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Accelerating Access

Au service des compagnies pharmaceutiques et de la corruption des systèmes sanitaires

mardi 14 mai 2002

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Le 11 mai 2002 vient de marquer le second anniversaire de l’initiative « Accelerating Access », lancée par l’ONUSIDA en partenariat avec plusieurs agences des Nations Unies (OMS, FNUAP, UNICEF et Banque mondiale) et cinq compagnies pharmaceutiques (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo SmithKline, Merck & Co., et Hoffman-La Roche [1] ). Depuis la fin de l’année 2001, cette initiative se poursuit sous l’égide de l’OMS.

Selon les Nations Unies, « Accelerating Access » devait traduire « un redoublement d’efforts des Coparrainants et du Secrétariat de l’ONUSIDA dans le domaine de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA ». Cette initiative était supposée permettre aux pays en développement un accès aux médicaments aux prix les plus bas, mais aussi leur apporter le soutien technique à la mise en place d’un accès national aux traitements antirétroviraux.

Deux ans plus tard, les activistes font le bilan : « Accelerating Access » sert avant tout les laboratoires pharmaceutiques qui tirent profit du label des institutions internationales pour conserver un monopole et limiter les baisses de prix.

Selon des estimations particulièrement optimistes, après deux ans, seuls quelques milliers personnes dans le monde auraient débuté une thérapie antirétrovirale par l’intermédiaire d’« Accelerating Access » - soit moins de 0,1% des 10 millions de personnes séropositives dont l’état de santé nécessite une mise sous traitement. En outre, une partie des patients concernés se voit prescrire des régimes antirétroviraux incomplets, tel que des monothérapies, proscrites dans les pays développés.

Pourquoi de si mauvais résultats ?

Parce que les compagnies pharmaceutiques impliquées se sont principalement affairées à négocier des arrangements avec les pays en développement qui leur permettent de contrôler l’approvisionnement en médicaments et de tenir les producteurs de génériques à l’écart. Parce qu’elles se sont efforcées de limiter les réductions de prix et d’imposer leurs conditions aux pays bénéficiaires.

« Accelerating Access » n’offre aucun progrès notable en terme de prix parce que les compagnies pharmaceutiques détentrices de marques se sont contentées d’aligner leur prix sur ceux des producteurs de génériques. Elles n’ont proposé que des réductions limitées - pour certains traitements seulement, pour certains secteurs, pour certains pays - assorties de conditions portant sur le mode d’approvisionnement des pays, sur les quantités de médicaments achetés, sur les modes de distribution et l’usage des traitements, sur le cadre national concernant la propriété intellectuelle pour limiter la compétition avec les génériques, etc.
Ainsi, chacun des rabais concédé par les laboratoires s’accompagne de conditions particulières d’application et se traduit par la signature d’une convention entre chaque compagnie et le ministère de la santé du pays concerné.

Par ailleurs, les prix de médicaments pour lesquels il n’existe pas de véritable compétition générique restent très élévés et sont inabordables pour les malades du sida des pays pauvres. Roche, par exemple, continue de vendre l’inhibiteur de protéase nelfinavir (Viracept®) 3139 US$ par an dans les pays les moins développés.

Parce que l’OMS et l’ONUSIDA n’ont développé aucune assistance digne de ce nom pour aider les pays à mettre en place des programmes d’accès aux traitements ou à étendre l’accès existant. De nombreux pays affichent ainsi un label « Accelerating Access » sans pour autant que l’OMS et l’ONUSIDA leur aient prêté assistance et sans qu’ils aient bénéficié de programme d’accès aux traitements (Togo, Congo, Burkina Faso, etc.). Par ailleurs, aucune aide spécifique n’a été mise en place par ces agences pour rationaliser, assurer la qualité et la pérennité de la dispensation d’antirétroviraux dans les pays qui ont intégré « Accelerating Access ».

