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Transmission, contamination, prévention I

Part I, Morgane Bomsel

jeudi 31 juillet 2008

Ces derniers mois, le milieu de la recherche a provoqué quelques mini séismes et polémiques dans le domaine de la prévention suite à diverses communications : d’une part, les déclarations suisses faites fin novembre sur la transmission du VIH au sein des couples sérodifférents, et officialisées par la Commission Fédérale Suisse de Santé Publique fin janvier 2008 (lire encadré) ; ensuite, les avancées en recherche biomédicale, notamment sur la circoncision [1] ; enfin, plus largement, la promotion actuelle des nouveaux moyens de réduction des risques de transmission sexuelle qui multiplient les messages de prévention en ne limitant pas ceux-ci au seul port du préservatif. En général, la plupart de ces annonces restent dans le monde scientifique, médical et associatif mais parfois elles arrivent à en sortir, et c’est tant mieux, mais elles ne sont pas toujours retranscrites de la meilleure façon, laissant alors la place à de fausses croyances.

Pour répondre aux questions qui se sont posées à la suite de certaines déclarations, trois spécialistes sont venus lors de notre 69ème RéPI et nous ont permis de mieux comprendre les mécanismes et les enjeux de la transmission du VIH. Du côté de la salle, des responsables associatifs, des militants d’Act Up travaillant dans la commission prévention ou traitements & recherche, des mambres d’autres associations, des personnes représentant les séropositifs dans différentes instances étaient présents dans la salle pour répondre aux questions, et donner le point de vue des malades, qui dans ces débats est souvent oublié. Certains propos des uns et des autres n’ont pas manqué de provoquer le débat. Une RéPi captivante.

Morgane Bomsel

La Docteur Morgane Bomsel, immunologue et biologiste à l’Institut Cochin, nous a parlé des portes d’entrée du virus et de l’immunité des muqueuses, points essentiels pour la compréhension des mécanismes de transmission du VIH.

Elle nous a expliqué comment le virus entre dans le corps par transmission sexuelle, à travers le tractus génital mâle ou femelle, une thématique à laquelle peu de chercheurs en biologie s’intéressent alors que le VIH est transmis à plus de 85 % au cours de rapports sexuels.

Entre muqueuses et épithéliums

Le premier environnement que rencontre le virus est le tractus génital ou le tractus gastro-intestinal. Pour comprendre les mécanismes de transmission, il est primordial de s’intéresser à la physiologie de ces sites recouverts par un tissu muqueux, lui-même formé d’un épithélium. Ces muqueuses sont organisées de manière différente selon leur localisation. Le rectum et l’endocol de l’utérus (partie interne de l’orifice situé au centre de l’utérus qui mène vers l’intérieur de celui-ci) sont formés d’une seule couche de cellules épithéliales, maintenue jointive par un système de protéines qui rend cette monocouche imperméable. On trouve dans l’anus, le vagin ou l’exocol de l’utérus des épithéliums qui sont formés de plusieurs couches de cellules épithéliales, empilées les unes sur les autres. Ces épithéliums pluristratifiés (avec plusieurs couches de cellules épithéliales) sont plus épais. En plus des cellules épithéliales, on trouve des cellules dendritiques dites de Langerhans qui initient la réponse du système immunitaire et ont pour fonction de protéger ces surfaces. Les cellules de Langerhans sont très mobiles et sont capables de traverser les multicouches de cellules épithéliales pour arriver en surface et capter les éléments pathogènes qui pourraient arriver de l’extérieur dans ces zones. Ce sont des cellules très importantes puisqu’en général, ce sont les premières à être en contact avec le virus.

Voyage intérieur

Aujourd’hui, à propos de la transmission du virus dans les muqueuses génitales et au niveau de l’anus-rectum, on sait que :
 pour traverser les épithéliums constitués d’une seule monocouche, le virus est capable d’entrer dans les cellules épithéliales comme dans un ascenseur. Par une succession de vésicules le virus passe d’un compartiment à l’autre, jusqu’à se retrouver de l’autre côté de la muqueuse. A ce moment-là, comme pour un ascenseur quand la porte s’ouvre, le virus est largué de l’autre côté et rencontre des cellules dendritiques qui le capturent et migrent vers un ganglion, ce qui provoque la dissémination de l’infection.
 pour les épithéliums pluristratifiés, la situation est un peu différente. Le virus ne pénètre pas dans les cellules épithéliales qui, à priori, ne sont pas infectées. Il attire probablement les cellules de Langerhans qui vont initier la réponse immune, et c’est à l’intérieur de ces cellules, qui peuvent traverser les multicouches épithéliales, que le virus passe de l’autre côté. Ces cellules ne sont pas forcément infectées, mais étant activées, elles vont également migrer vers les ganglions proximaux, où elles vont rencontrer les cellules T CD4+, les infecter et ainsi disséminer l’infection.

