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Le Haut Conseil de la Santé publique irrationnel et déconnecté de la réalité du sida

vendredi 30 décembre 2011

Les soins funéraires sont interdits aux personnes vivant avec le VIH depuis un arrêté du 20 juillet 1998. Or, c’est en se fondant sur un avis du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), daté du 27 novembre 2009, que le ministère de la Santé entend reconduire sous peu ces dispositions discriminatoires, et ce malgré un avis contraire d’une instance de consultation bien plus spécialisée, le Conseil national du sida. Act Up-Paris dénonce l’avis du HCSP comme irrationnel et déconnecté de la réalité du sida.

Aucune mesure de santé publique ne peut se fonder sur une telle analyse, comme le montrent les points suivants :

Les bases des connaissances sur le VIH sont bafouées

Tout d’abord, le Haut Conseil assimile le VIH à une maladie contagieuse, comme le fait l’arrêté de juillet 1998. Le titre de son avis porte sur « la révision de la liste des maladies contagieuses portant interdiction de certaines opérations funéraires ». Cet amalgame ne fait l’objet d’aucune rectification dans le corps du texte, où les termes « infectieux » ou « transmissible », exacts pour parler du VIH, sont utilisés. Le HCSP entretient donc l’idée que ces termes sont synonymes de contagieux. Dans sa lettre même, l’arrêté de 98 désavouait les connaissances scientifiques, et les « expertEs » du HSCP le soutiennent ! Quelle discussion rationnelle peut émerger d’un tel amalgame  ? Comment ne pas se rendre compte que ce simple titre est porteur de stigmatisation, alors même que le HCSP reconnaît dès l’introduction que le sujet lui a été soumis du fait même de l’avis du Conseil national du Sida et concernera donc avant tout le VIH ?

Le rapport bénéfices-risques est dévoyé pour justifier des préjugés

Pour le HCSP, le « rapport bénéfice-risque » ne serait pas en faveur des soins funéraires car la personne est décédée. Il faut comprendre que le bénéfice serait pour la famille et l’entourage du défunt, le risque pour le professionnel. Le HCSP ne donne évidemment pas la parole aux proches et aux familles des défuntEs concernéEs par l’interdiction : comment ces « expertEs » entendent-ils / elles évoluer le « bénéfice » rigoureusement et scientifiquement ? Aucune méthodologie n’est indiquée : ce sont donc les seuls préjugés des auteurEs qui feront loi.

Mais il y a pire. Toute personne rigoureuse sait que, dans le cadre de la prise en charge médicale, ou d’une recherche, le rapport bénéfice / risque s’entend comme un consensus entre soignantE et patientE, dans le seul intérêt du/ de la malade : c’est chez lui/elle et avec lui/elle qu’on évalue le rapport, comme la performance du traitement versus inconfort des effets secondaires, par exemple, ou la prise d’un risque potentiellement vital versus soulagement de la douleur.

Le HCSP, lui, oppose bénéfice chez les proches et risque chez les professionnelLEs ! Le « rapport bénéfice risque » n’a donc plus le sens que l’opinion publique comme les scientifiques lui accordent d’habitude. Cette transposition d’un concept hippocratique à des situations mortuaires est malhonnête. Il s’agit d’un dévoiement de principes éthiques et médicaux, afin de masquer des préjugés et des discriminations contre les personnes vivant avec le VIH, et d’enjoliver un discours méprisant envers les proches et les familles des mortEs.

L’expertise est insuffisante et ne prend pas en compte le point de vue des personnes vivant avec le VIH.

L’avis de quelques pages du HCSP se fonde sur le rapport d’un groupe de travail qui a « expertisé » le sujet. Dans sa partie consacrée au VIH/sida, le groupe met en avant des contaminations dans un cadre professionnel qui concerne du personnel de santé, et non des thanatopracteurs (page 18). Dans son introduction, ce groupe de travail cite des études sur les thanatopracteurs qui ne documentent aucun cas de transmission professionnelle du VIH chez les thanatopracteurs. Les conclusions de ces études ne sont en rien contradictoires avec les revendications des associations de lutte contre le sida pour peu qu’on analyse ces études de façon scientifique, et non irrationnelle (voir notre contre-lecture en annexe).

