorsque j’étais ministre de la Santé et je suis heureux qu’elle ait été prolongée par mes succes-seurs. ». Pourquoi, dès lors, les accusations d’Act Up-Paris ? On interprète l’histoire comme on peut.

Cela fait maintenant deux ans que Bernard Kouchner occupe à nouveau le secrétariat d’Etat à la Santé. Faudra-t-il attendre ses successeurs, pour voir, enfin, les traces visibles de ses engagements ? Car force est de constater que le « faux-pas » s’est transformé en un immense vautrage : Bernard Kouchner ne cesse de mentir aux malades et aux militants que nous sommes.

L’inventaire de ses engagements non tenus est, à cet égard, édifiant. Qu’il s’agisse de ses promesses en terme de campagne de prévention, de ses engagements pour l’abrogation de la loi de 1970, de ses coups de cœur pour la lutte contre le virus de l’hépatite C, de sa volonté de créer un accès à une véritable santé publique pour tous, un seul constat peut être fait : en deux ans, ce fut beaucoup de bruit pour rien.

 Aucune campagne de prévention en direction des homosexuels n’est venue remplacer celle censurée par Matignon en juillet 1998 ;
 le plan de lutte contre le VHC, malgré un lancement fort médiatique, en est toujours au même stade : celui du papier ;
 Les volontés d’abroger la loi de 1970, d’ouvrir la palette de substitution, de développer des recherches sur les interactions médicamenteuses des traitements VIH et traitements de substitution, sont restées vaines ;
 l’engagement du Ministère sur le maintien de la Boutique de la rue Beaurepaire (Paris 10ème) a fini en feu de paille : elle sera prochainement transférée à la gare du Nord ;
 les velléités de créer un véritable accès aux soins et aux droits ont disparu : le projet CMU crée de nouvelles exclusions parmi les exclus eux-mêmes, la réforme du régime des COTOREP (promis pour septembre) n’a pas été engagée, de plus en plus de projets du gouvernement visent à la réduction des droits sociaux accordés aux malades ;
 les cas d’étrangers en situation irrégulière n’arrivant pas à obtenir les traitements dont ils ont besoin sont courants ; là où Bernard Kouchner pouvait faire évoluer la situation, il ne fait que reprendre ce qu’il avait entrepris avec ses prédécesseurs : le cas par cas ;
 les recherches sur de nouvelles molécules pour sortir de l’impasse thérapeutique qui se dessine peu à peu n’ont pas été impulsées ; là où on attend d’un ministre qu’il donne une forte impulsion, nous n’avons qu’un faible remou ;
 l’accueil des toxicomanes reste toujours aussi déplorable même si cela bouleverse notre ministre ; d’ailleurs l’accueil hospitalier des malades du sida redevient peu à peu problématique, montrant les signes d’une déliquescence de ce que nous avions réussi à imposer ;
 la réforme de la DGS n’est toujours pas visible ; cette administration reste toujours aussi décalée, son directeur démisionne après un an de fonction.

On n’en finirait pas de faire le décompte de ses mensonges, de ses engagements non tenus, de ses effets d’annonce non suivis. Pourtant lorsqu’on l’interroge, Bernard Kouchner n’est pas en manque de justifications. Il a, par exemple, « oublié » avoir promis, en juillet 1998 à la conférence de Genève, une campagne de prévention ciblée gay dans des médias grand public. Il se « souvient » d’avoir été interpellé à Genève, mais il ne se « rappelle » plus le motif.

L’oubli et la mémoire sélective sont les fondements de sa méthode. Il l’avoue lui-même, il n’est pas rigoureux, il faut faire avec. Il affirme, par exemple, que les campagnes de prévention sont efficaces, mais est incapable d’en décrire une seule. Comment, dès lors, accorder du crédit au moindre de ses engagements ?

