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sida envie d’en être ?

Rencontre avec Catherine, l’une de nos militantEs

jeudi 6 décembre 2007

sida : envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec une de nos militantEs, Catherine.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates : J’arrive au monde le 1er février 1962 dans le Nord de la France. En 1985, j’accepte un emploi de modéliste/styliste à Paris et je quitte le Pas-de-Calais. J’apprends ma séropositivité en 1988. En 1994, Patrick, l’homme avec qui j’ai vécu pendant 6 ans, meurt du sida dans le Sud de la France. Je reviens à Paris en 1998. Un de mes frères meurt en 1999 à l’âge de 39 ans et je m’investie à la commission Femmes d’Act Up. En 2002, je quitte définitivement le monde de la mode pour travailler à Act Up. En 2003, pour la commission Traitements & Recherche, je vais à la CROI à Boston et je rencontre Jeff Palmer, un activiste américain qui a une association de lutte contre le sida à Cheyenne dans le Wyoming. En 2004, Jeff et moi on se marie à Paris. Jeff meurt à New York en 2005.

Si ton enfance était un arbre fruitier, ce serait ? Un poirier : mon grand père avait un magnifique verger. Les poires et les pommes qu’il récoltait étaient si bonnes et il y en avait tellement qu’avec mes frères et sœur, ma mère et ma grand-mère, on passait le dimanche à les éplucher pour en faire des conserves.

Quand as-tu entendu parler du sida la première fois ? En 1982/1983. C’était « la maladie des homos et des toxicos ». J’avais un frère et beaucoup d’amis homos, je vivais dans un milieu où nous étions nombreux à prendre des drogues, donc j’en ai sans doute entendu parlé et surtout pris conscience avant pas mal d’hétéros.

Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité : J’ai eu la chance que des femmes se soient battues avant moi pour que notre génération ait eu accès à la pilule dès le début. Tout était simple. J’ai pu vivre ma sexualité en toute liberté. Je faisais beaucoup la fête, j’avais des aventures. L’annonce de ma séropositivité, ce fut un choc, comme si le monde s’écroulait. Je vivais une grande passion avec Patrick. C’est dur pour moi d’en parler car cela mélange cette forme de liberté et l’histoire avec Patrick. Normalement cela ne devait pas arriver, on se protégeait, je savais qu’il était séropositif et puis c’est arrivé quand même.

Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité à ton entourage ? Pendant longtemps je n’ai rien dit à ma famille. Je voulais leur faire gagner quelques années, sans inquiétude. Je me disais qu’il serait bien temps de leur annoncer quand mon état de santé se dégraderait. 5 ans après je l’ai dit à mon frère Bernard (celui qui est mort maintenant) et à une cousine avec qui j’étais très proche. Et à un moment où je n’allais pas bien, elle a téléphoné à mes parents et leur a dit que j’avais besoin d’eux car j’étais séropositive. Le week-end suivant quand je suis allée chez eux, mon père m’en a parlé, je lui ai de ne pas s’inquiéter, que j’allais bien. Puis j’ai appelé ma cousine pour lui dire que la vie ce n’était pas comme dans les films, que c’était à moi à leur dire quand je l’avais décidé et avec mes mots.

Et ta mère ? Ma mère c’est compliqué, elle reste toujours très abstraite. Elle n’arrive pas à en parler. Pas parce qu’elle ne veut pas, elle ne peut pas. Elle est comme ça avec elle-même, c’est le genre de femme qui encaisse des trucs très durs, sans jamais se plaindre, alors elle ne comprend pas qu’on puisse se plaindre. Parler de ma mère, ce serait très long.

As-tu déjà souffert de discrimination ? Oui, souvent. Le sida est une maladie sexuellement transmissible, alors la porte est ouverte à toutes les discriminations. Et je suis une femme. Et puis il y a la famille. Seule ma famille proche le sait. Ce sont mes parents qui m’ont demandé de garder le silence avec le reste de la famille et les amis de mes parents. J’ai toujours l’impression d’avoir une double vie. C’est de la discrimination pour moi, car c’est toujours une maladie dont on ne peut pas parler.

Ta première prise d’un traitement antiviral ? C’était en 1995, ça a été l’enfer. Après la mort de Patrick mon médecin a eu peur car mon état de santé s’est dégradé très vite. Et puis à cette époque les recommandations c’était de commencer les traitements très tôt. C’était aussi l’arrivée des trithérapies.

Aujourd’hui quel traitement prends-tu ? Truvada® + Telzir® + Norvir® + Sustiva®. Mais aussi Zelitrex® pour les crises d’herpès. Pravastatine®, Ternormine®, Kardégic® et Plavix® depuis mon infarctus. Clarityne® pour les démangeaisons inexpliquées comme une sorte d’allergie. Oméoplazole® pour l’estomac. Un anti-dépresseur depuis 2 ans. Des anti-oxydants et des vitamines pour atténuer la fatigue constante.