Le mécanisme de passage à travers l’épithélium monostratifié s’appelle transcytose, et prend de 30 à 60 minutes. La migration des cellules dendritiques hors de l’épithélium pluristratifié se déroule probablement en une à deux heures. Si on veut agir, il faut donc le faire très vite. En cas de brèche de l’épithélium du rectum, donc d’un contact direct avec le sang, le virus peut alors infecter directement les CD4.

Des réservoirs ignorés

Les sécrétions génitales peuvent contenir des virus isolés (virus libre) et/ou des cellules infectées capables de relarguer de nouveau virus. Cela vaut pour le sperme, comme pour les sécrétions cervico-vaginales, ou même, si on considère la transmission mère-enfant, le colostrum ou le lait maternel, et également probablement les sécrétions rectales. En ce qui concerne la transmission sexuelle, on trouve dans l’éjaculat d’un homme séropositif, environ 500 000 cellules potentiellement infectées par le virus.

Ce qui est nouveau dans les connaissances et très important, c’est le rôle des cellules infectées dans la transmission. Jusqu’à présent, la grande majorité des études ont été menées avec des virus libres ou des particules virales, en éliminant les cellules infectées pourtant capables de former ces particules virales. Certains groupes de recherche commencent cependant à s’y intéresser. L’autre connaissance relativement récente, mais pas encore bien étudiée, concerne ce qui se passe dans les muqueuses et sous-muqueuses. Sans qu’on connaisse tous les mécanismes en cause, le virus pourrait aller directement infecter les CD4 présents dans la sous-muqueuse vaginale des épithéliums pluristratifiés. Il est donc important d’étudier les autres muqueuses dont les chercheurs savent peu de choses.

Le cycle viral

Pour mieux comprendre l’importance des cellules infectées dans la transmission du virus, rappelons quelques éléments du cycle viral du VIH. Le virus est une particule enveloppée d’une membrane, qui ne peut se reproduire seul. Il va donc se lier à des récepteurs spécifiques au niveau des lymphocytes T CD4+. Après la fusion entre la membrane du virus et celle de la cellule qui va répliquer le virus (la cellule hôte ou cellule T), le mécanisme de réplication peut commencer ; il va permettre aux protéines virales d’être synthétisées puis assemblées à la membrane de la cellule infectée. L’extension de la membrane, dans laquelle sont implantées les protéines et la glycoprotéine d’enveloppe du virus, bourgeonne alors, devenant une nouvelle particule virale entourée d’une membrane qui contient les protéines virales mais qui embarque, en même temps, quelques protéines de la cellule hôte. Ce virion va pouvoir infecter une cellule saine, et c’est par ce mécanisme de réplication que l’infection se propage.

Si le virus libre peut se propager, les cellules infectées sont elles-mêmes capables d’avoir des interactions avec des cellules saines non-infectées. La rencontre s’appelle la synapse virologique : sur la zone de contact entre les deux cellules apparaissent des particules virales libres qui sortent de la cellule infectée et très vite fusionnent avec le lymphocyte T sain. De telles synapses se forment également avec des macrophages. Dans les laboratoires de recherche, on sait depuis plus de dix ans que les cellules infectées transmettent bien mieux l’infection mais, pour des raisons techniques, ces cellules ont été un peu négligées en ce qui concerne la physiopathologie. Ces types de synapses, comme entre une cellule dendritique infectée par le VIH et les lymphocytes, ont été mises en évidence dans les tubes à essai, mais récemment, ce même type de conjugaisons, capables de transmettre des virus, a été visualisé dans des tissus.