Parce que l’OMS et l’ONUSIDA se sont montrées incapables de garantir aux pays un cadre de négociations imposant la transparence, le respect de standards éthiques minimum et une certaine obligation de résultats.
La mise en relation des compagnies avec les responsables des pays en développement ne suit aucun schéma directeur. Cependant, dans tous les cas de figure, les compagnies pharmaceutiques mènent leurs négociations directement avec les gouvernements ou les prestataires de service de santé, pays par pays, de façon indépendante les unes des autres et sans aucun contrôle des agences des Nations Unies.
Ainsi, le label « Accelerating Access » recouvre et sert de caution à des négociations sur lesquelles l’OMS et l’ONUSIDA n’ont aucun pouvoir et dont elles suivent difficilement les évolutions.

Parce qu’en n’impliquant que quelques compagnies pharmaceutiques de marque, les agences des Nations Unies ont tenu à l’écart les producteurs de génériques et enfermé les pays en développement dans une négociation biaisée. La compétition avec les producteurs de génériques [2], seul moteur de l’existence et du maintien de prix bas, a ainsi été mis de côté au profit d’un assujettissement des pays aux bonnes volontés et aux exigences de quelques multinationales.

D’innombrables effets pervers

Mais deux années d’ « Accelerating Access » ne se soldent pas simplement par de mauvais résultats en terme d’accès aux médicaments et de vies sauvées. Cette initiative a également généré nombres d’effets pervers que l’OMS et l’ONUSIDA ont non seulement été incapables d’éviter mais surtout qu’ils ont cautionné : instrumentalisation des institutions internationales de santé, discrimination entre pays, contrôle des marchés, court-circuitage des systèmes nationaux d’approvisionnement en médicaments, développement de prescriptions irrationnelles et dangereuses.

Le label de l’OMS, un faire-valoir marketing pour les laboratoire

Depuis deux ans, la compagnie Roche se prévaut de faire partie de l’initiative « Accelerating Access » et d’œuvrer ainsi pour permettre un accès aux traitements dans les pays en développement.
En réalité pourtant, Roche a toujours refusé de consentir des réductions de prix sur ses produits. Il faut dire que la société n’est pas en situation de concurrence avec les producteurs de génériques, situation qui l’obligerait à réduire ses prix (en effet seul Aurobindo, fabriquant de génériques indien, produit à l’heure actuelle le nelfinavir) [3].
A la fin du mois d’avril 2002, M. Nabarro, directeur exécutif de l’OMS, reconnaissait avoir des difficultés avec certaines multinationales et espérait que Roche accepte désormais dans les plus brefs délais de respecter ses engagements.

« Accelerating Access » : un outil de discrimination entre pays pauvres.

Au delà du fait que « Accelerating Access » ne recouvre que des négociations bilatérales, pays par pays et molécule par molécule - ce qui a notamment pour effet de rendre impossible la négociation au niveau régional et les économies d’échelle - cette initiative impose un traitement discriminatoire à l’égard des pays en développement qui ne bénéficient pas tous des mêmes réductions de prix.
Ainsi, dans les pays jugés « trop riches » les laboratoires refusent de concéder les mêmes réductions que dans les pays les plus pauvres d’Afrique Subsaharienne. C’est notamment ce qui s’est produit au Maroc ou en Thaïlande, alors que les populations de ces pays n’ont pas plus les moyens de payer les médicaments que celles d’autres pays jugés plus pauvres.

En revanche, les compagnies n’hésitent pas à menacer les pays de leur vendre les médicaments au prix fort s’ils s’avèrent que ceux-ci s’approvisionnent auprès de génériqueurs (Thaïlande).

Des marchés captifs.

Au lendemain de la défaite des compagnies pharmaceutiques en Afrique du Sud au printemps 2001, les laboratoires ont redoublé d’efforts pour inclure les pays en développement dans « Accelerating Access » et imposer ainsi leur présence, leur autorité et leur conception de la propriété intellectuelle dans ces pays.

Les conséquences sont immédiates : malgré les avantages que cela représenterait pour eux, très peu de pays osent se tourner vers les génériques. Au Burkina, le sommet international pour l’accès aux génériques qui devait se tenir dans la capitale du 3 au 7 mai 2001 est annulé sur la demande du ministre de la Santé au moment où celui-ci signe avec les laboratoires un accord pour une réduction des prix.

