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5ème Conférence de l’IAS sur le VIH, 19-22 juillet 2009, Cape Town

Amandla

Chroniques de Cape Town 1

lundi 20 juillet 2009

La 5ème conférence thérapeutique de l’IAS s’est ouverte ce dimanche à Cape Town, en Afrique du sud. Le choix de ce pays n’est pas anodin : c’est à Durban que l’IAS avait organisé la conférence internationale de 2000, la première à avoir lieu dans un pays du sud. On peut ainsi mesurer les progrès accomplis depuis 9 ans, mais aussi tout ce qui reste à faire, tant dans les domaines de la recherche thérapeutique et préventive, sujets de cette conférence, que dans ceux de l’accès aux soins ou des droits humains.

Ouvrir une telle conférence, thérapeutique, en Afrique du sud, c’est aussi prendre acte de l’immense pas en avant enfin fait par le pays. Après des années de négationnisme du sida, le nouveau gouvernement a enfin officiellement reconnu que le VIH causait le sida, et que les ARV pouvaient contrôler le virus. L’incroyable délire du président précédent et de sa ministre de la santé aura causé des dégâts considérables : 20 % de la population est séropositive, soit 5 millions de personnes ; 500 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. L’espérance de vie a chuté à 50 ans. Le programme national d’accès aux ARV ne couvre pas, loin de là, les besoins, les traitements de seconde ligne sont pratiquement indisponibles, la prévention verticale a encore de grands progrès à faire, les prises en charge du VIH et de la tuberculose restent encore trop déconnectés.

Les LGBT ne sont pas non plus à la fête. Si l’Afrique du sud est un des premiers pays à avoir légalisé le mariage des couples de même sexe, l’homophobie imprègne encore la société, et les violences sont légions. L’augmentation de viols et de meurtres de lesbiennes, notamment, est particulièrement inquiétante.

Alors, si on peut se réjouir de ce changement gouvernemental, de l’engagement du parti au pouvoir à assurer éducation à la santé et accès aux soins, de l’implication de Treatment Action Campaign dans l’élaboration du programme national de lutte contre le sida, on ne peut en rester là : en Afrique du sud comme dans le reste du monde, il est indispensable d’augmenter radicalement les ressources accordées à la lutte contre le sida. Alors que le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose a besoin de 3 milliards de dollars pour finir son exercice budgétaire, alors qu’ il lui faut 5 milliards pour terminer l’année, le refus de la plupart des pays riches d’augmenter leur contribution est tout bonnement criminel.

Amandla

TAC organisait une manifestation à quelques heures de la cérémonie d’ouverture pour mettre en avant les revendications des séropos sud-africainEs. Nous y avons participé. A 16 heures, plus de deux mille personnes se rassemblent aux limites du centre ville. Elles portent toutes le tee-shirt rouge, où se lit, sur le devant, la mention habituelle, en gros « HIV POSITIVE », et au dos un appel à tenir les promesses faites dans le cadre du plan national. Après plusieurs discours mêlés de chants, repris par la foule, le cortège démarre. L’occupation de l’espace est exemplaire. Des groupes, très délimités, défilent les uns derrière les autres, laissant un intervalle de plusieurs mètres pour allonger le cortège, en chantant et en dansant. La masse rouge se déplace pendant une heure jusqu’au centre de conférence, où des derniers discours sont prononcés. Une telle manifestation dégage une énergie immense.

