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Dossier Kaposi

Kaposi et infection à VIH contrôlée

jeudi 30 octobre 2008

Depuis l’introduction des trithérapies antirétrovirales et malgré l’efficacité de ces traitements, leur accessibilité et une bonne observance dans leur prise, des cas de sarcomes de Kaposi ont été observés chez des personnes séropositives pour le VIH ayant une charge virale contrôlée. Certaines observations indiquent que les homosexuels pourraient être plus concernés, en lien avec la prévalence du virus HHV-8 associé au sarcome de Kaposi plus forte chez eux. Une autre inquiétude est la persistance du sarcome de Kaposi chez certaines personnes malgré les traitements antirétroviraux et la chimiothérapie additionnelle.

Les cas de sarcome de Kaposi restent courants dans les pays n’ayant pas ou peu accès aux antirétroviraux. La prévalence dans les autres pays a considérablement chuté à tel point que l’on ne s’en préoccupait plus vraiment. Néanmoins, les sarcomes de Kaposi restent encore d’actualité dans ce contexte, heureusement en très faible nombre et souvent sous une forme moins agressive. Il n’en reste pas moins qu’ils sont plutôt surprenants quand il s’agit de personnes contrôlant l’infection par le VIH grâce à des traitements antirétroviraux, d’autant plus quand ils persistent.

Situation aux Etats-Unis

En septembre 2007, dans la revue médicale américaine New England Journal of Medicine (NEJM), une équipe de médecins dermatologues à San Francisco publiait une observation de neuf cas inhabituels de sarcome de Kaposi cutané et durable chez des personnes contrôlant leur infection par le VIH. Leur nombre de CD4 était élevé (supérieur à 300 par mm3) et leur charge virale basse (moins de 300 copies par millilitre sur une durée d’au moins deux ans). Il s’agissait de cas récents, ayant été recensés lors de consultations entre novembre 2004 et janvier 2006 et les personnes suivaient un traitement antirétroviral comprenant au moins un inhibiteur de protéase ou un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. Les auteurs fournissaient aussi un certain nombre de détails complémentaires : un âge médian de 51 ans (fourchette de 41 à 74 ans), une durée d’infection médiane de 18 ans (entre 4 et 25 ans) et une durée médiane de suivi de traitement antirétroviral de 7 ans (entre moins d’un an et 19 ans). Le nadir médian du nombre de CD4 était de 340 (entre 90 et 455) et aucune des personnes n’avaient eu d’infection opportuniste précédemment. Le suivi de la pathologie a révélé un sarcome de Kaposi plutôt peu agressif, sans éclatement des lésions cutanées, sans implication viscérale et, enfin, sans apparition d’autres manifestations pathologiques classant au stade sida.

Pour expliquer ce regroupement – en faible nombre – de personnes contrôlant leur infection et développant un Kaposi, les auteurs évoquaient la situation géographique – San Francisco – où la proportion de personnes infectées par le VIH et le virus KSHV (HHV-8) est forte et constitue, de surcroît, une population vieillissante. Ils s’interrogaient alors sur l’état du système immunitaire de cette population infectée par le VIH depuis longtemps, et plus particulièrement sur leur capacité à contrôler certains virus comme le KSHV. Dans la mesure où l’apparition de tels cas pourrait s’accentuer, les auteurs recommandaient que les médecins soient sensibilisés à cette possibilité chez les personnes vieillissantes avec le VIH.

En réponse à cet article, dans une lettre du NEJM, datée du 31 janvier de cette année, des médecins et chercheurs américains du AIDS Malignancy Consortium indiquent que la persistance d’un sarcome de Kaposi malgré une thérapie antirétrovirale efficace n’est pas si rare que cela, ni même récente. Ce consortium créé par l’institut du cancer américain (National Cancer Institute) a permis le recrutement dans des essais cliniques de 442 personnes vivant avec le VIH et présentant un sarcome de Kaposi, entre 1996 et 2007. L’âge médian des participants est de 40 ans (entre 23 et 66 ans), le nombre de CD4 médian de 266 par mm3. Le pourcentage de personnes ayant un nombre de CD4 supérieur à 300/mm3 et une charge virale indétectable est d’environ 30 % d’après les auteurs de cette lettre qui ne précisent toutefois pas les durées correspondant à ces observations. Cette fois, les auteurs s’interrogent plutôt sur les mécanismes de contrôle du sarcome de Kaposi, en particulier sur l’influence du virus associé, le KSHV, en terme de charge virale et d’expression dans les lésions, mais aussi d’âge et de durée d’infection par le VIH.

Et de l’autre côté de l’Atlantique ?