En effet, dans le cadre d’« Accelerating Access » les laboratoires imposent aux pays la signature de conventions, tenues secrètes, dont différentes clauses garantissent leur monopole en entravant le recours aux génériques : clauses de respect de la propriété intellectuelle imposant des exigences plus fortes que les accords internationaux eux-mêmes (TRIPS +), engagements sur des quantités déterminées de médicaments achetés.
Ainsi, certains pays, qui n’ont aucune législation sur la propriété intellectuelle, sont malgré tout tenus de se fournir en antirétroviraux auprès des compagnies de marque uniquement.

En conséquence, dans certains pays, les malades préfèrent se fournir en médicaments génériques importés par des ONG (MSF au Cameroun, l’ANSS au Burundi, etc.) plutôt qu’auprès de leur gouvernement afin d’obtenir des traitements à plus bas prix. Le contrôle de la circulation des médicaments qui devrait être centralisé par le gouvernement et qu’« Accelerating Access » est censé garantir est donc dans les faits inexistant.

Court-circuitage des systèmes nationaux d’achat de médicaments.

Depuis sa création « Accelerating Access » se pose en parallèle des systèmes nationaux. A l’heure actuelle, cette initiative entraîne le court-circuitage des systèmes officiels d’achat des médicaments.

Depuis des années, l’OMS promeut la mise en place de Centrales d’Achat nationales fonctionnant sur la base d’appels d’offres publics et transparents. Aujourd’hui l’Organisation Mondiale de la Santé cautionne pourtant la signature de contrats entre ministères de la Santé et compagnies pharmaceutiques portant sur la vente de médicaments, qui instaurent un approvisionnement parallèle à celui des Pharmacies Nationales, une totale opacité en matière de prix, l’absence d’appel d’offre et donc de concurrence.

L’industrie pharmaceutique court-circuite ainsi les systèmes publics d’approvisionnement, renforce son pouvoir de contrôle sur quelques responsables politiques ou médecins et les possibilités de corruption en mettant en place un système absolument opaque.

Prescriptions et usages irrationnels ou dangereux de médicaments.

Parce qu’« Accelerating Access » n’inclut qu’un nombre réduit de compagnies pharmaceutiques et que les réductions ne concernent que certaines molécules, la disponibilité en médicaments par ce biais ne porte pas sur l’ensemble de la palette thérapeutique nécessaire aux traitements des malades du sida. Ainsi, alors qu’un des pré-requis à la participation des pays à « Accelerating Access » devait être la garantie « d’un système de distribution efficace et sûr », dans les faits cette initiative a entraîné le développement de prescriptions irrationnelles fondées sur des impératifs économiques : le choix des molécules en fonction des rabais octroyés par l’industrie. S’ensuivent des prescriptions de combinaisons thérapeutiques inefficaces ou dangereuses en terme d’effets secondaires, dans le cadre d’essais cliniques ou de programmes d’accès aux traitements.

En outre, jouant de leur influence sur les médecins, certaines compagnies poussent à la prescription de combinaisons thérapeutiques incohérentes. Ainsi au Kenya, Merck & Co. promeut la prescription d’une bithérapie incluant deux de ses molécules - indinavir (Crixivan®) et efavirenz (Stocrin® ou Sustiva®) - une combinaison risquée puisque la présence d’efavirenz nécessite une augmentation de la dose d’indinavir qui demande alors une augmentation de l’hydratation et accroît le risque de toxicité rénale. En Afrique du Sud, BMS continue de pousser la prescription de ses trois molécules ddI/d4T/hydroxyurée, une combinaison dont les chercheurs ont prouvé la dangerosité potentielle.

« Accelerating Access » est un exemple criant de compromission entre institutions internationales de la Santé et industrie pharmaceutique au mépris de l’intérêt des populations et de la santé publique. L’OMS ne peut impliquer les pays en développement dans des partenariats avec des compagnies privées sans garantir un cadre de négociations transparent, le respect de principes éthiques et un minimum d’obligation de résultats.

