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retour de bâton

dimanche 23 juin 2002

Les politiques ont décidé de s’installer massivement sur le terrain de la sécurité. Cette question relève pourtant tout aussi massivement du fantasme collectif que d’un délire démagogique.

Nous craignons déjà le pire, parce que le délire a déjà des effets concrets alarmants. Le fantasme de la sécurité est en train de devenir sous nos yeux violemment réalité : et c’est logiquement dans nos prisons que nous l’observons. Jospin a donné à la sécurité ses lettres de noblesse, autant dans ses discours que dans ses actes. Sarkozy et son "ministère de la sécurité et de libertés locales" lui donne un peu plus de vigueur chaque jour. Il faut stopper ce mouvement. Il faut s’opposer massivement à cette explosion de la répression. Parce que la prison est en soi un lieu dont il faut réduire l’existence autant que possible. Parce que, derrière sécurité et répression, c’est aussi purement et simplement l’extrême droite qui dirige le jeu. Le Pen a, officiellement, perdu les élections. Il est pourtant omniprésent, tant dans les discours que dans les actes de nos politiques, qui l’aident chaque jour à s’installer, d’autant plus sûrement qu’on le croit absent.

Pendant la campagne des élections présidentielles, Act Up a dénoncé la hausse des incarcérations depuis septembre 2001, les conditions de détention insupportables notamment pour les détenus atteints de pathologie grave, et le bilan catastrophique de la Garde des Sceaux. En cinq ans, plus de cinq cent personnes sont mortes dans les prisons de Lionel Jospin. Arguant d’un manque de temps, Marylise Lebranchu a préféré enterrer tout projet de réforme pénitentiaire, et a choisi de construire cinq mille nouvelles cellules. C’est pour cette raison, que nous avons, avec des militants de l’ODU et de la CNT, organisé chaque vendredi pendant plus d’un mois un picketting devant le ministère de la Justice. De la même manière, nous avons zappé Marylise Lebranchu lors de sa dernière conférence de presse le 16 avril 2002.

A cinq jours du premier tour des élections présidentielles, la Garde des Sceaux, accompagnée de Bernard Kouchner, osait présenter un "programme national pour l’amélioration de la prévention et de la prise en charge sanitaire des personnes détenues". Un gouvernement qui n’a rien fait et qui prétend agir au moment même où il est en pleine démission est une véritable insulte aux détenus, à leurs famille et leurs proches, aux associations qui défendent leurs droits. Cinq ans pour améliorer l’accès aux droits et aux soins pour les détenus ; pour libérer les malades atteints de pathologies graves, les sans-papiers, les usagers de drogues, toutes les personnes qui n’ont rien à faire en prison. Cinq ans pour systématiser les alternatives à l’incarcération, pour accélérer les demandes de grâces médicales. Rien n’a été fait. Face aux exigences de vie, de droits, de soins, l’impératif sécuritaire a toujours primé.

Cette attitude est d’autant plus irresponsable que, tout en ne faisant rien, le gouvernement Jospin produit en permanence des rapports qui dénoncent la situation des prisons françaises et le pressent d’agir. Les rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat de 2000 préconisaient trente mesures d’urgence pour endiguer la catastrophe carcérale, et exigeaient qu’un vaste travail d’amélioration des conditions de détention soit lancé d’urgence. Plus récemment, en avril 2002, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) a rendu public son rapport concernant l’évaluation de la loi de 1994 relative aux soins en prison. Autant dire qu’il est aussi contradictoire que les choix du gouvernement Jospin. Si, en effet, la loi de 1994 a réellement rendu possible un progrès minimal en matière de soins, on se demande comment l’IGAS se permet de conclure qu’elle "a permis l’introduction d’une véritable éthique des soins en détention". Nous aurions aimé que les malades incarcérés puissent en dire autant que l’IGAS.

Elle rappelle en effet ouvertement que "la population pénale présente un état sanitaire globalement dégradé (…) et que les conditions de détention actuelles contribuent à aggraver cette situation". Elle souligne également, sans complaisance, les manques de moyens des Unités de Consultation et de Soins Ambulatoires (UCSA), le manque de coordination entre les différents intervenants, les conflits entre UCSA et Service Médico-Psychologique Régionaux (SMPR). Elle officialise le problème des extractions de malades refusées par les gardiens, la faiblesse de la prise en charge des usagers de drogue, l’ampleur des troubles mentaux non-traités, le vieillissement de la population carcérale, les difficultés liées à la vie en détention. Tout cela, nous le constatons depuis longtemps et c’est bien le contraire d’une "éthique des soins" en prison.