Dans le cadre des cellules épithéliales des muqueuses, on sait que les cellules infectées, quand elles rencontrent la surface des muqueuses, sont non seulement capables d’interagir, mais aussi de présenter un bourgeonnement du virus dirigé vers la surface épithéliale : les virus produits à l’interface peuvent alors entrer massivement dans la cellule épithéliale. Ce genre de contact est connu en biologie, mais ce qui est important ici, c’est que non seulement le virus est transmis de manière privilégiée, plus rapide et protégée, mais également que les cellules, en se touchant, sont capables de se transmettre des signaux. Ce qui veut dire que si on veut bloquer l’entrée du virus dans les muqueuses ou dans les cellules épithéliales, il faut non seulement tuer le virus ou le bloquer, mais aussi tenir compte que la cellule infectée n’est pas neutre. Cela complique les choses. Le groupe français de Roger Legrand commence à faire des essais pour comprendre ce qui se passe et avoir un modèle pour tester des antirétroviraux ou des microbicides en effectuant une infection rectale chez le macaque.

Des hommes...

Le prépuce est un tissu cutanéomuqueux qui recouvre le gland. Il est formé d’un épithélium pluristratifié, avec des cellules de Langerhans qui initient la réponse immune. Le mécanisme est-il le même pour le prépuce que pour les autres épithéliums pluristratifiés ? Plusieurs études ont montré un lien entre l’absence de contamination de l’homme et la circoncision. Le prépuce a deux faces : interne et externe. La partie externe est recouverte d’une épaisse couche de kératine, sorte de barrière filandreuse, beaucoup plus épaisse que la face interne. Des expériences d’infection virale en laboratoire (in vitro) ont permis de voir qu’après une heure, des synapses virologiques se forment et que des particules virales sont produites. Le modèle que l’on peut en tirer est tout à fait préliminaire et ne concerne que les premières heures de la transmission, in vitro. Les cellules infectées forment une synapse avec la surface du prépuce interne ; les virus attirent très rapidement des cellules de Langerhans qui sont capables de migrer vers l’intérieur du tissu, où elles rencontrent les CD4 présents dans les muqueuses. Le complexe, après une heure, serait capable de migrer hors de la muqueuse pour disséminer l’infection vers les ganglions. Par contre, dans le prépuce externe, la situation pourrait être un peu différente. La couche épaisse de kératine à la surface du prépuce externe serait une barrière efficace pour la pénétration du virus attirant des cellules de Langerhans, qui seraient alors capables d’internaliser le virus et peut-être de le dégrader. Ce qu’il faut retenir, c’est que pour bloquer l’infection, il faut aller très vite. Une ou deux heures après, il y a déjà suffisamment de virus pénétrés dans la surface des tissus pour que ça soit plus difficile à bloquer. Reste à savoir pourquoi et comment le virus infecte les hommes circoncis, sans qu’on en soit sûr, l’urètre pourrait être un site d’entrée.

Toutes ces expériences ont été faites avec juste du virus et des tissus du prépuce, mais les chercheurs ont beaucoup de mal à intégrer que, dans la vraie vie, le virus n’est pas juste du virus ou des cellules infectées mis dans un milieu de culture. L’infection se fait en présence de fluides génitaux, que ce soit du liquide séminal, des sécrétions rectales ou cervico-vaginales. Peu de choses sont connues sur le rôle de ces fluides sur les muqueuses et a fortiori sur la transmission du virus.

... aux femmes

D’après les derniers résultats d’études, lorsque le liquide séminal arrive dans le vagin, il induit la production de molécules par les cellules épithéliales de la muqueuse vaginale, qui permettent d’attirer les cellules de Langerhans afin de capter le danger, d’attraper l’intrus pour le détruire, ou d’initier une réponse immune. Dans le même temps, on constate une infiltration transitoire de toutes sortes de leucocytes, comme des neutrophiles, des macrophages ou des cellules dendritiques. En ce qui concerne le rôle du liquide séminal dans l’infection, très peu de données existent et elles sont contradictoires. Dans son laboratoire, Morgane Bomsel a mélangé du liquide séminal d’hommes séronégatifs à des sécrétions vaginales de femmes séropositives. Les résultats encore préliminaires montrent que la présence de fluides génitaux diminue d’environ par deux l’efficacité du passage du virus.