Aujourd’hui, l’OMS doit d’urgence revoir sa stratégie.

Pour que les prix des médicaments soient réellement abordables, plusieurs mesures sont indispensables :

  • le développement d’achats groupés au niveau international [4] comme au niveau régional qui permette de négocier de meilleurs prix sur la base de l’achat de médicaments en grande quantité ;
  • le renforcement des capacités et un transfert de technologie afin de favoriser la production locale dans les pays en développement ;
  • les licences obligatoires et les importations parallèles ;
  • la mise en compétition entre médicaments de marques et génériques.


L’accès aux génériques est un enjeu majeur pour les pays en développement, et la seule perspective à long terme de pouvoir accéder à la palette thérapeutique la plus large et la plus complète possible aux prix les plus bas.

L’OMS doit être en mesure de fournir aux pays une information la plus exhaustive possible sur les sources d’approvisionnement en médicaments contre le VIH/sida et leurs prix, incluant obligatoirement les producteurs de génériques.
Il est notamment indispensable que les centrales d’achat gouvernementales ainsi que tout autre utilisateur potentiel puisse avoir accès à une information objective sur le prix des antirétroviraux.

L’OMS doit soutenir les pays pour développer l’achat groupé de médicaments au meilleur prix, ainsi que la production locale.

L’OMS doit fournir une assistance technique digne de ce nom aux pays qui souhaitent mettre en place des programmes d’accès aux traitements.

Annexe I : liste des pays faisant partie d’Accelerating Access (22 mars 2002, source OMS)

Pays ayant contracté un accord avec les laboratoires : Benin, Burkina Faso, Burundi, Cameroon, Congo, Cote d’Ivoire, Gabon, Mali, Morocco, Rwanda, Senegal, Uganda, Barbados, Chile, Honduras, Jamaica, Trinidad and Tobago, Romania. Pays en cours de négociations en mars dernier : Botswana, Republic of Central Africa, Chad, Ethiopia, Gambia, Guinea, Kenya, Malawi, Nigeria, Swaziland, Togo, Tunisia, Guatemala, El Salvador, Mexico, Venezuela, Ukraine, Vietnam.

Annexe II : Compétition entre les génériques (source MSF)

Exemples de tri-thérapies : prix (par an et par patient) les plus bas au monde (stavudine 40mg + lamivudine 150 mg + nevirapine 200 mg) —>
consultez le tableau


[1Abbott et Pfizer ont par la suite rejoint l’initiative.

[2En effet, durant l’année 2000, l’émergence d’antirétroviraux génériques produits dans certains pays émergents (Inde, Thaïlande, Brésil) entraîne un véritable bouleversement des prix de ces médicaments.
En octobre 2000, un producteur indien lance une trithérapie générique à 800 dollars US par an, ce qui représente une économie de plus de 90% par rapport aux prix des multinationales. En février 2001, le prix qu’il propose tombe à 350 dollars US. En octobre 2001, un autre producteur descendait à 295 dollars US.
Rapidement, l’apparition de médicaments génériques vendus à très bas prix a entraîné un alignement des tarifs proposés par les laboratoires occidentaux qui refusaient pourtant jusqu’à présent d’accorder des réductions de prix significatives aux pays en développement malgré les sollicitations des agences des Nations Unies.

L’apparition d’antirétroviraux génériques a prouvé deux choses :

  • Que les médicaments peuvent être vendus à des prix largement inférieurs à ce que l’industrie occidentale a toujours prétendu,
  • Que l’absence de monopole et la concurrence entre producteurs sont les mécanismes les plus efficaces pour obtenir une baisse drastique et durable des prix des médicaments, bien plus que l’éventuelle philanthropie ou les actions de charité des laboratoires.

[3Produits Roche : Hivid® = ddC, Fortovase® = saquinavir, Invirase® = saquinavir, Viracept® = nelfinavir.

[4tel que le système géré par l’UNICEF pour l’approvisionnement de vaccins et de contraceptifs.