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Dossier Greffes

Coordination, Co-infection, Transplantation

vendredi 1er octobre 2010

Du diagnostic à la surveillance régulière, de l’inscription sur la liste d’attente à l’annonce de l’opération, le chemin pour atteindre la transplantation n’est pas un long fleuve tranquille. Jusqu’au bout, les personnes suivent souvent un parcours en dents de scie.

Pour beaucoup de personnes, la greffe est perçue comme une épreuve, quelque chose d’impressionnant. Mais on ne bénéficie pas d’une greffe du jour au lendemain, même si l’urgence est là, il faut suivre un parcours qui peut prendre du temps et permettre de se faire à l’idée de l’opération.
Retour sur la 62e Réunion publique d’information que nous avons organisée en janvier 2007, intitulée « Co-infection VIH-Hépatites, Transplantation : le Pari. »

L’aventure c’est l’aventure

Beaucoup de personnes co-infectées VIH-VHC ont un passé assez lourd, à la fois personnel et thérapeutique. Elles nécessitent une approche et une prise en charge différente par rapport aux autres. Le contexte a évolué ; depuis 5 ou 6 ans personne ne faisait de greffe pour les personnes vivant avec le VIH. Le centre Hépato-Biliaire de l’hôpital Paul Brousse est le premier à s’être préoccupé de la question, à s’être lancé dans l’aventure. A l’époque, il n’y avait pas de résultat, ils avançaient à l’aveugle, le suivi médical ou pharmacologique était très complexe et un refus de l’équipe du centre Hépato-Biliaire était synonyme d’arrêt de mort pour les malades en demande de greffe. L’ANRS et les associations ont beaucoup aidé à avancer dans ce domaine. Ils ont compris le problème, malgré la nouveauté, et ont proposé des choses parfois très différentes. En 2001 le soutien associatif a vraiment donné du punch au projet. Ces premiers pas ensemble ont été extrêmement encourageants. Mais, à l’époque, les personnes co-infectées avaient des petites fibroses. Et aujourd’hui, elles sont plus souvent en cirrhose. Maintenant, les malades sont plus au courant ; l’équipe de Paul Brousse en était à près de 60 personnes co-infectées greffées en 2007.

Les deux premières années ont créé du mouvement. Depuis 3 ou 4 ans, les centres adressent les personnes moins tardivement. Les premières années, les malades s’adressaient eux-mêmes, en auto-sélection, auto-filtration ! Ils passaient outre l’avis de leur infectiologue.

Un service 5 étoiles

La grande efficacité du service de transplantation de l’hôpital Paul Brousse réside dans l’implication des acteurs engagés dans l’aventure ; des infirmières aux chirurgiens, en passant par les hépatologues, les infectiologues, les anesthésistes. Les équipes commencent à être rodées, et c’est fondamental pour la prise en charge.

Il y a eu beaucoup de difficultés au départ, parce que les personnes vivant le VIH étaient suivies par des équipes de spécialistes du VIH, d’infectiologues, avec lesquels elles avaient des liens très forts depuis 10 ans, 15 ans. Une fois la nécessité d’une greffe envisagée, elles étaient adressées dans un nouveau centre pour elles, une nouvelle équipe. Ce qui a pu accentuer ce sentiment de parachutage, c’est la volonté du service de transplantation de ne pas travailler indépendamment du suivi infectio et hépato. Il a donc été demandé aux personnes de se faire suivre dans la file active de l’hôpital de Paul Brousse, afin que les équipes puissent travailler en synergie. Il fallait que chacun voit le même médecin, accepte de changer de traitement parfois, puisque certaines molécules étaient considérées comme hépatotoxique. Ce fut difficile à faire comprendre au début, mais il fallait une certaine homogénéité dans la prise en charge. Il a fallu que l’équipe du centre Hépato-Biliaire s’impose dans des relations qui étaient parfois fortes, mais pendant longtemps, les médecins VIH étaient préoccupés par le VIH, et le problème de l’hépatite B ou C émergeait trop tard. Beaucoup d’infectiologues ont eu du mal à appréhender ce problème hépatique, et chez certaines personnes ça allait plus vite que ce qu’ils pouvaient imaginer.

