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Act Up-Paris et l’activisme thérapeutique

mardi 5 août 2008

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Ce texte est une mise au point sur notre conception de l’activisme thérapeutique et des liens entre personnes vivant avec le VIH et chercheurSEs.

Act Up-Paris a été la cible, ces dernières années, d’accusations réitérées de Gregg Gonsalves et Nathan Geffen sur ce sujet. Nous avons dans un premier temps résolu de ne pas envenimer ce débat, ce qui aurait desservi les deux parties qui s’affrontent, et de répondre avec sérieux aux attaques proférées. Mais pour qu’il y ait débat, et non pas simplement un procès, chaque partie doit se respecter mutuellement. Dans un article [1]
paru à l’automne dernier, et diffusé dernièrement sur des listes internationales, Gregg Gonsalves et Nathan Geffen ont cette fois-ci tenu vis-à-vis d’Act Up-Paris des propos d’une violence inouïe entre activistes, sur la base d’accusations infondées, et pour certaines d’entre elles mensongères. Ils ont par ailleurs pris à partie nominativement une ancienne militante de notre association.

Dans ce contexte, on ne peut plus parler de débat, mais bien d’une tentative délibérée de dénigrer le travail de plusieurs associations reconnues dans le domaine de l’expertise scientifique, et principalement Act Up-Paris. Toutes les réponses ont déjà été apportées aux critiques de Gregg Gonsalves et Nathan Geffen, depuis plusieurs années.

Nous notons par ailleurs que, dans l’analyse qu’ils font des critiques formulées contre certains essais, les auteurs de l’article sous-estiment totalement le rôle de pionnier qu’ont pu jouer les militantEs locauxLEs, notamment pour l’essai DART ou l’essai préventif sur le tenofovir. Pire, ils sous-entendent parfois que Act Up-Paris aurait manipulé ces militantEs. Comme si les travailleuses du sexe du Cambodge, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) d’Ouganda ou la société civile du Cameroun étaient si facilement manipulables et incapables de la moindre initiative. Dans leur tentative de nous dénigrer, les auteurs de l’article en viennent ainsi à infantiliser des PVVIH, des activistes et des associations de pays en développement. C’est insultant et inacceptable.

Act Up-Paris et la recherche

  Notre partenariat avec les chercheurSEs

Les personnes vivant avec le VIH doivent être des acteurRICEs à part entière de la recherche. La recherche a tout intérêt à reconnaître l’expertise des premièrEs concernéEs. Si la lutte contre le sida a permis cette collaboration, cela ne se fait pas toujours sans mal : les intérêts ne sont pas toujours les mêmes, les PVVIH ne sont pas toujours reconnuEs, surtout quand ils et elles ne sont pas d’accord avec les scientifiques, et le partenariat PVVIH-scientifiques a toujours du mal à se faire sur un pied d’égalité.

Etre acteurRICE de la recherche ne signifie pas l’absence de conflit : entre les chercheurSES, du privé ou du public, les responsables administratifVEs qui les chapeautent, les responsables politiques et les personnes vivant avec le VIH, il y a souvent des divergences. Cela ne signifie pas forcément qu’il y a des « méchantEs chercheurSes » et des « gentilLEs malades », mais simplement des conflits d’intérêts, des manières différentes de voir l’avenir des PVVIH, etc.

C’est dans ce cadre que s’expliquent les actions médiatiques que nous faisons : porter sur la place publique des problèmes de recherche et inverser un rapport de force le plus souvent en défaveur des séropositifVEs.

Ces actions ne nous empêchent pas de travailler avec les chercheurSEs. Act Up-Paris a été à l’origine de la création, en 1992, du groupe inter-associatif TRT-5 dont les missions sont de faire prendre en compte et défendre les intérêts, les attentes et les besoins des personnes vivant avec le VIH/sida par l’ensemble des acteurRICEs de la recherche et de la prise en charge thérapeutique. Le TRT-5 compte sept autres associations françaises de lutte contre le sida et c’est au sein de ce collectif qu’Act Up-Paris élabore et porte nombre de ses positions sur les enjeux thérapeutiques et de recherche.

