Accueil > L’association > Archives > Action > Edito

Edito

dimanche 23 juin 2002, par Victoire Patouillard

Le 1er mai fut un débordement. La manifestation s’est répandue dans les rues et les boulevards qui entouraient le parcours officiel. Pas moins de trois cortèges avançaient en parallèle vers la place de la Nation. Il a fallu attendre 17h pour voir la banderole d’Act Up et les drapeaux à triangle rose fendre la foule pour quitter la place de la République et s’avancer à la suite de la CNT sur le boulevard Voltaire. De là nous ont rejoints d’autres associations de lutte contre le sida. Le cortège a pris de l’ampleur. Nous n’avions évidemment jamais été aussi nombreux à cette date.

Descendre dans la rue, battre le pavé, c’est la première chose que nous avons faite après l’annonce des résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Nous avons rejoint les manifestations qui se formaient à Odéon puis à Bastille. Nous avons rappelé dans nos tracts les déclarations homophobes de Le Pen, les jeux de mots obscènes où il a substitué "sidaïques" à sidéens, ses projets de mettre les malades du sida dans des camps : les "sidatoriums". Nous savons que la présence de l’extrême-droite au second tour menace directement une association comme la nôtre. Parce que nous sommes des femmes, des homosexuelLEs, des malades du sida, des usagerEs de drogues ou des étrangerEs, nous serons en première ligne de la politique de répression du Front National. C’est pour cette raison que le mardi qui a suivi le premier tour, en Réunion Hebdomadaire, nous avons décidé d’appeler à voter Chirac. Nous l’avons fait la mort dans l’âme mais nous l’avons fait rapidement et explicitement.

Les lettres d’insultes ont commencé à arriver. Ceux qui n’avaient pas réagi à l’affiche que nous avions collée pendant tout le temps de la campagne électorale le faisaient aujourd’hui et nous rendaient responsables de l’échec de Jospin au premier tour. Cependant, nous ne regrettons pas cette affiche. La seule erreur que nous avons faite est d’avoir pensé que le deuxième tour se ferait sur un affrontement Jospin-Chirac. Nos actions pendant la campagne visaient à obtenir du Parti Socialiste des engagements concrets en lieu et place des formules vides de son programme. On ne peut se contenter de réclamer la création d’un Fonds Mondial sur le sida quand ce Fonds existe déjà et qu’il ne peut lutter contre l’hécatombe faute d’un engagement financier réel des pays du Nord. Nous attendions de Lionel Jospin qu’il s’engage sur un milliard d’euros pour l’accès aux traitements dans les pays pauvres. Il ne l’a pas fait. Il n’a jamais répondu à une seule de nos lettres. C’est à trois jours du premier tour que, soudain, Bernard Kouchner, Patrick Bloche et Adeline Hazan ont souhaité nous rencontrés à l’Atelier de campagne du candidat. Il n’en est rien ressorti. Nous n’étions qu’une composante de ce "mouvement social" dont on dénie la dimension politique tout en exigeant d’elle un silence de circonstance à l’approche des échéances électorales. Le mépris des appareils partisans n’est jamais une bonne politique.

Dans les trois semaines qui ont suivi le premier tour, nous avons aussi décidé de ne pas nous présenter aux élections législatives comme nous avions prévu de le faire dans toutes les circonscriptions parisiennes. Ce projet qui nous avait porté depuis quelques mois, nous y avons renoncé parce qu’il nous semblait qu’il importait aujourd’hui d’être disponible face aux événements, aux forums, aux manifestations de toutes sortes qui s’organisaient. Nous ne voulions pas dans un tel contexte politique fragiliser l’association dont nous faisons partie en nous lançant dans cette bataille électorale. Notre action s’inscrit toutefois encore dans ce calendrier : face à Sarkozy, Ministre des libertés locales, il faut affirmer des contre-offensives et des contre-discours depuis notre position minoritaire. D’où l’importance aujourd’hui de relancer le collectif pour l’abrogation de la loi de 1970, de manifester avec les travailleuses du sexe et les associations qui les soutiennent au bois de Boulogne, et d’être à la Gay Pride le 29 juin. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer à quoi la Gay Pride ressemblera cette année. Reste à espérer que nous ressentirons alors le même sentiment de force et de débordement que le 1er mai.