Une équipe à suivre

La mise en place du programme « co-infectés VIH-VHC » ne s’est pas fait comme ça. Le projet de réaliser des transplantations pour des co-infectés implique un investissement particulier des professionnels. Parce que les conséquences pour un chirurgien, 10 heures au bloc, l’infirmière anesthésiste, la panseuse, etc. nécessitent que ces gens soient d’accord pour démarrer, cette décision se prend avec le consentement de tout le personnel médical et paramédical. Pour cette équipe, tous les malades sont identiques, alors que dans d’autres centres, la peur du sida est encore là.

Il y a 23 à 25 centres de greffes en France, mais tous ne font pas encore de greffes chez les co-infectés. Seulement 5 ou 6 en font. Cela démarre lentement. Les centres qui veulent faire des transplantations se posent beaucoup de questions par rapport à ça. La question est souvent « faut-il baliser le parcours d’un patient VIH ? ». La réponse est non, tout le monde est traité de la même façon, VIH, VHC, VHB, il y a un risque pour tout le monde, mais c’est encore assez tabou. Une chose est essentielle, il faut que les gens aient envie de travailler ensemble, et s’entendent bien. C’est un programme lourd, pré et post-greffe, ce n’est pas simple, à tous les niveaux, donc il faut que les gens soient en harmonie parfaite pour démarrer au bon moment.

La structure de transplantation de Paul Brousse est exceptionnelle, notamment par la présence de 4 coordinatrices de transplantation [1]. Il y a aussi des psychologues, qui aident beaucoup, une infirmière référente sur le VHC, des pneumologues, cardiologues, infectiologues, etc. Le soutient psychologique des familles est pris en charge, il y a toujours un médecin disponible qui peut aider. Cette multiplicité des interlocuteurs permet de délivrer des informations écoutées par plusieurs personnes, parce qu’il n’est pas possible de tout enregistrer.

Le contexte de l’indication

Toute la difficulté est de savoir à quel moment il faut se lancer dans un bilan. C’est tout le problème de la co-infection, à un moment l’évolution peut être très rapide, c’est difficile de percevoir quand déclencher les choses. Avant, on les déclenchait volontairement très tard, maintenant on les déclenche très tôt, peut-être trop tôt.

Le problème de la co-infection, c’est la sévérité et la rapidité de l’évolution de la fibrose. Sans savoir vraiment pourquoi, il y a beaucoup de cofacteurs qui accélèrent le processus. Il peut y avoir des prises d’alcool, après un problème de toxicomanie les personnes ont volontiers un problème d’alcoolisme. C’est évidemment un facteur d’évolution de fibrose. Il y a aussi des facteurs de surpoids, et de toxicité des antirétroviraux. Les analogues nucléosidiques ont une toxicité sur le foie au niveau de la mitochondrie des vaisseaux. Il y aura de plus en plus de personnes greffées pour des pathologies purement vasculaires dues aux antirétroviraux. En supprimant ces molécules, on a vu l’état de certaines personnes s’améliorer et donner de nettement meilleures conditions avant la greffe.

Parfois l’état empire très vite, après une première décompensation, ou un premier épisode d’hémorragie digestive, les choses décrochent très vite, avec des tableaux d’acidose lactique et d’influence hépatique extrêmement sévères, des problèmes septiques. D’où l’importance d’une prise en charge précoce. Sur 102 malades référés au centre, un bon tiers n’a pas retenu les critères, soit qu’ils étaient en bonne santé, soit que malheureusement ça n’allait pas du tout. Jusqu’en 2003, 62 malades ont été évalués, et 25 % sont décédés avant de pouvoir amorcer un bilan, parce que la maladie a évolué trop vite. Il faut faire attention et amorcer une première prise de contact, rapidement, avec une personne qu’on voit décrocher sa fonction hépatique : le taux de prothrombine (TP) qui baisse, le facteur V qui baisse, et a fortiori bien sûr s’il y a un premier signe de décompensation de maladie hépatique.

Qui greffer ?

