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Afrique : résistances au traitement... des séropos

février 2000

Chaque fois qu’il est question d’accès aux traitements, c’est la même levée de bouclier. Les résistances ont été violentes pour les antirétroviraux (et perdurent) : « Ces gens n’ont même pas accès à de l’eau propre pour avaler leurs cachets. Il faudrait d’abord les aider à mourir dans la dignité. La morphine manque, l’accès aux antibiotiques est limité, alors, les antiviraux... ».

Aujourd’hui, Act Up lance une campagne pour l’accès au traitement préventif le plus basique, le cotrimoxazole (Bactrim), et nous nous heurtons au même refus obstiné. Le Lancet, journal scientifique réputé, cautionne d’ailleurs cette attentisme.

« Nous appelons à une discussion plus détaillée sur les rapports coûts/efficacité, car le coût d’un traitement prophylactique (préventif) quotidien (17,5 dollars par an) est plusieurs fois supérieur aux dépenses annuelles de santé dans de nombreux pays à faibles ressources. » (...) « Il serait plus rentable de dépenser l’argent, quand il y en a, non pas pour un traitement préventif mais pour des stratégies d’intervention avec les antibiotiques appropriés lors de la survenue d’accidents cliniques » (...) « une politique d’accès au cotrimoxazole a d’énormes implications au niveau logistique et financier. Il est d’une importance capitale que des essais contre placebo soient conduits dans les zones à fort taux de résistance bactériologique, en prêtant attention aux effets possibles sur la sensibilité de la malaria à la sulphadoxine-pyrimethamine, avant qu’une prophylaxie (prévention) par cotrimoxazole soit largement introduite en Afrique. »

Traduction : « C’est trop cher, contentons-nous de soigner les maladies opportunistes lorsqu’elles apparaissent » ou « attention, il faut bien réfléchir, ces antibiotiques provoquent des résistances, les autres malades risquent d’en pâtir ».

Dès qu’il est question d’Afrique, la communauté scientifique internationale prend des gants, tergiverse, et brandit, comme ultimes arguments pour ne rien faire, le fantasme de la « propagation de multirésistances » et le sacro-saint « rapport coût/efficacité ».

Rappel : le cotrimoxazole, antibiotique à spectre large, est le premier traitement efficace pour prévenir les maladies opportunistes et ainsi retarder la mort. A New York, en 1982, des séropos en prenaient déjà. En 1985, en France, tous les médecins le proposaient à leurs patients infectés. En 1995, l’ANRS a néanmoins jugé nécessaire d’en tester l’efficacité sur les malades d’Afrique. L’efficacité du cotrimoxazole, comparée à celle d’un placebo, étant confirmée (merci la science), un consensus s’est dégagé en Côte d’Ivoire : il faut mettre tous les patients séropositifs sous cotrimoxazole, dès l’apparition des premiers signes cliniques de l’infection.

Lorsqu’Act Up dénonçait cet essai jugé non éthique, l’une des justifications les plus fréquentes des promoteurs était la suivante : les décideurs africains ont besoin de chiffres pour prendre des décisions. Depuis la publication des résultats de l’essai ANRS en mars 98, pourtant, aucun engagement politique n’a été pris pour favoriser l’accès au cotrimoxazole. Nous nous sommes tournés vers l’ONUSIDA qui attendait alors patiemment les résultats d’essais similaires conduits sous son égide en Afrique du Sud : compte tenu de disparités régionales, il était urgent d’attendre... Interpellé à la conférence de Lusaka sur ce sujet, Peter Piot nous promettait enfin une campagne d’information, des recommandations internationales, et un plaidoyer d’ampleur dans les plus brefs délais. C’était en septembre 1999.

Quatre mois plus tard, tous nos interlocuteurs africains ont entendu parler des risques de résistance et s’inquiètent. Les médecins africains qui préconisaient le cotrimoxazole à titre préventif à leurs patients séropos se posent des questions sur le bien fondé de leur pratique... A la conférence de Paris, en décembre, un chercheur sénégalais présentait des résultats préoccupants sur la résistance des souches de salmonelle dakaroise au cotrimoxazole ; une auditrice malawienne surenchérissait, arguant d’un phénomène identique dans son pays...
La vaste consultation onusienne sur la question des traitements prophylactiques contre les infections liées au VIH en Afrique serait prévue pour le mois de mars. Mais il y sera, notamment, question d’envisager d’autres recherches avant de lancer des recommandations...

Il est temps de faire le point, et tenter de mettre un frein au désarroi qui frappe les acteurs de terrain. Après consultations de plusieurs experts, voici quelques éclaircissements :

Question 1
Certaines souches de bactéries seraient localement résistantes au cotrimoxazole suite à une utilisation intensive de cet antibiotique pour soigner des infections de toutes sortes. Le cotrimoxazole ne serait donc pas si utile que ça pour les séropos ???