C’est que ses promesses sont vagues. Ne jamais s’engager formellement, ne jamais fournir aucune échéance, fait partie intégrante de sa stratégie de séduction. « On verra » est son expression favorite. Un décret sur l’élargissement de la palette de substitution ? « On verra. ». Accorder l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) aux personnes infectées par le virus de l’hépatite C ? « On verra » (variante : « On peut voir »). Améliorer l’accueil des toxicomanes dans le milieu hospitalier ? « On verra. ». Abroger l’article L630 ? « On verra ».

Il imagine qu’il peut retirer tout bénéfice de cette rhétorique. D’un côté, il affiche un intérêt pour les malades et pour leurs revendications. De l’autre, le flou de ses engagements lui épargne, pense-t-il, d’avoir à rendre des comptes sur un quelconque calendrier, sur d’éventuels résultats.

Malheureusement pour lui, les malades sont exigeants. Les activistes sont rigoureux et exigent un calendrier et des résultats.

Alors il a une dernière parade : sa positon de faiblesse dans le gouvernement. Ses adversaires, ce seraient la lourdeur des administrations et le pouvoir des autres ministères. Appliquer véritablement la loi de 1994 sur la continuité des soins en prison ? Il le voudrait bien, mais l’Administration pénitentiaire et Elisabeth Guigou font obstacle. Régulariser les sans-papiers malades afin qu’ils puissent bénéficier de prestations sociales et d’un véritable accès aux soins ? C’est son plus cher désir, mais cela est du ressort de Jean-Pierre Chevènement, dont on connaît l’attachement à la cause des sans-papiers, malades ou non. Améliorer l’accueil des malades dans les COTOREP et accélérer le traitement des dossiers d’AAH ? Il a dans ses bagages un projet de réforme, mais difficilement applicable, car tout dépend de Martine Aubry, et surtout de Dominique Strauss-Kahn.

Ces derniers prétextes révèlent au moins clairement les priorités de ce gouvernement : les impératifs de la Santé publique sont soumis aux directives budgétaires de Bercy ou aux préjugés de Guigou et de Chevènement. Mais loin de l’excuser, ce jeu des pouvoirs devrait inciter Bernard Kouchner à plus de prudence dans ses effets d’annonce enthousiastes. Comment a-t-il eu, par exemple, l’inconscience de déclarer, à propos du FSTI, que « pour un malade traité au Nord, un malade sera traité au Sud », alors qu’il connaît la réticence de ses partenaires européens et américains à financer ce fonds et la faiblesse de l’engagement de son propre gouvernement (25 millions de francs en 1999 pour sauver le monde du sida) ? Six mois plus tard, il devra d’ailleurs corriger sa promesse à Genève : « pour un malade traité au Nord, des efforts seront faits au Sud ». Susciter de faux espoirs chez les malades, voilà à quoi aboutissent la légèreté et l’inconséquence de Bernard Kouchner.

Ce manque de rigueur n’excuse en rien le secrétaire d’état à la Santé. Bien au contraire, il rend ses mensonges encore plus intolérables. Act Up-Paris va fêter prochainement ses dix ans. En dix ans, jamais nous n’avons eu affaire à un ministre aussi vain ; jamais nous n’avons eu à entendre autant de promesses non tenues et de paroles creuses.

Considérant son passé militant comme une caution suffisante pour se faire « comprendre » et « aimer » des malades et des activistes, il estime que nous devrions nous satisfaire de ces promesses, et que nous n’avons pas à lui demander de comptes. Il se trompe lourdement. Nous n’aurons de cesse qu’il rende effectifs, dès maintenant, les engagements qu’il a pris depuis qu’il est à son poste.


Post Scriptum : soyons justes, il arrive parfois à Bernard Kouchner de dire la vérité. Ou du moins des vérités. Bien profondes. Ainsi, le titre de ce texte, qu’il a publié dans Libération le 15 mai : « Quand on est mort, c’est pour la vie ». On en rit encore dans les cimetières.