Act Up-Paris est représentée au sein de l’agence française de lutte contre le sida, l’ANRS [2], des COREVIH [3], structure de mise en place de politique locale de lutte contre le sida ou encore du rapport d’expertEs sur les recommandations de prise en charge du VIH [4]

Nous travaillons quotidiennement avec des médecins et des chercheurSEs ; ce travail est parfois conflictuel, mais il est toujours fructueux. Nous accuser d’être anti-science témoigne d’une méconnaissance totale de notre travail.

  L’éthique dans les essais cliniques

Act Up-Paris pose le principe suivant : garantir la protection des personnes au sein d’un essai, c’est s’assurer que cet essai soit concluant. Si une personne se sent en confiance, alors même qu’elle sait qu’elle prend des risques, elle aura plutôt tendance à « jouer selon les règles du jeu », et à informer les investigateurRICEs si elle ne s’est pas conformée aux impératifs de l’étude. Cela signifie que les règles éthiques, même si elles imposent à la recherche des contraintes - d’argent, de temps, de moyens matériels, etc - garantissent aussi la qualité, le caractère scientifique des résultats obtenus dans une étude.

Dans son principe même, la conduite d’essais cliniques implique des risques pour les personnes qui y participent. Un des critères du caractère éthique d’un essai consiste à regarder ces risques (leur importance, leur caractère permanent ou non, les façons de les réduire ou de les prendre en charge après l’essai, ...) et de les comparer aux bénéfices attendus. Or, les bénéfices attendus ne sont pas les mêmes selon qu’on adopte le point de vue des chercheurSEs (qui auraient plutôt tendance à voir un bénéfice au long terme en rapport avec leur objectif de recherche), celui des financeurSEs, et celui des personnes incluses dans l’essai. L’équilibre bénéfices/risques doit tenir compte de tout cela.

  Notre revue : Protocoles

Act Up-Paris publie tous les deux mois la revue d’information thérapeutique Protocoles. Nous y analysons notamment les essais thérapeutiques proposés aux PVVIH : ceux de la recherche publique et de la recherche privée. Nous étudions les protocoles qui nous sont remis par les investigateurRICEs et nous en faisons une lecture critique, que nous restituons à nos lecteurRICEs. Nous émettons un avis, sur la base de notre expérience de personnes séropositives, et des connaissances scientifiques que nous réactualisons sans cesse. Si nous pensons qu’un essai est inutile ou dangereux pour certainEs ou pour touTEs, nous le disons et nous expliquons pourquoi. Inversement, nous conseillons aussi aux personnes de participer aux essais intéressants : Protocoles a d’abord été conçu pour inciter les personnes à participer à la recherche. Notre lecture des protocoles d’essais VIH est reconnue par les chercheurSES, les médecins, les institutions et les séropositifVEs.
Lire des protocoles d’essai fait partie de notre activité : c’est le même travail que nous avons fait avec le protocole de l’essai DART ou celui du ténofovir.

Notre travail sur les divers essais internationaux

Act Up-Paris produit des textes abondants sur les enjeux éthiques d’essais internationaux, où nos positions sont argumentées. On en trouvera le lien ici.

Gregg Gonsalves et Nathan Geffen ont déjà reçu à de nombreuses reprises les références de ces textes. Il est donc mensonger de dire que nous n’avons jamais apporté de preuves aux critiques que nous formulions ou de réponses aux questions que nos analyses pouvaient susciter.

Les essais ont toujours des présupposés

La science n’est jamais neutre. Les recherches ne sont pas isolées du contexte politique, social, économique, idéologique dans lequel elles naissent. Les résultats qu’elles apportent peuvent en partie déterminer des politiques différentes de lutte contre le sida. Dénoncer certains présupposés de recherches cliniques, ce n’est pas être « anti-science », c’est au contraire apporter aux débats scientifiques un éclairage indispensable. Donnons deux exemples.

