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Édito

mercredi 12 septembre 2007

Au début de l’épidémie de sida, le niveau des savoirs des médecins était quasiment équivalent à celui des malades : les premiers assistaient impuissants à la dégradation inéluctable de la santé des seconds et les malades étaient témoins de cette impuissance. Du coup, la relation classique médecin/malade a été remise en question : un médecin ne sait pas tout, le médecin n’ordonnait plus la prise de médicament avec la même autorité tranquille qu’avant l’épidémie, puisqu’il n’y avait pas de traitement réellement efficace. Et cette impuissance face à la nouveauté de la maladie a servi de marchepied pour de nombreux malades.

Les médecins se sont réunis en conférences pour échanger leurs informations et suivre la recherche ; les malades s’y sont invités et ont suivi les publications. Les savoirs se sont approfondis en parallèle, puis ensemble, à force de travail et de mobilisation des associations. Peu à peu, les médecins ont constitué de nouvelles connaissances scientifiques à mesure que les données se sont mulipliées, que de nouveaux traitement sont apparus, que les recherches ont plus ou moins porté leurs fruits, que le savoir est devenu plus complexe. Les malades ont pu suivre ces progrès et eux aussi ont évolué : beaucoup sont morts, beaucoup des survivants se sont épuisés et peu ont la force de poursuivre leurs efforts dans les associations.

Et le problème est là : les situations respectives du malade et du médecin sont fondamentalement différentes, la relation malade-médecin n’est pas une relation égalitaire. La situation n’est pas la même quand on est un praticien de formation scientifique et que l’on suit chaque jour des dizaines de malades, même avec tout le dévouement et l’engagement du monde, et lorque l’on sait sa vie en danger mais qu’on sent instinctivement qu’accroître ses connaissances sur le sida en général et son état de santé en particulier peut permettre de vivre un peu plus, de vivre un peu mieux.

Idéalement le malade serait aussi scientifiquement au point que son médecin, aussi bien pour comprendre le traitement qu’on lui propose et en connaitre les alternatives que pour pouvoir suivre les résultats des recherches thérapeutiques. Idéalement le médecin saurait prendre en compte ce que signifie pour chaque malade sa qualité de vie et adapter les traitements. Et dans le rapport malade/médecin, qui se construit dans la durée, la clé de la relation est la confiance et le respect.

Une grande partie du corps médical a longtemps considéré comme une perte de temps les explications scientifiques et l’effort de simplification et de clarification des informations à destination des malades. Jusqu’à ce qu’il comprenne que pour soigner le mieux possible, les malades doivent pouvoir participer au choix des traitements et être entendus quant à leurs effets secondaires, et que les soins soient coordonnés de manière cohérente. Beaucoup de nouveaux séropositifs ont entendu dire que les malades du sida sont experts de leur maladie, mais ces connaissances n’apparaissent pas simplement avec le changement du statut sérologique. Il a fallu des années d’efforts pour accumuler des connaissances, qui ne cessent de croitre et de changer. Cette expertise demande un réel investissement personnel, important en énergie et en disponibilité.

Et comme toutes les relations, la relation malade/médecin souffre de la banalisation. Les uns et les autres versent dans la facilité. Les malades du sida ne resteront des experts de leur maladie que s’ils participent à entretenir et accroitre les connaissances que leurs prédécesseurs ont amassées. Les médecins quant à eux se positionnent souvent maintenant comme dans la plupart des maladies graves comme le cancer, le diabète, etc. Mais comme pour ces maladies, le danger serait qu’ils considèrent qu’il y a des grandes routines thérapeutiques qui permettent de traiter des « patients » standard et qu’ils économisent l’effort d’adapter ces routines aux cas particulier des malades. Il faudrait trouver des solutions pour faire remonter le niveau du savoir et la volonté d’implication des malades. Alors que le nombre de malades par médecin est croissant et que la coordination des soins est de plus en plus difficile, il faut pouvoir atteindre et garder une relation malade/médecin optimale, faite de confiance et de respect.