En outre, certaines spécificités des femmes peuvent diminuer les risques de transmission. Des mécanismes de défense de l’immunité innée se mettent en place très rapidement quel que soit le pathogène. Il s’agit de toute une série de molécules de différentes catégories, comme les chimiokines, les défensines, les interférons, et des inhibiteurs de protéase. De plus, les sécrétions vaginales ont un pH acide et la flore vaginale peut sécréter de l’eau oxygénée, ce qui n’est pas forcément très bon pour les cellules infectées, ni pour le virus libre. Sous l’influence des hormones, l’épaisseur de la muqueuse vaginale peut varier, une épaisseur importante rendant le passage du virus plus difficile. Mais, il y a aussi des facteurs qui augmentent le risque de transmission, comme la fragilisation de l’épithélium vaginal, mais ceci est valable pour n’importe quel épithélium de surface. Cet étiolement peut être provoqué par la dérégulation hormonale, par l’effet d’autres infections sexuellement transmissibles (IST) ou survenir après des rapports entraînant la rupture de l’épithélium. La sécheresse vaginale ou les inflammations sont autant de mécanismes qui provoquent la migration des cellules du système immunitaire, premières cibles à être infectées par le VIH, vers la surface de la muqueuse.

L’exemple des microbicides

Les premières pistes de recherche se sont concentrées sur le virus libre. La cible semble évidente, c’est la surface du virus. Les produits essayés chez les femmes sont essentiellement des molécules non spécifiques qui se lient à la surface du virus, soit pour des raisons chimiques, soit pour des raisons de structure, soit pour le détruire en s’intégrant dans la membrane virale. Mais le problème de toutes ces molécules, c’est qu’elles agressent la muqueuse elle-même.
Une deuxième piste concerne des agents qui peuvent être des anticorps spécifiques ou toutes sortes d’agents spécifiques ayant comme objectif le blocage du mécanisme d’entrée. Ces options n’ont pas encore été essayées chez les femmes. Le travail actuel sur les microbicides consiste à utiliser des antirétroviraux dirigés spécifiquement vers le virus à la surface, mais aussi lorsqu’il a pénétré la muqueuse, sans attaquer cette dernière.

La fellation

Une étude a été faite pour montrer que le virus pouvait aussi passer par la muqueuse de l’œsophage. En effet, les muqueuses gastro-intestinales, que ce soit au niveau du rectum ou plus haut dans l’œsophage, sont à peu près les mêmes en terme de structure. Il n’y a donc pas de raisons de penser que ça se passe différemment ; la seule différence ce sont les brèches courantes. La structure de la muqueuse buccale ressemble plus à celle du vagin, pluristratifiée mais plus épaisse, et cette entrée contient plus de facteurs naturels de l’immunité innée capables de bloquer la transmission. De ce fait, on trouve dans la salive une production locale de toutes sortes d’inhibiteurs de protéases (de l’organisme, pas du VIH), de défensines, de chimiokines capables de bloquer la pénétration virale. La pénétration est donc plus difficile, mais elle reste possible, notamment par des brèches, comme les aphtes qui permettent un accès direct au sang.

La présence de virus dans la salive est attestée, mais on sait que le virus est en moins bon état. Si la salive est effectivement moins infectieuse à cause du grand nombre d’enzymes qu’elle contient, on y trouve du virus, particulièrement chez les gens qui saignent, mais aussi des lymphocytes CD4 infectés. Un certain nombre d’études commencent à montrer que l’infection par les fellations n’est pas un mythe mais bien une réalité. Tout cela est à prendre en considération avec l’éjaculat, et à mettre en rapport avec les quantités de sperme et de salive et son pouvoir neutralisant. Parmi les cellules dans les sécrétions qui pourraient contenir du virus - et donc le transmettre au niveau du rectum, du vagin ou du pénis - se trouvent des cellules de Langerhans, des cellules dendritiques, des macrophages et des lymphocytes infectés, qui sont autant de réservoirs mis en contact avec une muqueuse non infectée, prêtes à s’y attacher et à relarguer du virus en quantité.

La question des mesures virologiques a permis de faire le lien entre l’intervention de Morgane Bomsel et celle de Christine Rouzioux. Dans les mesures virologiques, on compte le virus par son ARN et les cellules infectées par l’ADN viral. Mais ce qu’on ne mesure jamais, car c’est très difficile, c’est combien d’ARN viral va donner cet ADN cellulaire localement et par heure. Il est très difficile d’appréhender l’efficacité de ce contact entre une cellule infectée qui se met à produire du virus vers la surface d’une autre cellule non infectée.


[1Lire les articles de Protocoles n°47 et Action n°108