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sida : envie d’en être ?

Rencontre avec Christophe, l’un de nos militantEs

juillet 2007

Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida et à cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Rencontre avec un de nos militantEs, Christophe.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. Ce n’est pas dans l’ordre. 27 juin 2005, j’accueille Solomon à l’aéroport d’Orly et depuis, ma vie est plus belle. 4 avril 1959, je vois le jour, ou le jour me voit, c’est comme on veut. En octobre 1990, j’assiste à ma 1ère réunion d’Act Up-New York. Le même jour, j’apprends la mort de Jacques Demy. 1985, j’apprends ma séropositivité. 1986, je rentre à France 2 (je suis journaliste), que je quitte en 1991. En 1999, je rejoins l’équipe de Têtu. Juillet 2007, une page professionnelle va se tourner : en route pour de nouvelles aventures !

Tu as eu une jeunesse alternative ? D’une certaine façon. Mes parents étaient divorcés : ce n’était pas être dans le moule. Je me suis engagé assez vite, en 1974 je me battais contre les lois Stoléru sur l’immigration. C’était une période où je naviguais autour de groupes d’extrême gauche. Je lisais « Femmes en mouvement », j’aimais beaucoup, on parlait des discriminations des femmes, et même si je ne m’identifiais pas encore comme homosexuel, cela me parlait.

Comment as-tu compris que tu étais homosexuel ? Il y a plusieurs étapes dans l’évidence de l’envie de coucher avec des mecs et pas avec des filles : celle où tu assumes, tu y vas, tu couches avec des garçons ; le quand et comment, fin des années 70, je me suis dit « c’est ma sexualité ». L’homosexualité comme identité, j’en ai vraiment pris conscience en 1990, à mon arrivée à Act Up-New York, même si je l’avais vécu en perdant mes deux plus proches amis, du sida. Alors je me suis dit que c’était parce qu’ils étaient gays que la société n’a rien fait pour empêcher ce qui leur est arrivé. Je ne pouvais plus ne pas réagir, les deux choses étaient liées.

Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ? Octobre 1985, le test était disponible depuis peu, on l’a fait ensemble avec mes deux amis, Laurent et Olivier, à Alfred Fournier. À l’époque, tu recevais le résultat par courrier. J’ai demandé à ma colocataire d’ouvrir la lettre, et elle m’a dit « c’est positif », par téléphone. J’avais fait le test, je l’étais, cela me semblait évident, comme pour tous les gays de l’époque, on ne savait pas ce que c’était, on n’utilisait pas de capotes. En 1983, 1984, je ne voyais pas de gens malades, je n’en connaissais pas.

Que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? On savait que cela se transmettait en baisant, on nous avait assez dit le « cancer gay ». Les capotes, on ne les trouvait pas au supermarché, mais en pharmacie, ce n’était pas anodin comme demande, c’était cher et toutes les pharmacies n’en vendaient pas. On savait aussi par rapport aux hémophiles, par rapport au sang. En 1982, j’avais un amant gay qui se piquait et déjà à l’époque, on savait pour les seringues.

Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité ? Je travaillais à France 3 Orléans, en remplacement. Ma vie, c’était des allers-retours Paris-Orléans. Le week end, la tournée des boîtes et des bars, notamment le Broad, Haute Tension et le BH, pour le sexe. On organisait souvent des soirées qui se terminaient en partouze, c’était très bien. Il y avait une ambiance de frénésie sexuelle, de champagne. Je pense que la primo-infection date de fin 1983 ou des premiers mois de 1984 : j’ai eu les symptômes en mai 1984, je savais bien qu’il m’arrivait quelque chose de bizarre, j’étais très fatigué. À midi, si je pouvais, je faisais une sieste. Et cela a fini par passer. On attendait le test. Je gagnais bien ma vie. Je n’avais pas encore eu de grande histoire d’amour.