  La place des femmes

Par exemple, sur trois essais pour lesquels on nous reproche notre travail, l’essai sur la circoncision, le N9 et le ténofovir, la question de la place des femmes dans l’épidémie est particulièrement criante. Il s’agit là d’une question politique et sociale dont la science ne peut s’abstraire. Ainsi, l’essai ANRS sur la circoncision, dont le bénéfice direct est uniquement attendu pour les hommes, pose une vraie question de fond sur la pertinence d’un outil qui ne sera pas maîtrisée par les femmes, dont elles ne seront pas bénéficiaires, et qui, à ce titre, risque d’accroître les inégalités de genre face à la prévention. Rien d’anti-scientifique là-dedans, mais bien des préoccupations légitimes au vu de la féminisation de la pandémie.

  Les questions économiques de DART

Un autre exemple des présupposés politiques d’un essai : au moment où l’essai DART a commencé, l’ensemble de la communauté scientifique savait très bien, et depuis longtemps, qu’un suivi biologique d’un séropo est préférable à un suivi seulement clinique. De même, des recommandations concernant les interruptions de traitement avaient déjà été émises, et on savait déjà, par exemple, qu’en ce qui concerne les personnes recrutées par l’essai, cette stratégie n’était pas conseillée. Notre document sur DART rappelle, preuve à l’appui, l’état des connaissances à l’époque.
Les questions posées par DART ne peuvent dès lors trouver une justification que dans le cadre d’un manque de moyens flagrant accordé à l’accès aux traitements dans les pays du sud - puisque des réponses avaient déjà été apportées dans le contexte des pays riches. La question principale de DART devient donc : combien économise-t-on avec un suivi seul, et des interruptions de traitement, et cette économie est-elle tolérable sur le plan humain et sur le plan de la santé publique ?

Au-delà du fait que DART ne se donne aucun critère pour répondre à cette question économique, et donc met en danger des personnes pour répondre à des questions déjà posées, sans faire progresser les connaissances, on est aussi en droit de s’interroger sur les présupposés politiques d’une étude ainsi formulée qui risque de conduire à un nivellement par le bas des standards de soins et donner des alibis scientifiques aux dirigeantEs des pays riches pour ne pas financer au maximum l’accès universel aux traitements.

Imaginons par exemple qu’en France, dans le contexte politique actuel de démantèlement du système de protection sociale au nom d’une logique budgétaire, des chercheurSEs, dont l’unE travaillerait aussi dans les services de recommandations thérapeutiques du ministère de la santé, proposent d’évaluer l’intérêt de limiter le suivi biologique des personnes vivant avec le VIH, pour économiser des coûts. Qui peut imaginer cela ? Qui oserait dire à ceux et celles qui critiqueraient une telle étude en France qu’ils et elles sont anti-scientifiques ?

Faire de l’activisme thérapeutique c’est aussi poser ces questions politiques. En quoi le faire est-il anti-scientifique ? Voudrait-on nous faire croire que la science est idéologiquement pure et que les chercheurSEs n’ont pas de comptes à rendre à la société qu’ils et elles servent ?

Ultimes réponses à de fausses accusations

Enfin, les approximations ou contre-vérités de nos détracteurs nous amènent à faire les précisions suivantes :