Mais de fait, le groupe de travail n’a pas jugé bon de consulter les associations de malades et de lutte contre le VIH. Ce refus d’un principe de base de la démocratie sanitaire leur fait oublier une réalité de l’épidémie : en France, les pouvoirs publics estiment à 50 000 personnes le nombre de personnes qui ignorent qu’elles sont séropositives au VIH. Prôner la sécurité des professionnelLEs des soins funéraires par l’exclusion des personnes vivant avec ce virus est donc absurde : c’est à l’application des recommandations universelles qu’il faut s’atteler. Voilà le seul principe de précaution qui doit s’appliquer.

Derrière un fragile vernis d’apparence scientifique, ce rapport dissimule mal sa peur absurde des séropos et son mépris pour l’entourage des morts. Avec des arguments aussi irrationnels, le Haut Conseil de la Santé publique pourrait tout aussi bien recommander qu’on enterre les séropos à la fosse commune, avec un peu de chaux vive.

Nous n’avions jamais ressenti le besoin de commenter ce document tant il nous paraissait peu convaincant. Aujourd’hui, alors qu’il est manifeste que le ministre de la Santé entend suivre une telle « expertise », Act Up-Paris demande à Xavier Bertrand de désavouer des recommandations aussi peu fiables.

Act Up-Paris exige :

 que le HCSP rende des comptes sur cet avis, sur son absence de valeur scientifique 
 que le ministère de la santé organise début janvier une réunion de toutes les parties concernées, notamment des associations de personnes vivant avec le VIH 
 que le ministère mette fin à l’interdiction des soins funéraires pour les personnes qui vivaient avec le VIH et/ou une hépatite virale.


Annexe : commentaire sur les études américaines citées par le HCSP

Le HCSP cite :

 Une étude américaine (Beck-Sagué, 1991), qui date de plus de vingt ans, sur 539 employéEs funéraires américains sous fomre d’auto-questionnaire. Aucune déclaration de contamination dans le cadre professionnel ne concerne le VIH. L’étude documente essentiellement les cas d’exposition à un risque, et non les transmissions avérée : 3 % des personnes interrogées ont déclaré un accident d’exposition lors de soins à un défunt séropositif au VIH ; 17 % une projection de sang dans les yeux ou la bouche (alors que les recommandations prônent le port de lunettes ou de masque). Les recommandations universelles avaient été publiées 13 mois auparavant avant la sortie de cette étude, donc pendant sa réalisation...

 Une étude (Gherson, 1995) sur 130 professionnelLEs américainEs du Maryland, sous forme d’auto-questionnaire. L’étude incluait une enquête sérologique VIH, VHB, VHC. L’enquête sérologique relève un cas de VIH et indique que la transmission avait été faite hors cadre professionnel. Il n’y a donc aucun cas documenté de transmission professionnelle du VIH ou du VHC. Au moins 54 % des répondantEs n’étaient pas vacciné contre le VHB.

 Une étude (Turner, 1989) sur 162 employéEs funéraires, ne relève aucun cas de transmission professionnelle du VIH. L’étude révèle l’importance de la vaccination contre le VHB et l’application rigoureuse des recommandations universelles, mais ne permet en aucun cas de conclure à l’interdiction de soins funéraires pour les personnes décédées qui vivaient avec le VIH.

Pour plus de détails, lire M. GUEZ-CHAILLOUX (INRS), P. PUYMÈRAIL(INRS), C. LE BÂCLE, « La thanatopraxie : état des pratiques et risques professionnels », Documents pour le médecin du travail, 4ème trimestre 2005, pages 457—458