Concernant le VIH et les hépatites, le rapport de l’IGAS apporte quelques informations. Le taux de personnes atteintes par le VIH serait en diminution de 1,2%, sachant que le chiffre ne prend en compte que les patients connus des équipes médicales. Il est donc probablement supérieur et demeure extrêmement élevé par rapport au reste de la population. Quant à la prise en charge du VIH, l’IGAS la juge "satisfaisante". Elle reconnaît, au contraire, que celle du VHC est véritablement problématique, notamment concernant le dépistage et la possibilité de pratiquer des biopsies. "En 1999, l’UCSA des Beaumettes indique avoir dû annuler 50% des biopsies hépatiques initialement prévues. De même, la maison d’arrêt de Loos a indiqué à la mission avoir été contrainte à fortement limiter la prescription de ces examens du fait de la limitation du nombre d’extractions à laquelle elle est soumise". Le primat de la sécurité sur les soins apparaît clairement ici lorsque des personnes infectées n’ont pas accès aux examens nécessaires pour un diagnostic précis et une bonne prise en charge de l’hépatite, parce que les extractions sont refusées par le personnel de surveillance. Quant aux usagers de drogue, l’IGAS confirme leur mauvaise prise en charge, dès lors que la substitution n’est accessible en détention que de façon complètement aléatoire.

Quant aux saisies individuelles de l’IGAS par des détenus (saisie de droit, les courriers des détenus à l’IGAS ne pouvant être ouverts par l’AP), elle se félicite que "seulement" 388 plaintes lui ont été transmises en 2000. En soi, ce chiffre est déjà scandaleux. Comment se satisfaire qu’en France, chaque jour, un détenu en vienne à devoir porter plainte pour que son accès aux soins soit possible ? L’IGAS oublie dans son analyse que la plainte est un recours rare, complexe, rarement utilisé, qui laisse dans les faits plus de place aux hurlements, aux automutilations, aux grèves de la faim et aux suicides. Elle-même le reconnaissait lors d’une rencontre avec Act Up en 1999 : "souvent, nous arrivons trop tard" admettait son directeur. L’IGAS aurait du s’évaluer elle-même dans la gestion des plaintes qui lui sont adressées : elle répond rarement directement au détenu, le fait dans des délais très longs et de manière opaque.

Le discours est donc toujours le même : la loi de 1994 a permis des améliorations de la prise en charge sanitaire des détenus, mais les problèmes restent omniprésents. Marylise Lebranchu et Bernard Kouchner l’ont affirmé à leur tour lors de la conférence du 16 avril dernier. Au-delà de ces discours qui tendent à minimiser toujours davantage la gravité des problèmes que les détenus rencontrent concrètement, deux mesures importantes sont à retenir, qui confirment à quel point la détention est radicalement incompatible avec les pathologies graves.

En effet, la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 affirme dans son article 10 qu’une suspension de peine peut être accordée aux condamnés dont "il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention". La suspension peut être décidée par le juge d’application des peines ou la juridiction régionale sur la foi de "deux expertises médicales distinctes". Il ne s’agit pas d’une grâce mais bien d’une suspension de peine, c’est-à-dire que la peine de prison est "suspendue" dans le temps, jusqu’au rétablissement de la personne. Ce qui implique que si elle retrouve un état de santé satisfaisant, elle est théoriquement contrainte de poursuivre sa peine et d’être à nouveau incarcérée. La possibilité légale d’une suspension de peine reste en soi une véritable victoire : elle démontre que l’incarcération n’est pas compatible avec un mauvais état de santé. Néanmoins, on peut douter de l’application prompte de ces dispositions par l’administration pénitentiaire, de l’information qu’elle en fera auprès des détenus. Surtout, le silence des textes sur la fin de la suspension de peine nous laisse craindre le pire : faudra-t-il entretenir un mauvais état de santé pour ne pas risquer un retour en détention ?

Depuis l’élection présidentielle, on observe une augmentation des incarcérations, des permissions de sortie annulées pour des motifs d’opportunité, des demandes de libérations conditionnelles massivement refusées. La répression est ouvertement relancée par le gouvernement Raffarin : les foyers d’immigrés et les prostituées de Paris ont déjà fait les frais de l’arrivée de Nicolas Sarkozy. La droite promet l’incarcération des mineurs, la création de centres fermés et la tolérance zéro. Les malades, les sans-papiers, les prostituées, les usagers de drogue seront les premiers touchés, et sont surexposés à une véritable insécurité. Plus que jamais, il faut défendre les minorités. La répression reprend, Act Up-Paris la combat.