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Pour une prévention réticulaire post-présophobe.

samedi 27 octobre 2012

Ce texte est une réponse au communiqué de Warning, intitulé « Post-bareback : pour une prévention efficiente et sans moralisme comportemental » [1]. Discutons entre sachants.

À l’heure où d’aucunEs prônent le continuum entre séronégatifVEs et séropositifVEs, dont la Prophylaxie pré-exposition serait la clé (les séronégatifVEs prenant des traitements, à l’image des séropositifVEs, et vivraient donc la même réalité, partageant ainsi les plaisirs chimiques annoncés de l’ère pharmacosexuelle post-préso-injonctive), nous prônons l’entrée dans une ère post-présophobe [2] et réticulaire.

Entendons-nous bien, il s’agit d’une ère désirée, vécue par beaucoup comme un idéal, par d’autres comme une « tradiconception injonctive ». À ceux-ci, nous demandons de pratiquer l’ἐποχή [3] et de lire notre proposition.

Une ère post-présophobe...

Une ère post-présophobe, c’est en réaction à « l’ère post-bareback » mobilisée par Warning, une réponse claire apportée à la haine du préservatif dans les cercles d’initiés de la lutte contre le sida. Là où les associations de terrain décrivent la réalité complexe des comportements toujours protéiformes, là où les études menées sur les séronégatifVEs (peu nombreuses) montrent un usage répandu de cette technique de prévention majeure, qui a tout de même, malgré un relâchement des comportements, évité à beaucoup d’être contaminés dans des populations à très forte prévalence (quatre hommes ayant des relations avec des hommes sur cinq [4] ont été épargnés en Ile de France), des professionnelLEs du sida décrivent « l’échec » du préservatif, les faisant ainsi rejoindre le cortège obscurantiste des promoteurs de la prévention par abstinence [5]. Ils clament son inadaptation à des individus rétifs au latex et désireux de prises de risques. Ces personnes considèrent par ailleurs que l’acquisition du virus peut être un choix, un « cadeau » métaphysico-physiologique, et qu’on ne doit pas porter de jugement à ce sujet, que l’on soit séropositifVEs (et en colère, après des années passées à lutter contre ce virus, pour soi ou pour les autres), ou séronégatifVEs (et vivant mal les remarques dénigrant l’usage du préservatif, reléguant ses utilisateurs au statut
d’hypocondriaques maniaques et peureux).

Il faut revaloriser cette incarnation de la santé sexuelle qu’est le préservatif, sa fluidité érotique, sa finesse tactile et sensuelle. Il faut également penser sa dimension socio-comportementale, et le fait que le préservatif est au coeur de pratiques sociales visant à la répartition de la responsabilité et à sa matérialisation concrète.

Si « le rectum n’est pas une tombe » [6], « le préservatif n’est pas un bunker » : y placer son sexe n’est pas la fin de la sensualité, mais le début d’une sexualité responsable et non-discriminante, évitant notamment le sérotriage, qui consiste, pour certains, à choisir leurs partenaires sexuels en fonction de leur hypothétique statut sérologique. Le préservatif agit donc en tout point comme la part matérielle de pratiques de soi porteuses d’une vraie éthique sexuelle relationnelle ; en ceci, il est un représentant paradigmatique du passage de l’individualisme bareback pharmacophile à la formulation en des termes transindividuels de la notion de responsabilité et à la conscience de l’embededness des sexualités. En ceci le safe sexe, la préso-fierté, sont des concepts opérants qui permettent de s’opposer aux ethos de la séparation et de mettre en lumière ce qui se cache derrière la perpétuelle proclamation de l’égalité et de la liberté sexuelle prises comme acquis : que nous ne sommes pas égaLEs, ni face à la maladie, ni en termes de sexualité, et que la liberté des unEs est payée au prix fort par les autres.
Une ère post-présophobe, c’est un moment de déprise par rapport aux discours pernicieux visant à relativiser à l’extrême les risques sexuels (en expliquant par exemple qu’« un séropostif sous traitement n’est plus contaminant », sans autre précision) ou que les IST n’ont rien à voir avec le sida, voire qu’"on ne meurt plus du sida" (nos veufVEs en colère apprécieront). Nous sommes à un moment où l’on se pose sérieusement la question des messages que l’on porte, de la manière de parler aux personnes pour qui la réduction des risques est une idée vague et souvent mal comprise, et qui, pour la plupart, ne souhaitent pas remplacer leurs préservatifs par des antirétroviraux ou par une prévention « au doigt mouillé », discriminante et si peu efficace.
À l’ère pharmacosexuelle, nous opposons, excusez la sécularité du vocable, la « sexysécurité partagée », concept né de l’alliance du préservatif et des plaisirs qui y sont associés.

