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retour de Seattle

dimanche 23 juin 2002

C’est à Seattle que s’est tenue du 24 au 28 février dernier, la neuvième Conference On Retrovirus and Opportunistic Infections (CROI), la crème des conférences scientifiques sur le sida et son virus. L’édition de cette année n’a pas été le théâtre d’évènements spectaculaires ni d’annonces fracassantes, mais elle s’inscrit dans la ligne de la tendance actuelle : faire marcher la recherche fondamentale à fond pour sortir d’une certaine impasse où nous sommes bloqués.

En effet, il y a dix, quinze ans, on n’avait rien, on ne savait rien. Toute annonce de découverte était alors considérée comme un événement et comme un progrès décisif. Seulement voilà, il en a été de l’évolution des ressources thérapeutiques comme de la baisse de charge virale : ça évolue de manière logarithmique.

Quand on a un médicament, le fait d’en trouver un autre augmente le potentiel de 100% ; quand on en a quinze, le seizième… On en espère surtout qu’il sera plus efficace que les autres, moins toxique, qu’il sera actif contre le virus même si celui ci tente de lui résister par des mutations, qu’il s’attaquera peut-être à des aspects du virus non encore exploités, qu’il n’aura pas d’effets secondaires, qu’il sauvera des vies mises à mal par des années de traitement. Toutes ces qualités n’étaient pas demandées à l’AZT, le premier antiviral. Depuis, il y a eu les antiprotéases, les trithérapies et les malades ont arrêté d’être en situation de mort imminente. Ouf ! Mais avec une espérance de vie accrue, et de beaucoup, sont apparus les problèmes de reconstitution de l’immunité et ceux des effets secondaires des traitements.

A partir d’un certain stade, un séropositif doit prendre une chimiothérapie, et ce, sans discontinuité, ou presque. Et au fait que se passe-t-il si on arrête son traitement, même juste un peu ? Toutes ces questions donnent une idée du contenu d’une conférence comme la CROI :

Trouver des pistes de nouveaux traitements marchant mieux que les anciens.

Il y a d’abord les classiques, ceux qui sont de la même classe que les médicaments déjà connus, c’est à dire dont le processus d’action est le même. Ainsi, le TMC 125, présenté à Athènes (Conférence européenne sur les traitements, octobre 2001) est un nouvel inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) mis au point par une petite firme belge : Tibotec-Virco et le DPC 083-203 est le nouvel INNTI de BMS. Tous deux sont en état de présenter des résultats cliniques prometteurs.

Il y a ensuite les nouveautés : Shering-Plough a présenté les résultats du premier essai clinique du SCH-C, une molécule capable de se fixer sur les récepteurs aux chimiokines CCR5 que le VIH utilise comme co-récepteur pour entrer dans la cellule hôte. L’utilisation de ce produit empêche la pénétration du virus car il ne trouve plus de ces co-récepteurs disponibles à la surface des cellules. Or ce mécanisme est incontournable. Le virus est donc bloqué à l’extérieur où il ne peut survivre, ni surtout se reproduire.

Mais les choses ne sont jamais aussi simples avec le VIH et évidemment certaines souches virales n’utilisent pas le co-récepteur CCR5 mais un autre, le CXCR4. Aussi échappent-ils au traitement précédent. C’est pourquoi une équipe multinationale de chercheurs a-t-elle mis au point et testé l’AMD-3100, une molécule, antagoniste des récepteurs CXCR4. Le S-1360 est, lui, un inhibiteur d’intégrase. L’intégrase est la protéine du virus qui lui permet d’intégrer son patrimoine génétique dans celui de la cellule hôte. Il s’agit aussi d’une piste non explorée jusque là, qui a été présentée par le laboratoire Shionogi, le Japon entre ainsi dans la course aux antiviraux. Ils se sont tout de même associés au géant Glaxo pour la distribution du produit. De toutes ces pistes, peut-être certaines devront être revues ou abandonnées, mais certaines à coup sûr nous donneront des traitements dans quelques années.

Confronter les résultats d’essais cliniques sur les antiviraux actuellement en cours.