C’est globalement de plus en plus proche de la prise en charge d’un mono-infecté. Au début, le programme était plus drastique, les malades sont avant tout dans des situations de maladie sévère du foie. Une première décompensation ou un premier épisode d’hémorragie digestive doit être immédiatement adressé à un centre de greffe, pour démarrer éventuellement un bilan. C’est la première indication, il y en a d’autres. Cela peut être la même chose pour les co-infectés VIH-VHB, qui représentent une petite proportion de malades : cela peut se compliquer en tumeur du foie, et s’il y a des tumeurs pas trop grosses, il faut alors envisager une transplantation hépatique. Des greffes ont aussi été réalisées pour des malades au diagnostic plus rare [2].
Les critères d’inclusion de greffe, pour une personne vivant avec le VIH et le VHC, c’est d’avoir une charge virale VIH indétectable. 95% des personnes sont contrôlées, du fait d’un traitement antirétroviral. Quelques malades greffés avaient au préalable une charge virale indétectable sans prise d’antirétroviraux.

Ensuite, il y a ces barrières d’états immunitaires. La barre des CD4 a d’abord été fixée à 200, par crainte des infections opportunistes en période post-greffe, mais il y a eu très peu de problèmes. Aujourd’hui, il est donc possible d’arriver à la greffe avec 50 à 80 CD4, il ne ressort pas que ce taux soit un facteur de mauvais pronostic, en terme de survie post-greffe [3].

Tous ces critères d’inclusion, la validation sur le dossier VIH, sont validés par l’infectiologue référent, vu rapidement en première prise de contact, que le patient soit VIH-VHC, VIH-VHB, VIH-Hépatite delta, puisqu’il est nécessaire d’avoir l’historique de génotypage de bonne réponse à un traitement antirétroviral.

Pour les infections opportunistes c’est la même chose ; en cas d’infection opportuniste sous antirétroviraux, il y a contre-indication, en revanche beaucoup de personnes ont été greffées alors qu’elles avaient eu des épisodes d’infections opportunistes, mais pour qui tout était contrôlé sous antirétroviraux. Le plus important, c’est le passif antirétroviral, il faut avoir des molécules de secours s’il y a un échappement viral en post-greffe.

Première rencontre avec un centre de greffe.

Les indications ne sont pas les mêmes que pour les mono-infectés. Il semble que chez eux, il faut qu’il y ait une première décompensation, alors que chez les co-infectés il n’y a qu’une seule décompensation, puisque la seconde est souvent fatale.

Les personnes doivent donc être adressées à un centre de greffe, pour une première prise de contact, avant cette première décompensation. Une chute du taux de prothrombine (TP) qui passe de 70 % à 60 % en un mois, une chute des facteurs V, chez qui on voit d’autres cofacteurs, sans revenir sur le problème de l’alcool et des antirétroviraux, sont des éléments qui doivent aboutir à une visite en centre de greffes. Il y a des facteurs plus fins d’évolution de la fibrose, comme le fibroscan*, des marqueurs d’évolution de la fibrose, ou d’autres à venir prochainement. Il n’est pas nécessaire d’amorcer le bilan, mais une visite au centre de greffe peut permettre de gérer les éventuels cofacteurs, comme la toxicité, les antirétroviraux, afin de stopper l’évolution. La co-infection VIH-VHC, c’est grave et rapidement grave, il ne faut pas hésiter à amorcer un bilan le plus tôt possible. Une personne co-infectée VIH-VHC doit être suivie de façon trimestrielle, et peut-être plus intensément en fonction de sa forme d’évolution.

Alcool, drogue, et le foie il en pense quoi ?