Comment tu t’es protégé après ? Il y a eu une période de flottement, j’ai plutôt adapté mes pratiques, moins de sodomies, actives ou passives. Le réflexe capote est venu assez vite. J’ai suivi le mouvement des campagnes de prévention, de l’accès plus facile aux capotes.

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? J’ai eu plusieurs médecins. Le premier, c’était un gay je crois, il était très beau, séduisant, un cabinet assez chic. Il était comme nous, en 1987, démuni, sans conscience de la gravité de l’épidémie. Il m’a dit que c’était important de faire le taux de CD4, que le mien, de 300 et quelques dizaines, n’était pas si mal que ça. Puis je n’ai pas consulté pendant 2 ans. On n’avait pas à l’époque l’idée que c’était une maladie, qu’il fallait se faire suivre régulièrement, il n’y avait pas de traitement. Je n’avais pas de symptômes ou d’infections particulières et à l’époque ce n’était pas pris en charge à 100 %. C’est grâce à Act Up que cela l’est devenu en 1993, rappelons-le. En 1989, mes deux meilleurs amis, surtout Olivier, commençaient à ne pas aller bien, je suis allé consulter à la Salpêtrière, service du Pr. Gentilini, pavillon Laveran. J’ai été reçu par un vieux barbon visiblement gêné par l’homosexualité, et j’ai demandé à en changer. Cela a été Elisabeth Dohin, qui m’a suivi pendant six ans. J’ai appris récemment qu’elle est plus jeune que moi. Depuis 1995, je suis suivi par Myriam Kirstetter, en ville. Je l’ai choisie pour cela, parce que l’hôpital, cela devenait vraiment très dur. En 1995, Laveran c’était horrible, l’accueil était navrant. Avec Myriam, cela se passe très bien. J’ai le sentiment d’être entre de bonnes mains, mais je me sens privilégié, car en tant que militant depuis de si longues années, je suis très informé. Pour autant, je ne suis pas le plus activiste des patientEs. Je respecte ce qu’elle me propose, s’il y avait un problème entre nous, nous saurions le gérer, je lui fais confiance. Il y a une différence entre le suivi VIH et celui pour mon cœur. J’ai fait un infarctus en août 2004 et là, le suivi est beaucoup plus impersonnel. Ce n’est pas uniquement lié au médecin, qui est très bien, c’est parce que je le vois tous les 6 mois, que c’est à l’hôpital, et que la consultation dure un quart d’heure. Si je n’arrive pas avec une plainte précise, une douleur, il ne la trouvera pas. Ce n’est pas le même type de rapport, et c’est dommage. Les médecins, les spécialités, c’est très cloisonné.

Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité à ton entourage ? Je l’ai dit très vite à mes amis, ceux qui le prenaient mal dégageaient, je faisais le tri. Ça remplit tellement, je ne parlais que de ça, nous étions dans un état de terreur, et ceux qui n’étaient pas dedans, je les voyais moins. Au boulot, à France 2, je ne l’ai pas forcément caché, je n’étais pas honteux de cela. Avec ma famille, cela a pris plus de temps. Fin 1992, peu avant la parution de mon livre Les Combattants du sida, j’ai commencé à en parler. Le plus douloureux, c’est d’avoir dû le taire. J’ai dû cacher à ma famille qui les connaissait la raison de la mort d’Olivier et Laurent, à l’époque c’était encore tabou, je n’avais pas envie de les inquiéter. Alors, même si j’avais pu leur dire, les circonstances étaient trop dures, avec leur décès. Quand je leur ai dit, cela a été brutal. Je ne voyais pas leur douleur, je pensais que j’allais mourir. Ma mère et mes sœurs m’ont beaucoup soutenu.

Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ? Prendre des cachets déjà. Mettre des capotes avec son mari séropositif. Avoir des diarrhées incontrôlées de temps en temps, moins depuis la nouvelle formulation du Kaletra®, mais quand même, c’est faire attention à ce que je mange, s’il y a des toilettes pas loin. Se tenir au courant de l’actualité thérapeutique. Et c’est se sentir partie prenante d’un combat.

Quel traitement as-tu pris, prends-tu ? De 1989 à 1995, j’ai fait pas mal de protocoles. En 92, j’ai d’ailleurs essayé le FLT qui a failli me tuer. J’ai fait des tests d’escalade de dose avec le 3TC, ce qui m’a rendu immédiatement résistant. Avant j’ai eu l’AZT. Aujourd’hui je prends Kaletra® + Combivir® + Viread®, ça c’est contre le VIH. Et je prends beaucoup d’autres médicaments, pour le cœur du Plavix®, du Detensiel® en générique (contre la tension), du Triatec®, de l’Aspégic®
250 mg pour protéger mes artères, l’anticholestérol Crestor®, de l’Omacor®, un oméga 3 très puissant contre les triglycérides et puis du Zelitrex® en prévention des poussées d’herpès.

Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ? Très mal. Quand j’ai commencé l’AZT, Olivier était déjà mourant, l’AZT n’avait pas marché sur lui, ni pour Laurent non plus. Commencer l’AZT, dans mon imaginaire, c’était le traitement de la dernière chance, on le donnait à ceux qui étaient très malades, visiblement, ou qui, comme moi, avaient peu de CD4. J’étais tombé à 120 CD4 en février 1989. Je le prenais toutes les 4 heures, 6 fois par jour donc, c’était infernal. Je me souviens qu’au bout de 2/3 jours de traitement, cela m’avait fait l’effet d’une enclume.

As-tu déjà souffert de discriminations ? Comme tous les séropos, j’ai eu des problèmes avec des dentistes. Il y a aussi sûrement des choses qui ne se sont pas faites parce que je suis séropo et/ou homosexuel. Et puis il y a eu aussi du rejet dans la famille, pas ma proche famille.

Tu annonces tout de suite ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Non, mais je fais en sorte que cela arrive rapidement sur le tapis, si le mec vient à la maison, il voit mon pilulier, mes cachets. Il y a aussi le contexte du militantisme où les gens peuvent me connaître de réputation.

Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? Je suis résolument optimiste. De nouvelles molécules puissantes vont arriver sur le marché. Mais là où je ne suis pas très satisfait, c’est que celles qui existent et celles qui arrivent ont des effets secondaires. Il y a certes des degrés, mais les diarrhées incontrôlées ce n’est pas très marrant, comme les histoires de cholestérol. Et on ne nous a toujours pas trouvé de molécules simples, il faut attendre 2007, pour avoir un traitement d’une prise par jour, et cela à cause des enjeux financiers des laboratoires.

Comment vis-tu ? D’amour, je suis très très amoureux et je suis aimé, c’est un sentiment très agréable. Ce que je ne vis pas très bien, c’est d’avoir fait une crise cardiaque. Au moment où je te parle, je ne peux pas dire que je sois dans une période professionnelle enthousiasmante. Mais je suis assez heureux. Avec Solomon, ma vie a changé.

Dans dix ans, tu te vois comment ? Toujours vivant surtout, j’espère, et un peu moins anxieux. Amoureux de Solomon, mais ça, il n’y aura pas de problème. Et pas trop vieux con, surtout pas aigri, comme certains.

Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ? J’aimerais être une princesse très riche. De plus en plus, je me rends compte que je ne le serai jamais. Aujourd’hui j’aime ma vie, parce que je suis avec Solomon. Si je devais changer quelque chose ce serait d’être encore plus zen. Je m’y emploie, mais l’enfer, c’est les autres.

Que dirais-tu à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Pour paraphraser une vieille campagne de prévention : être séropo, ça craint. Ça change tout et ça ne change rien. Tu es séroneg, reste-le, tu ne connais pas ton bonheur.