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sida : envie d’en être ?

Rencontre avec Hélène, une de nos militantEs.

jeudi 14 février 2008

sida : envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. D’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. 1952 : naissance. 1968 : mai 68. 1970 : grave accès maniaco-dépressif ; HP. 1972-73 : s’amuse au FHAR. 1974 : adopte Hélène comme prénom, premières hormones. 1975 : Pigalle, le bois (des films et du théatre etc). 1978 : Michel Cressole me fait rentrer à Libération comme pigiste. 1984 : débute un traitement au lithium, les copains commencent à mourir. 1987 : contamination. 1989 : je rejoins Act Up. 2000 : après un procès gagné je quitte Libération pour France Culture.

Tu as eu une jeunesse alternative ? L’écriture m’a très vite passionnée. J’ai très tôt lu de la poésie (entre autres choses). Du romantisme au surréalisme, au dadaïsme pour finir avec les situs, ça s’est fait presque naturellement. J’étais sacrément infatuée de moi-même, je pense que je surestimais mes talents. J’ai toujours eu des amis bizarres, marginaux, quelques-uns poètes. L’artistouille.

On parle souvent de toi comme d’une « figure historique ». Comment tout cela a-t-il commencé ? Je ne suis pas responsable des opinions que les autres ont de moi. Dire que je suis une figure historique c’est aussi une façon commode d’évacuer mon discours actuel. Je ne me sens pas « figure historique », je me sens rescapée, quand je pense au FHAR je me dis que 80 % sont morts aujourd’hui. Je ne voudrais pas voir reproduire aujourd’hui un certain sectarisme et fanatisme des années 70.

Comment as-tu compris que tu étais homosexuelle ? Sexuellement je suis attirée par des hommes et des femmes. J’ai eu mon premier amant à 14 ans, et ma première amante à 16 ans. Avec lesquels est-ce que j’ai été le plus homosexuelle ? J’espère avec les deux.

Te définis-tu par rapport à ta sexualité et si oui avec quel mot ? Je suis libertaire, je me définis par rapport à mon goût de la liberté, jusque dans la sexualité. Je ne suis pas nationaliste trans’.

Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ? Une amie était mon médecin traitant. Je faisais des tests régulièrement. Un week end elle m’a appellée : « j’ai quelque chose à te dire, il faut que je passe chez toi ». Elle m’a alors dit « il y a un risque que tu te sois contaminée HIV ». C’était comme de me prendre une enclume en pleine tête. Je devais cacher la nouvelle à ma compagne. Je pleurais dans le métro. Heureusement j’avais un petit boulot à faire, avec plein d’interviews. J’en faisais une par jour au téléphone, au bout de 20 jours j’en avais 20... J’ai pu finir le boulot.

Pourquoi le « cacher » à ta compagne ? Il y a une nuance entre « ne pas dire » et « mentir »... Elle était fragile. Elle avait des amies à New York qu’elle n’avait pas vues depuis longtemps, je lui ai offert un voyage ensemble, qu’elle puisse les revoir. Je lui ai craché le morceau à notre retour. Elle était furibarde.

Que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? Le préservatif, pour moi c’était évident car je l’avais utilisé à Pigalle contre la syphilis. Fallait-il le mettre pour les fellations ? Là c’était plus vague. Quand on me le demandait je le mettais. J’ai mis des années de psychothérapie pour accepter que je n’étais pas complètement ignorante de la dangerosité potentielle de la fellation... À l’époque, des médecins m’ont dit des conneries du genre « à chacun de gérer ses propres risques ». Je ne peux plus entendre ces discours aujourd’hui vu ce qui m’est arrivé.

Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité ? J’ai appelé mes rencontres de minitel sur trois mois pour les prévenir de faire le test. Je pense n’avoir contaminé personne. Je vivais en couple avec une femme qui est sans doute le grand amour de ma vie, nous dormions ensemble, ce qui est pour moi très important, mais nous n’avions plus de rapports, ce qui m’a évité de la contaminer. Mes aventures masculines étaient sans lendemain. Ca été une horreur totale, on était juste avant l’arrivée des trithérapies. Mes quelques amiEs étaient sur le départ. Ma contamination m’a permis d’être plus proche d’eux, plus complice. Je n’ai pas été une grande militante au début de l’épidémie, mais je n’ai pas laissé tomber les amis.

