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sida, envie d’en être ?

Rencontre avec Patrick, l’un de nos militantEs

mai 2007

Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Rencontre avec un de nos militantEs, Patrick.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ?
Je suis né en 1956 au Perreux-sur-Marne, d’une maman tchèque et de mon géniteur qui était suisse allemand, dans une banlieue ouvrière. J’ai eu une petite enfance très heureuse, très poétique avec ma maman et ma grande sœur. Puis j’ai vécu 7 ans plus pénible avec une belle-mère alcoolique, ancienne danseuse du Moulin-Rouge. En 1971, ma mère me récupère, je reviens à Paris, et c’est la renaissance. En 1974, je pars à l’armée, je signe « l’appel des 100 », un grand mouvement anti-militariste. 1976, mon premier mari, je vis dix ans avec lui. 1986, séropositivité. Et enfin 1988, je rencontre, Christaki la deuxième histoire de ma vie. En 2002, j’ai rejoins Act Up, avec la venue de Sarkozy, c’était trop grave je ne pouvais pas ne pas venir.

Tu as eu une jeunesse alternative ?
Oui, très solitaire, et à partir de mon retour à Paris, très militante. J’ai participé à la création du FHAR en 1971. Et je rentre à la Fédération anarchiste en 1972. J’ai 15 ans. Comme toute ma génération, je vais à toutes les manifs lycéennes. Je fais aussi partie du MLAC (mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception).

Quand et comment as-tu compris que tu étais homosexuel ?
À 7 ans, ma belle-mère, m’avait déjà auto persuadé que j’en étais, en me disant : « tu seras pédé ». Et surtout, j’ai toujours eu un rejet de l’hétérosexualité par rapport à mon père, qui a toujours été loin de moi et un vrai macho. Cela se concrétise à 14 ans, dans une cabine d’une piscine, c’est l’extase, une révélation, c’est moi.

Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ?
Je vivais avec Jean-Pierre, mon premier mec, un toxicomane. Il est mort à présent. En 1986, il était en prison, pour un an pour usage de drogue, il y fait un test et apprend qu’il est séropo. Il me dit de courir faire un test. Le résultat est négatif. J’apprendrai 5 ans plus tard que j’étais un faux négatif. À l’époque les tests avaient une marge d’erreur [1]. Je refais un test, 5 ans plus tard en 1991. C’est la directrice du laboratoire, qui n’avait pas le droit de me le dire, qui me l’annonce brut de pomme, « vous êtes séropo », sans ménagement. Juste après, j’ai rendez-vous avec le dermato qui m’avait prescrit le test car il trouvait que j’avais une drôle de maladie de peau. Il me le confirme. Je lui demande, « est-ce que je peux aller boire un double cognac ? », le verre du condamné, en quelque sorte. Il m’apprenait que j’étais séropo depuis 4 ans. Je pensais que j’allais mourir le lendemain. Ce soir-là, en rentrant à la maison, j’ai oté ma montre et n’en ai plus jamais porté de ma vie.

À l’époque que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ?
Comme j’étais militant, très activiste et informé, je savais qu’il n’y avait que l’AZT à cette époque. De ces modes de transmission pratiquement tout, mais moins qu’aujourd’hui, on n’était pas tellement informé sur la fellation, sur la salive, cela n’était pas clair comme aujourd’hui, où l’on sait que la fellation est à risque, et que la salive ne transmet pas le virus. J’allais avec le mouvement de la découverte.

Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité ?
Je travaillais comme documentaliste dans une petite société, où il y avait beaucoup de gens sympathiques et décalés. Ce qui fait que j’y avais des amis, et que j’ai pu le dire sur mon lieu de travail, ce qui était exceptionnel à l’époque. Ces gens-là m’ont beaucoup aidé au quotidien surtout lors du début du traitement qui était très contraignant. Il fallait prendre le Videx® toutes les 4 heures et manger le moins possible entre deux prises. C’était très compliqué à gérer. Au niveau personnel, je le vis très bien, Christaki est séronégatif, nous nous mettons au safe sexe. De savoir que mon partenaire est séronégatif, qu’il ne s’est pas enfui en courant, ça me renforce devant la maladie. Cela faisait trois ans que nous étions ensemble, cela m’a beaucoup aidé de ne pas être seul, d’être en couple, d’être aimé.