…et réticulaire.

D’autre part, la prévention sera réticulaire ou ne sera pas. Elle passe par une mobilisation de l’ensemble des acteurs sociaux, par un engagement réticulaire vers une forme de prise en charge post-horizontale. Clarifions notre propos s’il en est encore besoin : il faut que les pouvoirs publics, et les divers acteurs de la prévention, mettent en avant la nécessité d’une prévention ciblée multi-niveaux, en réseau et véritablement efficace. Id est ?

Une prévention déclinée à tous les niveaux de l’épidémie, dépistage rapide, dépistage médicalisé du VIH et des IST, counselling, accès pour touTEs aux dispositifs de prévention et de soin ; idem pour une prévention efficace à l’école, prenant en compte toutes les sexualités, évoquant les pratiques, les discriminations.
De même, l’égalité des territoires (accès généralisé à des préservatifs gratuits, à du conseil et des dépistages) est fondamentale, ainsi que le lien entre les dispositifs de dépistage et l’hôpital, pour simplifier la prise en charge des personnes dépistées séropositives.
Une prévention post-présophobe et réticulaire, c’est donc une prévention qui place au centre de ses questionnements les pratiques toujours déjà concrètes des personnes. Une sorte d’implication ancrée dans la réalité des sexualités multiples, adaptée et attentive, non-idéologique et post-barebacko-injonctive, éloignée des tradiconceptions pseudo-subversives pharmacophiles.

Ce texte est une parodie, une façon pédante d’exprimer nos positions, car à Act Up-Paris aussi, il y a des universitaires. Mais là où Warning utilise son pédantisme pour développer et justifier, par une pseudo-scientificité, une idéologie préventive dangereuse, nous préférons la mise à disposition de touTEs d’une information claire et exigeante sur les risques sexuels, le plaisir, les discriminations. Les mots sont importants, et les concepts doivent faire l’objet d’une réappropriation communautaire réfléchie : la prévention ne se fera pas dans des amphithéâtres , entre initiéEs jargonnantEs, ou en tout cas pas seulement.

Rejoignez Act Up-Paris, nous y parlons de prévention [7], nous y publions de l’information à visée d’empowerment [8], et nous maintenons une exigence historique et reconnue sur les enjeux scientifiques et comportementaux qui nous concernent touTEs.


[2La présophobie désigne la haine du préservatif

[3épochè ou suspension du jugement : principe méthodologique des philosophies antiques et des courants phénoménologiques, visant à prendre du recul sur la réalité. Ce concept connaît une mutation récente et parfois non-maîtrisée à travers la notion de « non-jugemental », souvent appliquée à la prévention des risques sexuels.

[4Enquête PREVAGAY, 2009.

[7Une commission, le SexPol, a pour but de réfléchir aux enjeux actuels de la prévention chez les gays, les lesbiennes, les trans’ et les biEs.

[8Notamment à travers la rubrique prévention de notre site : http://www.actupparis.org/spip.php?page=secteur&id_rubrique=12 et à travers le site ReactUp : http://www.reactup.fr/