On y trouve toutes sortes de publications sur le T20 (Roche), le Tenofovir DF (Gilead), dont l’accès se finalise, l’atazanavir (BMS) et le Tipranavir (Boehringer Ingelheim) en cours d’essai et dont on attend des progrès intéressants surtout en matière de traitement des personnes en échappement.

Comprendre comment on fait un bon antiviral

C’est grâce à la modélisation spatiale des molécules mises en jeu et du calcul des énergies qui les lient que nous avons mieux compris ce qui fait le fonctionnement des antiviraux et la résistance possible du virus. A partir de là, la mise au point ou le choix de nouvelles molécules antivirales n’est plus simplement le résultat d’échecs thérapeutiques successifs. Il faut aussi comprendre comment le virus se défend contre les agressions du système immunitaire dont certains mécanismes sont déjoués par les protéines que le virus amène avec lui. L’une d’elle, bien mystérieuse jusque là, est une arme redoutable du virus : le Viral Infectivity Factor (VIF) est capable de désactiver les mécanismes antiviraux de nos cellules censées nous protéger justement contre les infections virales. Cela aussi permet de connaître les cibles potentielles pour de futurs antiviraux.

Analyser les questions posées par les effets secondaires des traitements voire tenter d’y répondre

C’est vrai que, sur ce point, ça ne va pas fort. Les traitements sont un mal nécessaire, ils combattent majoritairement le virus, mais accessoirement, n’étant pas assez spécifiques de leur cible, de manière inattendue, ils dérèglent à la longue un mécanisme naturel. Il faut donc analyser pourquoi et voir si l’on peut y remédier. Mais les miracles en la matière sont peu nombreux. Les lipodystrophies, ce problème de perturbation de la répartition des graisses, est à peine en cours de compréhension. Tout au plus a-t-on affirmé lors de plusieurs sessions que, décidément, le médicament le plus incriminé chez les personnes qui souffrent de ces problèmes est la d4T.

Comprendre ce qui fait les difficultés de cette infection

Si, avec les trithérapies, on est arrivé à une réduction de la charge virale suffisante pour contrôler la maladie, la situation reste bloquée parce qu’il persiste des cellules infectées qui constituent un réservoir prêt à s’étendre en cas d’arrêt du traitement ou en cas d’échappement du virus à la pression des médicaments. C’est pourquoi toute étude permettant de mieux connaître ces réservoirs et la manière de les atteindre, voire de les détruire, devient primordiale. Ce domaine de la recherche mobilise actuellement de nombreuses équipes car c’est une des questions fondamentales pour progresser vers l’élimination du virus.

Dans le domaine clinique, cette neuvième CROI a innové afin de coller à l’actualité : une session entière était consacrée aux pratiques cliniques des pays en développement où se sont succédés des intervenants de terrain. On ne peut que souligner l’intérêt énorme d’une majorité de la communauté scientifique présente pour ces présentations. Ce symposium sur les "promesses et les défis des traitements antirétroviraux dans les pays en développement" fut un grand moment de cette conférence. Elly Katabira de l’université Makarere de Kampala (Ouganda), Catherine Wilfert de la fondation Elisabeth Glaser Pediatric AIDS (USA) travaillant sur des programmes de TME en Afrique, John Nkengasong clinicien en Côte d’Ivoire et Praphan Phanuphak de la croix rouge thaïlandaise ont pu faire partager à leurs collègues les conditions de dénuement presque invraisemblables dans lesquelles ils essaient de mettre en pratique les enseignements et les découvertes de l’opulente recherche clinique occidentale. Le clinicien thaïlandais fut particulièrement activiste et conclut sa présentation sur un véritable programme de 12 mesures d’urgence très actupiennes, fruit de son expérience quotidienne, allant de la nécessité d’une baisse drastique des prix que seule la concurrence des médicaments génériques peut créer à la nécessité de techniques et de matériel de laboratoire à moindre coût, aussi indispensables, dit-il, que les traitements.

Pour en savoir plus et pour les internautes anglophones désireux de creuser le sujet, le site de la conférence est particulièrement riche et intéressant ; il propose la plupart des sessions en diffusion sonore accompagnée des images diffusées par les conférenciers. Ce site propose par ailleurs les éditions précédentes de la CROI.