Avant l’annonce de la séropositivité, comment te protégeais-tu ? Et après ?
C’était l’après 68 et la libération sexuelle. Je n’ai eu aucune pratique de prévention, jusqu’en 1986 disons, comme la plupart des gays de l’époque. En 1986, prise de conscience, le sida existe, j’ai alors une sexualité contrôlée en fonction du risque. En 1991, rapport protégé, toujours et une sexualité plus douce, qui s’épanouit dans le safe sexe.

Ton premier entretien avec ton médecin traitant ?
Je m’en souviens bien, à Pasteur, Gustavo Gonzalez, un homme adorable. C’est toujours le même. Il m’écoute beaucoup d’abord. Il m’a donné très vite confiance en moi, et très vite on se tutoie, il m’a dit : « je sens que tu es un battant, et j’ai envie qu’on se batte ensemble ». Il sentait cette envie de vivre en moi. C’est tout con, mais ça m’a aidé. On était en phase, c’est déterminant, ce type de relation avec son médecin.

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ?
J’ai plusieurs médecins, en raison de ma co-infection VIH/VHC. Au niveau du VHC, j’ai de très bonnes relations avec ma médecin. J’en suis quand même au 4ème traitement interféron en 10 ans. J’ai noué un quasi rapport d’amitié avec elle. Pour le VIH, je suis à Pompidou, c’est une équipe dédiée à l’inmuno, j’ai de très bons rapports avec les infirmières, qui sont formées au VIH. Ça c’est toujours bien passé.

Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité dans ton entourage ?
Le jour même, je le dis à ma mère et à Christaki. Ils ne paniquent pas. Cela s’est fait sans cinéma, sans crise affective. Leur réaction m’a empêché de paniquer. Évidemment j’ai eu des cauchemars, des pensées suicidaires, mais le fait qu’ils ne soient pas hystériques m’a donné du courage. J’aurais eu une réaction sotte ou démesurée en premier, je crois que je me serais renfermé, que j’aurais été moins dans l’énergie. Pour le reste de mon entourage, aussi bien amical, que familial, je n’ai eu que des bonnes réactions, de soutien et de compréhension. Je ne veux pas être angélique, il y en a quand même eu d’autres, je m’en souviens d’une particulièrement mauvaise et méchante. C’est la première fois que j’ai perdu mes cheveux, avec le traitement interféron, il y a un petit con à mon travail qui s’est foutu de moi, devant tout le monde, c’était a priori quelqu’un d’intelligent et cela m’a choqué et blessé, c’était minable, cela m’a fait mal.

Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ?
Je me sens moins séropositif depuis que j’ai une meilleure hygiène de vie, que je n’ai pas toujours eue. Je fais beaucoup de sport, de la danse contemporaine. J’ai un bon boulot, j’ai un bon salaire, pour moi c’est facile d’avoir une bonne hygiène de vie. Cela me fait penser à ceux qui n’y ont pas accès. Au bout de quinze ans de traitement, de bi et trithérapie, le traitement, je l’ai intégré, je ne me vois plus comme un séropositif, je suis séropo.

Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ?
C’était le Videx®, première formulation, une poudre qu’il fallait mélanger avec de l’eau, et qui donnait envie de gerber, la chiasse, instantanément. C’était très pénible, très difficile. Il fallait mettre son réveil trois fois dans la nuit pour prendre ce médicament qui était dégeulasse. Dans la journée, c’était encore plus dur, il fallait se cacher, aux chiottes évidemment, pour que personne ne te voie faire ta mixture. Tu avais mal au ventre. 6 prises par jour, où il fallait faire avec les repas de façon ingérable puisqu’il fallait être le plus à jeun possible. Je n’avais pas le moral que j’ai aujourd’hui.