Comment tu t’es protégée après ? La capote, y compris pour les fellations actives ou passives. La capote ce n’est pas comme de se taper sur le zgeg avec un marteau, ça ralentit un peu l’action, ce qui peut être bien. On aurait dû lancer un concours de parfum pour capotes avec les grands chefs français. En 12 ans, je n’ai eu qu’un seul pépin de latex ! Je demandais aux mecs de me goder avant « pour réduire les risques », c’est drôle des mecs qui n’osaient te goder, quand tu leur disais que c’était bon pour la prévention, ils te le mettaient jusqu’au poing !

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? L’amie médecin qui m’a annoncé la nouvelle de mon VIH est morte depuis d’un cancer. Avec mes médecins traitant c’est plutôt bien. Quelques anicroches, une avec un médecin charmant, mais d’après moi avec un « blocage trans ». Il mettait en avant ma bipolarité et ma crise à l’âge de 18 ans sur des ordonnances pour aller faire des analyses anodines... À la Salpetrière à cause du 1 de la Sécu, des infirmières m’ont réveillée d’une anesthésie générale (opération pour une otite céreuse) en me disant « monsieur, monsieur réveillez-vous ! » (on voyait mes seins à travers ma blouse). Il y a aussi plein de gens gentils et efficaces, je ne veux pas les oublier.

Est-ce que tu as eu un parcours médicalisé dans le cadre de la transsexualité ? Une ex-maîtresse m’a présentée à un médecin qui était fou d’elle. Grâce à lui j’ai eu mes premiers Progynon-retards (hormone vintage des années 70, depuis retirée du commerce). À la pharmacie Pigalle, ils nous donnaient les hormones sans problème. Peut-être aurais-je dû aller voir un endocrino... Après le FHAR, il n’était pas question pour moi d’aller voir un psy pour qu’il me donne l’autorisation d’être moi-même. J’ai quand même voulu aller voir le grand psy-à-trans de Londres, il m’a proposé de me faire opérer tout de suite « vous vous intégrerez mieux »... Ça m’a fait peur, je sentais qu’il y prenait plaisir.

L’incidence des discours psychiatriques sur la transsexualité sur ta vie ? Je savais que les psys payés pour gérer le problème tenaient des discours glauques, qu’ils adoraient parler au masculin dans la salle d’attente à celles qui étaient jolies et autres abus, mais je n’ai pas eu à me confronter à eux. Je ne suis pas passée dans les filières d’opérations. Ce sont mes amies transsexuelles qui m’ont fait prendre conscience du poids des psys réacs dans le système qui nous discrimine. Aujourd’hui je suis une thérapie de mon choix qui se passe très bien.

Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité à ton entourage ? C’est drôle, je croyais que ça allait faire plaisir à mes copains séropos, et pas du tout, ils étaient furax, effondrés : ils m’aimaient. Ça a renforcé les liens. J’ai installé un paravent en basculant dans le SM... Ça me permettait d’évacuer l’histoire, et l’on peut pratiquer le SM sans rapports sexuels, juste avec des coups... J’adorais qu’on me fasse pleurer. J’ai fait circuler une rumeur comme quoi j’avais été victime d’une rencontre SM qui aurait mal tourné, pour expliquer mes airs dépressifs. Ma mère était très âgée, j’avais pas envie de l’achever en lui racontant l’histoire (mon frère, je crois, s’en est chargé). Je comprends Romero qui ne voulait pas que sa mère sache. Fréquenter Act Up-Paris, où tant de séropos parlaient ouvertement de leur séropositivité sans que ça rentre dans le côté « confession/appel à compassion » m’a fait un bien fou. La mort de ma mère m’a libérée de ce côté-là, tout était dans le non-dit. Mais jamais je ne me suis cachée pour prendre mes médocs.

Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositive ? Pour tout le monde l’apparence est importante, pour une trans’ encore plus : la maladie revirilise les femmes trans’. Je vis en guerre avec mon image depuis l’arrivée des lipodystrophies. Mes amis photographes qui veulent me photographier ne se rendent pas compte que ma première envie quand je vois leurs photos c’est de me mettre la tête dans une cuisinière à gaz (je cuisine à l’électricité, rassurez-vous). Ces veines énormes sur le corps, les cavités aux genoux, les bras maigrichons... J’ai dû réduire mes doses d’hormones, je perds mes cheveux, mes dents... Et en même temps l’Actupienne que je suis me dis : « je suis belle et vivante et Merde ! » Quand on aime la sodomie, quatre diarrhées par jour, à moins de tomber sur un pervers, c’est pas l’idéal.