Les infections opportunistes sont les mêmes en Afrique qu’en Europe et aux USA. Cependant, l’efficacité du cotrimoxazole a été démontrée en Côte d’Ivoire avec des malades à un stade plus précoce, parce que les maladies bactériennes comme les salmonelles, qui surviennent tôt, y sont plus fréquentes. Dans les pays où ces bactéries sont devenues résistantes, il est donc possible, mais non certain, que le traitement précoce au cotrimoxazole soit moins intéressant. Par contre, il reste utile pour prévenir les infections qui surviennent plus tard (isosporose, toxoplasmose, etc.). Cet argument ne peut donc pas servir à justifier l’inaction des gouvernements.

Le débat international risque pourtant de se focaliser pourtant sur cette question, par soucis d’économie : est-il vraiment indispensable de donner ce traitement très tôt à tous les séropos ? Ne peut-on commencer plus tard, et éviter ainsi de dépenser de l’argent ? (un mois de traitement coûte entre 1,50 et 18 FF selon les pays). Un conseil aux séropos de Dakar : ne les écoutez pas, prenez-en, et le plus tôt sera le mieux.

Il reste aux scientifiques qui vont débattre de cette question à prouver que l’efficacité préventive du traitement sur les malades disparaît véritablement lorsque l’on observe des germes résistants dans les tubes à essai. En effet, dans la pratique, on a souvent constaté que des antibiotiques réputés insensibles sur des germes devenus résistants in vitro ont conservé leur efficacité préventive in vivo ! A Paris, les observations in vitro ont montré que les pneumocoques sont résistants à 70% au cotrimoxazole. Or, si le cotrimoxazole n’est pas efficace en curatif, il l’est toujours en préventif : à l’hôpital Necker, quasiment aucun cas de pneumocystose n’a été observé chez les enfants traités en prophylaxie au long cours par cotrimoxazole, alors que c’est en principe la première infection opportuniste chez l’enfant infecté par le VIH.

Question 2
Si l’on favorise l’ accès au cotrimoxazole pour tous les séropos, on favorisera l’émergence de résistances à cet antibiotique et à ceux de la même famille ???

ou Si les séropos utilisent le cotrimoxazole, les non séropos risquent d’en subir les conséquences ???

Revenons d’abord sur ces supposés risques de résistances : ils sont de deux sortes :
 Y a-t-il un risque - pour un séropo sous cotrimoxazole - que des résistances apparaissent à la longue qui réduisent progressivement efficacité de son traitement ?

La réponse est donnée par un exemple probant observé chez des patients atteints de granulomatose chronique familiale, à Necker et à Bichat : chez ces patients mis sous traitement préventif depuis 15 ans, il est exceptionnel de constater des résistances accrues de leur propres souches ! Parallèlement, une importante efficacité préventive est conservée. Sur un individu, donc, les résistances au cotrimoxazole n’augmenteraient quasiment pas ! Cet antibiotique est d’ailleurs connu pour induire moins de résistances que les autres.

 Y a-t-il un risque de propagation de multirésistances de certains germes à d’autres antibiotiques ?

C’est la seule question qui ait un intérêt dans ce débat. Les faits sont connus : plus un antibiotique est utilisé, plus les germes qui y sont sensibles s’y habituent et deviennent résistants. Selon ce principe, le cotrimoxazole risquerait, s’il était plus largement distribué, de devenir moins efficace pour traiter des infections courantes.

D’autres antibiotiques comme le Fansidar - utilisé pour traiter les crises malaria (palu) - pourraient ainsi perdre de leur activité. Nous l’avons vu précédemment le cotrimoxazole est connu pour induire moins de résistances que les autres. Avant de brandir cette menace, il faudrait donc la documenter plus sérieusement que cela n’a été fait. Ensuite, quand bien même des résistances devaient lentement se développer, cela ne justifie pas d’exclure l’usage du cotrimoxazole pour les séropos et de le réserver à d’autres. D’autant plus que ce traitement est déjà largement utilisé en Afrique, depuis des années. Pour l’heure, les séropos sont si peu nombreux à connaître leur statut que l’accès au cotrimoxazole ne risque franchement pas d’engendrer une nouvelle vague de résistances.

Là encore, que le message soit clair pour les séropos d’Afrique : ce n’est pas leur problème, et ce n’est pas un argument à nos yeux pour ne pas les traiter. Etant donné la gravité de l’épidémie et le peu d’initiatives prises pour améliorer l’accès aux soins pour les séropos, les priorités sont claires : améliorer l’accès au dépistage et au conseil pré et post test ; former les professionnels de santé à toutes les mesures prophylactiques utiles ; améliorer et contrôler la distribution de ces médicaments essentiels ; favoriser l’accès aux génériques en luttant contre les monopoles des compagnies pharmaceutiques ; optimiser les capacités d’examens cliniques et biologiques nécessaires au suivi des patients.

Les plus grandes résistances que l’on rencontre, ce ne sont pas les résistances aux traitements des pathologies mais bien les résistances des responsables politiques à traiter les malades.