As-tu déjà souffert de discriminations ?
Sur la séropositivité, pas du tout. Pour l’homosexualité, au lycée, comme tous les garçons efféminés, j’ai subi beaucoup de quolibet, on m’appelait chochotte. Pendant un an, avec mon meilleur ami, on a été harcelés au lycée, par un grand facho, physiquement il était violent. Cela n’a pas entamé nos convictions, on avait une conscience politique déjà affirmée, mais on en a souffert. Cela a été assez loin, comme la saisie d’avocats par nos parents respectifs. Il y a eu aussi l’agression par un facho dans une manif contre des anti-IVG, il y a 3 ans. Il m’avait pris pour cible, à cause de mon tee-shirt Act-Up et m’a traité de sale bolchévik... Je ne vois toujours pas le rapport ! Il voulait me crever l’œil et n’a réussi que 12 points de suture. Je m’en suis remis et ça n’a pas entamé mon esprit de lutte.

Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ?
Absolument, alors là, en tant que militant, je me l’impose, c’est une évidence. Je ne veux pas être moraliste, c’est moi qui suis comme ça. Mais en même temps je ne suis pas vraiment confronté à ce problème puisque je ne couche pas beaucoup en dehors de mon couple.

Est-ce qu’être différent t’a posé des problèmes ?
Absolument pas. Je ne me sens pas différent, ni d’une femme, ni d’unE bi, ni d’unE trans, ni d’unE hétéro. Whatever. Je ne crois pas au genre, au genre intrasèque, pas au genre social. En fait je n’ai pas l’impression d’être différente des copines.

Quelles drogues prends-tu ou as-tu prises ?
Je fumaillotte dans quelques rares occasions. J’ai arrêté définitivement l’héro en 1982. J’ai été héroïnomane, pendant 4 ans. J’ai pris beaucoup d’acides, champignons, LSD, buvard, opium. Ado, génération Woodstoock, j’ai tout essayé. En 1982, c’est de voir mon mec aller jusqu’au bout de sa pulsion de mort avec l’héro, qui m’a fait décrocher, du jour au lendemain, en rentrant de Thaïlande, sans aucune aide. Enfin j’ai bu de l’alcool fort et ensuite j’ai arrêté l’alcool. J’avais envie de vivre. Je l’ai fait tout seul. J’en avais marre de ce milieu.

Comment vis-tu ?
Je suis en arrêt maladie depuis 6 mois, pour la première fois de ma carrière. J’ai été con, de ne pas le faire avant, mais j’aime trop mon métier, je suis journaliste dans la recherche fondamentale. Cela m’a fait un bien fou, d’avoir du temps pour moi, j’ai pu écrire un livre, danser, aller à la piscine, et ne plus penser qu’à la « valeur » travail. Je me sens revivre.

Dans dix ans tu te vois comment ?
Avec mon mari, on veut partir en Grèce, pour vivre sur une île (en locataires), peut-être que nos amants nous suivront ? Il faut dire que mon ami est grec. Je me vois sereinement. Je suis passé par une phase où je ne me voyais aucun avenir, la mort venait demain. Je suis passé tellement près d’elle, qu’avec Christaki, on a fait le tour de tous les organismes de voyage pour emprunter sur dix ans de quoi faire de beaux voyage. Et puis sont arrivées les trithérapies, et l’immense espoir, l’aisance de vie que cela nous a donné, mon traitement qui me convient, cela fait basculer à nouveau dans l’optimisme, dans la vie.

Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ?
Je ferais bien le challenge de découvrir de ce que c’est qu’être une femme. De refaire mon parcours mais au féminin. Cela m’intéresserait.

Qu’est ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ?
C’est dur. J’aurais envie de dire aussi, venez à une RH d’Act Up, il y a des séropos, des séroneg, des hétéros, des homos, des trans. Venez voir ce que c’est que la lutte des séropos. Je pense que c’est cela que je dirais. C’est mon côté militant qui ressort toujours !


[1NdR : ce problème n’existe plus aujourd’hui.