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Dossier Femmes

Sans parler de plaisir et de pratiques, on ne prévient rien

jeudi 6 décembre 2007

L’hétérosexualité, le couple, la confiance en l’autre, la fidélité ne protègent pas du sida. La classe sociale, la couleur de peau et la « bonne mine », non plus. Seul le préservatif protège du sida. Une femme qui a une sexualité, c’est déjà gênant. Une femme qui propose une capote, ça l’est d’autant plus qu’elle l’assume.

La prévention passe par la possibilité réelle, symbolique et matérielle, de négocier l’usage du préservatif comme d’accepter ou de refuser une relation sexuelle. Celle-ci continuera à rencontrer des échecs si les campagnes de prévention ne s’attaquent pas aux relations entre hommes et femmes et aux représentations qui y sont associées. Valoriser la fidélité dans les relations amoureuses et sexuelles n’est pas une stratégie de prévention fiable.

Parler de la sexualité des femmes. Les - très rares - campagnes de prévention du sida destinées au grand public se refusent toujours à parler des pratiques et du plaisir sexuels, et encore moins des pratiques et du plaisir sexuels des femmes. Pourtant, la moitié des nouvelles contaminations par le VIH touche aujourd’hui des femmes, et cette tendance se confirme. Lors d’un rapport hétérosexuel vaginal, la probabilité de contamination est plus importante (2 à 5 fois) pour la femme que pour l’homme : le sperme est plus contaminant que les sécrétions vaginales (il contient jusqu’à 10 fois plus de virus), la muqueuse offre une surface plus large avec plus de risques de microlésions, et le sperme peut rester plusieurs jours dans le vagin. Ces risques sont augmentés dans certains cas pour les femmes : en cas d’infections génitales, pendant les règles ou selon l’âge. Les jeunes femmes ont un col immature et plus exposé, la muqueuse est plus fragile en période de ménopause, et suite aux accouchements. Et certains moyens de contraception peuvent jouer un rôle dans la transmission : le stérilet augmente le flux menstruel et peut parfois endommager le préservatif masculin, certains spermicides sont susceptibles d’irriter la muqueuse vaginale.

Utiliser un préservatif et l’exiger de son/ses partenaire/s n’est pas toujours évident. Pourtant, qu’il soit masculin ou féminin, il constitue le seul moyen d’avoir une sexualité sans risque. Depuis quand une campagne de prévention n’a-t-elle pas rappelé que pour une fellation, le préservatif permet d’écarter tout risque de transmission ; que l’anulingus et le cunnilingus exigent, pour être sans risque, l’utilisation d’un carré de latex (digue dentaire ou morceau découpé dans un préservatif) ; que pour une pénétration vaginale ou anale, le préservatif s’utilise encore mieux avec un lubrifiant à base d’eau, susceptible d’éviter les ruptures de capote (c’est vrai pour le préservatif masculin, mais aussi pour le féminin) ; que si on se sert d’un godemiché, c’est en changeant le préservatif sur le gode pour chaque pénétration et pour chaque partenaire ; qu’en cas de doigté ou de fist, il faut des ongles ras et un gant de latex généreusement lubrifié.

S’adresser aussi aux hommes. On assigne aux hommes comme aux femmes des rôles sociaux qui les enferment, et les mettent en danger. Aujourd’hui les politiques publiques font perdurer l’invisibilité de l’homme hétérosexuel dans l’épidémie. Tout se passe comme si l’homme hétérosexuel était la norme de référence et, à ce titre, ne pouvait être cible de la prévention, la personne à risque étant toujours l’autre. Il y a bientôt dix ans, des chercheurEs relevaient déjà un curieux couple, figure fantasmatique récurrente dans les discours de prévention du sida : « la femme sans sexualité » et « l’homme irresponsable ». Aujourd’hui ces représentations perdurent. Entre une femme « responsable mais sans sexualité », à laquelle on adresse un message à l’eau de rose, et un « homme irresponsable » auquel on ne s’adresse pas, rien ne bouge.

Une responsabilité partagée. Face à la tentation de criminaliser la transmission du virus qui a émergé ces dernières années, nous tenons pour responsables les politiques publiques et leur ignorance des représentations des genres et de la sexualité. La responsabilité partagée, non au sens juridique de répartition des fautes, signifie au contraire que chacunE est pleinement responsable de soi et de l’autre. Cela implique de donner les moyens à touTEs d’être conscientE de ses responsabilités et acteurRICEs de prévention : s’informer, se fournir en matériel de prévention et l’utiliser. Ce concept de prévention doit être réinvesti.

Nous exigeons :
 des campagnes de prévention régulières et répétées qui mettent en scène la sexualité des femmes et responsabilise de façon partagée les différentEs partenaires.
 des campagnes de dépistage, en particulier en direction des hommes. La disproportion des dispositifs de dépistage chez les femmes et chez les hommes minimise en effet l’épidémie chez ces derniers. Les femmes sont dépistées lors des grossesses ou des IVG, mais pour les hommes, quelles sont les occasions de bilans de santé ? Les médecins généralistes, notamment, doivent apprendre à parler de sexualité et proposer des bilans réguliers intégrant des dépistages du VIH pour les hommes de tous âges.
 des campagnes sur la contraception qui soient cohérentes avec celles de lutte contre le sida : rappeler systématiquement que le préservatif doit être utilisé en combinaison avec la pillule, qui elle, ne protège pas du sida.
 davantage d’information et d’accès aux préservatifs : il faut mettre massivement les préservatifs à disposition, dans toutes leurs variétés, en latex et en polyuréthane. Qui sait que le Fémidon®, outre qu’il est en polyuréthane, est adapté pour toutes les anatomies ? Sur 100 préservatifs distribués aujourd’hui en France, à peine plus d’un est féminin. Les proportions doivent être corrigées. Le prix d’un Fémidon® est prohibitif : les prix doivent être alignés. Il faut plus de distributeurs gratuits et accessibles. Dans les établissements scolaires, mais aussi dans les administrations, au travail, dans tous les lieux où les gens vivent et circulent.