Les deux articles précédents concernent les Etats-Unis. Comme dans les autres régions qui ont bénéficié de traitements antirétroviraux, l’incidence du sarcome de Kaposi en Suisse a chuté brutalement en 1996-1998. La très récente publication dans le British Journal of Cancer des chiffres d’incidence du sarcome de Kaposi parmi les personnes séropositives pour le VIH de la cohorte suisse (Swiss HIV Cohort Study) indique qu’entre 1984 et 2006, sur les 12 959 personnes suivies, 597 cas ont été recensés dont 52 étaient sous antirétroviraux. Une des limites de cette étude porte sur le fait que la classification ‘personne utilisatrice d’un traitement antirétroviral’ ne tient pas compte des périodes éventuelles où le traitement a été interrompu. De fait, une bonne partie de ces personnes avaient arrêté leur traitement 6 mois avant le diagnostic de Kaposi – d’autres avaient débuté un traitement moins de six mois avant le diagnostic.

HHV-8, Kaposi et sexualité entre hommes séropositifs ou séronégatifs

Parmi les 52 personnes de la cohorte suisse, il y avait 35 homosexuels et une personne usagère de drogues. Les auteurs de l’étude notent que cinq hommes ont développé un sarcome de Kaposi alors qu’ils ont reçu un traitement antirétroviral et qu’ils avaient un nombre de CD4 pour lequel un sarcome de Kaposi est rarement vu. Malgré les limites évoquées précédemment sur l’absence de détails quant à la durée et séquence de traitement pour ces cinq personnes, il est à noter qu’il s’agit de personnes homosexuelles. Les deux courriers américains au journal NEJM ne précisaient pas si les personnes contrôlant leur infection par le VIH mais développant un Kaposi étaient des homosexuels. Un article plus ancien de 1999 dans le JAIDS (Journal of AIDS) rapporte deux cas similaires d’homosexuels qui développent un sarcome de Kaposi alors que leur charge virale est contrôlée depuis au moins sept mois. Plusieurs études, dont l’étude prospective EuroSIDA, s’accordent à montrer une plus grande incidence de sarcomes de Kaposi chez les homosexuels séropositifs, malgré l’introduction des traitements antirétroviraux.
Les homosexuels séronégatifs pour le VIH sont aussi concernés par le sarcome de Kaposi. Ainsi, dans le numéro de juin de la revue AIDS, l’équipe de Nicolas Dupin du département de dermatologie à l’hôpital Cochin de Paris rappelle que le virus HHV-8 associé au sarcome de Kaposi est beaucoup plus présent dans les pays occidentaux chez les homosexuels que dans la population générale. Au cours de leur étude rétrospective, l’équipe de Cochin a recensé 28 cas d’homosexuels et bisexuels ayant développé un sarcome de Kaposi alors qu’ils sont séronégatifs pour le VIH. La forme est semblable au Kaposi dit classique – quoique l’âge moyen soit plus bas (53 ans) avec un bon pronostic et une atteinte limitée – et 88 % des personnes avaient une sérologie positive pour le HHV-8.

Le plus grand nombre de Kaposi chez les homosexuels ne serait donc que le reflet d’un plus grand pourcentage de personnes infectées par le HHV-8. Ceci pourrait être mis en relation avec des pratiques différentes de celles de la population générale en terme de transmission (voir partie questions-réponses), quoique la réponse ne soit pas si claire que cela. Des études comportementales plus précises s’avèrent nécessaires pour mieux comprendre les pratiques qui conduiraient à une plus grande prévalence du HHV-8 chez les homosexuels, si la transmission par la salive est effectivement la voie principale. Certains auteurs incitent à la recherche d’un vaccin contre le HHV-8. Nous n’en sommes pas là et, sans être pessimiste, la mise en application d’une telle stratégie vaccinale est semée d’embûches, comme on a pu le voir avec les vaccins préventifs contre les papillomavirus associés au cancer de l’utérus – avec, en plus, la question du type de vaccin, préventif ou thérapeutique.

Persistance du sarcome de Kaposi malgré les traitements

Dans une étude publiée dans la revue AIDS portant sur le suivi de 64 personnes avec un sarcome de Kaposi confirmé, les travaux de l’équipe de Corey Casper du département d’épidémiologie du Fred Hutchinson Cancer Center de Seattle aux Etats-Unis suggèrent que la moitié seulement des personnes séropositives pour le VIH traitées pour le sarcome de Kaposi par un traitement antirétroviral et par une chimiothérapie arrive à juguler la maladie. Les autres participants de l’étude avaient un sarcome qui persiste après trois ans malgré les traitements, entraînant une dégradation de la qualité de vie et une possible stigmatisation due aux lésions apparentes. Les auteurs concluent à la nécessité de trouver d’autres types de traitement.

A retenir

Il ne s’agit pas d’une nouvelle épidémie de sarcome de Kaposi dans les pays occidentaux. Les cas restent en faible nombre et peuvent être plus fréquents chez les homosexuels dans la mesure où ils sont plus fréquemment infectés par le virus associé au sarcome de Kaposi, le HHV-8. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter comme on a pu le faire au début des années 80. Néanmoins, pour les personnes concernées, ceci reste un problème de qualité de vie, surtout lorsqu’il y a persistance du sarcome malgré les traitements antirétroviraux et la chimiothérapie associée pour les formes les plus avancées.