Est-ce que tu as souffert d’effets indésirables ? Oui. Le plus persistant, c’est cet état un peu nauséeux, les diarrhées, la fatigue, et puis les problèmes de peau (desséchement, démangeaisons). Et aussi, plus compliqué à gérer, les troubles du sommeil, les nuits très agitées, avec beaucoup de cauchemars. Les troubles lipidiques qui ont provoqué un infarctus. Ce qui m’oblige maintenant à faire très attention à mon hygiène de vie. Et puis, surtout les lipodystrophies, la transformation de mon corps.

Comment sont apparus ces changements ? Dans les six mois qui ont suivi la trithérapie, en 1996/97, j’ai commencé à prendre du poids, mais de manière incontrôlable. C’est-à-dire, en ayant la même hygiène de vie qu’avant, j’ai pris 10 kilos en six mois. J’ai vu une diététicienne, elle m’a conseillé un régime, mais rien n’y a fait. Il y a aussi le corps qui se transforme, c’est-à-dire que j’ai grossi au niveau du tronc, ma taille a disparu. Ces changements, je pense vraiment que c’est lié à des dérèglements hormonaux générés directement par les antirétroviraux. Là, on rentre directement dans l’inégalité hommes/femmes dans la recherche. On ne nous interroge pas sur ces choses-là. Il n’y a pas d’essais spécifiques pour les femmes. Alors nous les femmes, nous savons que quelque chose ne va pas, mais que nous n’avons pas réellement de réponses à nos questions.

Tu annonces tout de suite ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Oui. Beaucoup d’hétéros se sentent, encore aujourd’hui, tellement loin de tout ça. Quand on voit le nombre d’hommes de ma génération, qui ne savent toujours pas se servir d’une capote, ça ne trompe pas. Je me dis que comme ça ils sauront que ça existe, que ça concerne tout le monde.

Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositive ? C’est la mort, toutes les personnes qui ont compté pour moi et qui ne sont plus là. C’est les médicaments, toujours et toujours. C’est se battre encore contre tellement de choses. Cette maladie est vraiment perverse. C’est se battre aussi pour que les femmes n’aient plus honte, et leur famille non plus ; se battre pour que les hétérosexuels admettent que cette maladie existe ; se battre pour que les spécificités des femmes face à cette maladie soient regardées par les médecins, la recherche et les laboratoires ; se battre pour que l’image de la femme séropositive ne soit pas uniquement celle d’une femme black et immigrée pour encore mieux la discriminer.

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? Je dirais que maintenant ça va. J’ai mon infectiologue à l’hôpital, depuis 20 ans, je connais ses limites et mes limites face à lui. Et j’ai mon médecin traitant, qui est ma gynécologue aussi. Elle connaît très bien le VIH, et je sais que je peux toujours compter sur elle. Le plus compliqué c’est avec la cardiologue, mais c’est une longue histoire.

Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? Il y a beaucoup de progrès et il y en aura encore beaucoup, mais ce virus est pervers, et il y a les effets indésirables. Je me demande combien d’années notre corps pourra supporter ces médicaments et cette bataille contre le virus.

Comment vis-tu ? Je n’ai pas à me plaindre. Quand je vois tout ce qui se passe autour de moi. Tous ces séropositifVEs qui sont vraiment malades et fatiguéEs, qui n’ont plus beaucoup de solutions thérapeutiques, qui vivent dans des conditions sociales abominables, qui vivent dans un pays où ils et elles ne peuvent même pas se soigner, qui viennent en France et quittent tout pour vivre et que l’on traite comme des chienNEs. Quand je regarde autour de moi, je ne suis pas capable de me plaindre.

Et donc toi ? En ce moment ma vie est bien remplie par mon poste de coordinatrice pour la préparation du colloque Femmes & VIH. Ce travail est dur, mais c’est enrichissant, je travaille avec des gens géniaux de la lutte contre le sida qui sont, pour beaucoup, des amis. Je n’ai pas d’amoureux et je n’en ai pas envie. Depuis deux ans, je n’ai absolument aucune envie et aucun désir d’avoir une vie affective. J’ai mes souvenirs et c’est très bien comme ça.

Dans dix ans, tu te vois comment ? Comme je le disais tout à l’heure, je ne sais pas si mon corps sera capable de supporter longtemps les effets de la maladie et des médicaments. Si oui, j’espère que j’aurais encore le courage de me battre pour les autres et avec les autres.

Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ? J’aimerais que Jeff soit toujours avec moi, ici. Son calme, son soutien et son énergie, m’endormir dans ses bras, tout ça me manque. Pour l’organisation du colloque je sais qu’il aurait été un formidable allié.

Que dirais-tu à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? C’est avoir peur de la moindre défaillance physique, avoir tiré un trait sur beaucoup de choses dans sa vie. C’est aussi être dans la lutte, et cela m’a permis de rencontrer plein de gens merveilleux à Act Up-Paris.