Il y a plus de réticences à inclure quelqu’un qui a des problèmes de toxicomanie actives, car plus difficile à suivre, avec d’éventuellement problèmes d’observance, ou qui a une consommation d’alcool extrêmement importante, ce sont des raisons évidentes. Mais les choses peuvent changer, des personnes ont pu être mises entre parenthèses, pour cause de toxicomanie réactivée, et les choses se sont résolues et elles ont réintégrées le programme. La vie bouge, les choses doivent être réévaluées, il peut y avoir des problèmes dans la vie. L’alcool a un effet direct, il augmente la charge virale C ; des produits type cocaïne ont une toxicité vasculaire, avec des lésions ischémiques, qui peuvent donner des lésions extrêmement sévères, voire des hépatites fulminantes. Une consommation modérée, avec des « doses d’anxiolytiques », un bon rythme de vie, peut être envisagée, mais c’est du cas par cas. Beaucoup de malades sous méthadone ou Subutex® ont pu être greffés, ça n’a posé aucun problème pour démarrer un bilan. Par contre, cela peut transformer la phase de réanimation, à cause de la nécessité de doses antalgiques extrêmement fortes. Au début, l’erreur a été de retarder la mise sous Subutex® ou méthadone, puisque, en réanimation, le patient ne peut pas manger. Mais on doit éviter de donner des traitements substitutifs trop tard. Et puis il faut une prise en charge psychologique particulière pour les personnes sous traitement addictif. Il faut faire attention, précocement, qu’elles soient non seulement vues par l’infectiologue et l’hépatologue, mais aussi par l’addictologue, de façon systématique, pour assurer la bonne tolérance du traitement, la triple gestion et appréhender la période post-greffe.

Zoom sur la greffe Domino

Les personnes souffrant d’une maladie métabolique génétique appelée « neuropathie amyloïde héréditaire » présentent des troubles neurologiques qui peuvent être fatales, qui apparaissent après 30 ans. C’est la production d’une protéine anormale par le foie, et le seul traitement est la transplantation du foie. Mais ce foie est normal, sauf qu’il produit cette protéine après 20 ou 30 ans. On peut le greffer à quelqu’un qui accepterait de le prendre. Le risque c’est que cette nouvelle personne développe la maladie, mais comme elle apparaît après 20 ou 30 ans, cela laisse du temps pour voir. L’avantage, c’est le fait de pouvoir programmer la transplantation, et comme le temps où le foie se trouve hors de quelqu’un est très court, les conditions sont bonnes pour que le foie soit en bon état. Bien sûr, ces personnes greffées ont des bilans neurologiques réguliers, et si elles ont des symptômes, il est possible d’envisager une nouvelle transplantation, mais il y a presque 20 ans pour se décider. Les règles d’attribution des greffons sont généralement très longues, et pour quelqu’un qui n’a pas un an devant lui, ni quelques mois, ce type de greffe est vital.

VHC sur VHC semble validé

L’agence de bioéthique a autorisé l’utilisation de foies marginaux, pour augmenter le nombre de greffons, sous couvert de l’accord du receveur. Ces foies sont issus de donneurs de plus de 60 ans, de donneurs ayant eu une hépatite B, voire une hépatite C non-active, avec des marqueurs anciens. Il existe un faible risque, car l’hépatite peut resurgir chez le receveur. Cela implique que le receveur prenne une prophylaxie. Existe aussi la possibilité qu’un receveur vivant avec le VHC, virémique, puisse recevoir un greffon d’un donneurs lui aussi atteint par l’hépatite C. C’est valide sans prévention d’hépatite C, une cinquantaine de cas ont été étudiés aux USA, avec des résultats à peu près similaires à 5 ans.

A retenir

La greffe est parfois dure, le problème de la récidive du VHC existe, les gens doivent être solides. Il y a des malades qui lâchent, qui en ont assez du suivi, mais la greffe peut parfois bien se passer, sous réserve d’accepter certaines contraintes. Notamment, dans ce contexte, accepter d’être suivi, de prendre les médicaments. Avant tout, il faut savoir que tout n’est pas rose après. Souvent, c’est parce que les personnes sont suivies dans des associations que ça passe mieux, tout seul c’est beaucoup plus dur. L’énergie que cela demande est quelque chose de vraiment impressionnant. L’après greffe, c’est une autre vie, pas une vie nouvelle.


[1Des malades sont arrivés de toute la France, pour la plupart co-infectés. La distance complique la prise en charge, qui devient lourde et compliquée, d’où l’intérêt d’avoir 4 coordinatrices.

[2Des indications d’hépatites fulminantes, de syndrome hépato-pulmonaire sur cirrhose, des conséquences de la prise d’anti-tuberculeux ou de Viramune®, pour des toxicités hépatiques dues à la prise d’analogues nucléosidiques.

[3A l’inverse une équipe américaine, a montré qu’un taux de CD4 inférieur à 120 serait un mauvais pronostic, du fait d’une réactivation virale C, plus sévère en post-greffe chez ces malades.