Quel traitement as-tu pris, prends-tu ? Depuis dix ans, les traitements ont évolué, je ne sais pas par cœur leur liste, pour la maladie je fais confiance à mon charmant médecin... Aujourd’hui c’est Ziagen®, Norvir®, Epivir®, et il y en a un que j’oublie. Sans oublier le Mothilium® pour les vomissements, celui pour le cholestérol, bientôt pour les problèmes cardiaques. Le Norvir® à mettre dans le frigo t’interdit les voyages dans les pays chauds.

Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ? Slurp. C’était au temps du Videx® en gros comprimés... Un médoc me faisait gerber (j’ai un souvenir dans un avion d’avoir redécoré la cabine arrière), plus tard, pire, un autre médoc m’avait déclenché une dépression... J’étais à deux doigts de m’acheter une cuisinière à gaz. 15 jours après en avoir parlé à mon médecin et qu’il me change de traitement, j’ai repris goût à la vie. C’est incroyable la science, les progrès, ça vous donne beaucoup d’espoir, mais je pense aussi à tous ceux sur cette terre qui n’ont pas accès aux médicaments, ça me gâche mon plaisir.

As-tu déjà souffert de discriminations ? Oui. Violentes moralement et physiquement (coups, etc.). C’est humiliant d’avoir à dire qu’on est victime de discriminations mais il faut en parler. Dans la rue, la terreur c’est que ça retombe sur tes proches. Et si on parlait des discriminations contre les moches ? Une garçonne avec qui j’ai eu des amours m’a raconté que certaines lesbo-rigides, au début où nous sortions ensemble, allaient lui dire « attention ! Elle est séropo ! ». J’étais à Act Up et j’aurais proposé des relations non protégées à une femme dont j’étais amoureuse ?! Les personnes discriminées adorent discriminer les autres.

Tu annonces tout de suite ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Pendant des années, quand ça ne se voyait pas, non... Il y a eu une fois bizarre où un mec après s’être bien lâché (« je suis une petite fille, maîtresse ») est tombé sur mes analyses médicales, en me cherchant querelle. Nous avions tout fait avec capote pourtant. Pendant des années, je ne l’ai pas dit à mes amants. Si une rencontre de cul tournait régulière, je coupais court pour ne pas risquer un rejet après l’annonce. Par contre, mes amantes étaient au courant. Ça doit faire deux ans que je ne baise plus, mon physique s’est trop dégradé. Récemment j’ai mis une annonce sur Meetic où j’indique que je suis séropo. Je trouve que le sero-sorting c’est une connerie et une saloperie, mais qu’une personne séropo veuille rencontrer une autre personne séropo, ce n’est pas pareil qu’un seroneg qui refuse d’avoir un contact avec un séropo. Quand je suis venue à Act Up, j’espérais me ramasser un petit junkie où quelque chose dans le genre... Mais non, je n’ai gagné que des amis.

Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? Plutôt bien. C’est incroyable ce qui a déjà été fait en 20 ans. Ça fait croire au progrès.

Comment vis-tu ? Dans le boulot, je me sens à moitié de mes capacités. Il y a une déprime énorme avec laquelle je me bats. En même temps mes malheurs aiguisent mes choix : je vais plus vite à l’essentiel. Je sais que je ne peux plus voyager à l’aventure comme j’ai pu le faire avant, aller dans des pays où l’eau n’est pas bonne, où il fait trop chaud... Pour ma vie intime, je me bagarre pour ne pas me refermer sur moi-même, aidée par quelques amiEs. Je vis un peu au jour le jour. Entre le besoin de solitude et la peur de la solitude. Et les coups de fatigue. « Vous avez une maladie fatigante » me dit mon médecin !

Dans dix ans, tu te vois comment ? Avec Act Up-Paris, on aura fait la révolution et l’on vivra dans la passion intégrale, dans un monde libertaire sans classes, sans police, sans nuisibles, où chacun s’épanouira dans la création et la découverte émerveillée de la création de l’autre.

Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ? Je regrette de m’être laissée contaminer, oui... Mais si je ne m’étais pas contaminée, je serais peut-être plus égoïste aujourd’hui.

Que dirais-tu à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Pour une pipe sans capote, le prix à payer est exorbitant. Il n’y a aucun intérêt d’attraper ce truc sinon de pouvoir faire des blagues qui mettent tout le monde mal à l’aise.