HIV is not in recession

Nous enchaînons avec la cérémonie d’ouverture, placée sous le signe de l’accès aux traitements et de l’appel aux dirigeantEs à tenir les promesses de l’accès universel aux traitements. Julio Montanier, co-président de la conférence ne mâche pas ses mots : "le fossé entre le Nord et le Sud n’est pas tolérable (…) Chaque jour surviennent des milliers de décès absurdes, qui auraient pu être éviter. Ce n’est pas acceptable." Il rappelle qu’en 2005, les pays du G8 s’étaient engagés à assurer l’accès universel aux traitements contre le sida pour 2010 et que cette promesse n’a pas été tenue. « C’est une honte ! (…) Je le dis au premier ministre canadien Harper [1] et à ses collègues du G8 :il est temps d’arrêter de parler. Nous exigeons que vous teniez vos promesses et assuriez l’accès universel à la prévention du VIH, aux soins et aux traitements !  » Julio Montanier n’oublie pas que l’assemblée est composée en majorité de scientifiques et de professionnelLEs de santé : "Cette semaine, nous avons célébré les 40 ans de la mission Appolo 11 et du premier pas de l’homme sur la lune, témoignage authentique de ce que l’humanité peut accomplir avec un sens des priorités politiques et de la détermination. Je me demande vraiment pourquoi nous ne pouvons pas faire preuve du même sens des priorités et de la même détermination pour vaincre le VIH / sida "
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C’est au tour du vice-président de parler. Son discours est convenu, mais cela représente sans doute une révolution certaine de voir enfin un responsable politique du pays parler de traitements contre le VIH.

Vuyiseka Dubula, la secrétaire générale de TAC, séropositive, enchaîne. Elle évoque les 91 ans de Mandela, fêtés la veille dans tout le pays, et parle de son héritage, " construire des communautés pour la santé, la liberté et la dignité ". Elle rappelle le souvenir de Gugu Dlamini, lapidée après qu’elle a rendu publique son statut sérologique. Il y a pour elle des raisons d’espérer, depuis la conférence de Durban, mais elle se demande ce qui va se passer, si " nous levons le pied  " comme les pays riches sont en train de le faire. Elle rappelle les objectifs du millénaire et indique : " Les pays du G8 ont d’ores et déjà rompu leur engagement et les états africains ne réaliseront pas leurs objectifs". Elle évoque la situation des pays d’Afrique australe, où les dépenses de santé diminuent, les stocks d’ARV sont vides et les services de base gelés. Elle rappelle aussi les limites des traitements de première ligne : " Je veux qu’on me garantisse que je pourrai avoir des médicaments de seconde ligne quand j’en aurai besoin ". Elle conclut par un slogan zoulou " Amandla " (Nous avons le pouvoir).

Suit Françoise Barré-Sinoussi. La prix Nobel fait un exposé sur les enjeux des réservoirs du virus sur lesquels nous reviendrons. Après un exposé particulièrement dense, elle termine ainsi : " Il y a encore un long chemin à faire, mais nous pouvons prédire que réduire les efforts internationaux pour l’accès universel aux traitements sera un désastre et les gouvernements ainsi que leurs dirigeants seront responsables de ce désastre s’ils n’augmentent pas leur engagement. HIV is not in recession ! ". Puis elle retire la veste de son tailleur et enfile le tee-shirt rouge de TAC, sous les applaudissements de la salle.

Stephen Lewis, co-directeur de Aids Free World (un monde sans sida) clôt la cérémonie. C’est un habitué des conférences et des discours clairs et forts, posant ouvertement la question des responsabilités politiques dans l’hécatombe actuelle. Son exposé est intitulé "les scientifiques comme activistes". S’adressant à l’assemblée de chercheurs, il les incite à s’impliquer plus fortement dans le plaidoyer pour l’accès aux traitements et la défense des droits humains. Extraits : " D’une façon ou d’une autre, avec la science, nous avons besoin d’activisme. Tous deux sont inséparables (...)Et quand le G8 utilise cyniquement la crise financière et menace de diminuer ses financements à la lutte contre le sida, quand le G8 encore une fois, toujours lui, encore et encore dénature ses propres promesses, et ce faisant fait des compromis avec la vie de millions de personnes, alors la science doit s’exprimer d’une voix puissante et porter les accusations. Et quand le Fonds mondial doit faire face à un manque de plusieurs milliards de dollars, vous rendriez un service inestimable au monde, simplement en trouvant, collectivement, un moyen de rappeler aux responsables gouvernementaux, avec l’autorité qui est la vôtre, comment ils ont utilisé l’argent public pour renflouer les banques, si bien que Goldman Sachs a pu faire un profit de 3,4 milliards de dollars au second trimestre 2009, que JP Morgan Chase a pu faire un profit de 2,7 milliards à la même période. "


[1Le Canada, dont Julio Montanier est ressortissant, accueillera le G8 en 2010