  Sur le nonoxynol 9

Il n’y a pas eu simplement « un essai de 900 personnes » sur ce spermicide, pas plus qu’une « impardonnable confusion » de la part de l’ancienne membre d’Act Up-Paris que l’article de Gonsalves et Geffen incrimine, mais plus d’une dizaine d’essais concernant le nonoxynol 9 (N-9). Depuis 1987, la recherche américaine s’est focalisée sur ce spermicide, dont les résultats in vivo se sont avérés décevants : surdosé, le N-9 est irritant pour la muqueuse vaginale et accroît donc le risque de transmission ; tandis que sous-dosé, il est inactif contre le virus. Aucun des produits à l’étude ne montrait une efficacité quelconque contre le VIH, mais pendant des années les essais se sont succédés, à la recherche d’un illusoire dosage optimal. Nous dénombrions en 2000 quelques 900 personnes infectées dans l’ensemble de ces essais testant ce produit, dont nous supposions alors que la majorité avait été perdue de vue, laissée sans soins ni traitements. A cette époque, l’activisme n’avait pas encore imposé l’idée maintenant admise d’une responsabilité partagée entre agences de recherche et gouvernements de garantir des traitements aux personnes infectées dans le cadre des recherches.

Nous avons difficilement retrouvé la trace aujourd’hui d’une partie de ces essais, en commençant par une cohorte multi-sites de 2 509 personnes de 76 a 78 aux USA, puis deux études de l’Université d’Alabama sur le même groupe de 818 personnes en 88, puis 90, un premier essai au Cameroun de 273 personnes en 1993, puis un deuxième en 2002 sur 1 292 personnes, un autre au Kenya en 1992 sur 138 personnes, un essai de FHI en Thailande sur quelques 350 personnes puis 492 dans les années 90, un autre à Bogota en Colombie en 96, en Zambie en 97 sur 110 couples sérodiscordants, et enfin l’essai dont parlent Gregg Gonsalves et Nathan Geffen : sur 892 femmes dans 4 pays : Benin, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud et Thailande. Ce n’est qu’en 2000 que l’ONUSIDA et les laboratoires de Columbia interrompent le dernier essai de la série, constatant (enfin) les risques inutiles encourus par les femmes qui y participaient. Cet essai a été condamné à l’époque par de nombreuses associations. C’est le seul que Gregg Gonsalves et Nathan Geffen ont retenu. Quelle preuve de rationalité !
En 2004, une dernière tentative est avortée au Malawi et au Zimbabwee, après que 180 personnes ont été enrôlées... L’histoire des essais sur le nonoxynol 9 peut être qualifiée d’hasardeuse sans que cela doive être considéré comme une position anti-science, bien au contraire.

  Circoncision

Le rôle qu’a joué le TRT-5 et les autres associations auprès de l’ANRS dans le cadre de l’essai Orange Farm n’est pas celui indiqué par Gregg Gonsalves et Nathan Geffen. On peut s’en convaincre en lisant par exemple la lettre écrite à TAC par le directeur de l’ANRS, qui tente de calmer les ardeurs belliqueuses de ces leaders.


Savoir choisir son ennemi

Aujourd’hui, les crédits de l’agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) sont sévèrement diminués : - 50 % de la part du Ministère des Affaires étrangères - ce qui compromet très largement les essais menés par la France dans les pays en développement. Gregg Gonsalves et Nicolas Geffen ont-ils vraiment choisi la bonne cible en nous qualifiant d’ennemiEs de la recherche ? N’ont-ils pas mieux à faire que de diffamer publiquement les activistes françaisEs qui vont se battre pour le maintien des moyens accordés à la recherche, comme ils se battent contre la diminution de l’aide française au développement et à la lutte contre le sida ?


[1« In defence of rational AIDS activism. How the irrationality of Act Up-Paris and others is risking the health of people with HIV or at risk of HIV infection », Nathan Geffen and Gregg Gonsalves, Journal of the Southern African HIV Clinicians Society, Autumn 2007

[2Hugues Fischer est dans le conseil scientifique de l’ANRS pour Act Up-Paris et le TRT-5.
Maryvone Molina est dans l’Action Coordonnée (groupe de travail) AC 07 « Cohorte » et Emmanuel Château dans l’AC 18 « Comportements et prévention ».

[3Voir par exemple la composition du Comité national.

[4Voir la composition entre les pages V et XI de l’édition 2006. Une nouvelle édition sera présentée à la conférence de Mexico à laquelle Act Up-Paris a aussi participé.