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Edito

Le retour de Bernard

mars 2001, par Emmanuelle Cosse

Bernard Kouchner est de retour. On ne s’en cachera pas : le départ de Dominique Gillot nous soulage. Son incompétence, son incompréhension de notre sentiment d’urgence, son absence de volonté politique avaient fini de nous désespérer définitivement.

Mais nous sommes aussi des habitués des méthodes de Bernard Kouchner : grandes déclarations suivies de peu d’effet, création de plans d’urgence qui ne se concrétisent pas (feu le plan sur les hépatites), engagement sur des réformes toujours pas engagées (loi de 1970 par exemple).

Aujourd’hui, Bernard Kouchner a une marge de manoeuvre inespérée : un bilan peu glorieux de sa prédécesseure, des rapports de force avec Elisabeth Guigou qui tournent en sa faveur, une opinion publique mobilisée sur les questions de santé. Et c’est pour cette raison que, dès aujourd’hui, nous lui demandons de jouer son rôle de ministre de la Santé. Nous avons besoin de pouvoirs publics forts, mobilisés, convaincants pour gagner sur plusieurs terrains : celui de l’échappement thérapeutique ; celui du logement social et plus généralement des droits sociaux ; celui de la coinfection VIH-hépatites, celui de la prévention, et celui de l’accès aux traitements pour les pays du Sud.

Nos rapports avec l’industrie pharmaceutique n’ont jamais été aussi tendus : qu’il s’agisse de la lutte pour la baisse des prix des molécules, de l’abolition des brevets et de la production des génériques, de l’échappement thérapeutique ou des effets secondaires des traitements, nous nous livrons aujourd’hui à une drôle de bataille. Chaque semaine, une grande firme annonce une nouvelle réduction de prix, avec des conditions très restrictives, sans qu’elle soit suivie d’effets sur le terrain. Roche vient encore de nous berner en annonçant les chiffres dérisoires pour l’accès au T20 : il y aurait en tout 45 lots prévus pour la France. C’est ridicule et criminel. Quant à la production des médicaments génériques, l’industrie essaie de nous convaincre qu’elle fait des procès au Brésil et à l’Afrique du Sud, sans condamner les génériques. De qui se moque-t-elle ? L’industrie pharmaceutique de marque continue à faire du profit sur le dos des séropositifs tout en voulant faire croire (mais qui est encore crédule à ce point ?) qu’elle a une vocation humaniste.

Tout ce que nous pouvons constater, c’est que les pouvoirs publics jouent aux impuissants face à l’industrie et que cette dernière joue la compassion envers les séropositifs. Malheureusement, la seule chose dont les séropositifs ont besoin, qu’ils vivent au Nord ou au Sud, ce sont des molécules efficaces, non toxiques et abordables, c’est à dire, adaptées à la capacité de paiement de leur pays.

Alors si Bernard Kouchner, fort de son expérience, de son pouvoir et son charisme, pouvait enfin jouer ce rôle de Ministre puissant, qui impose les impératifs de santé avant tous les autres, nous pourrons peut-être, enfin, être convaincus de l’intérêt de son poste et du travail incessant que nous menons avec son cabinet et diverses administrations.