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Accès aux médicaments et propriété intellectuelle

Sortir de l’impasse : la voie du patent pool

jeudi 22 février 2007

1. 5 ans après l’accord de l’OMC à Doha, où en est l’accès aux médicaments ?

Le 14 novembre 2001, la Déclaration de Doha officialisait le pouvoir des PED de lever le monopole de brevet couvrant un médicament, en émettant une « licence obligatoire ».

Depuis cette date, moins d’une dizaine de PED ont officiellement utilisé la licence obligatoire, et ces licences n’ont concerné qu’un ou deux médicaments VIH, sur les 18 médicaments existant.

D’après les données recueillies et publiées par l’OMS, en 2007, 74% des médicaments anti-VIH sont toujours sous monopole dans les PED . 77% des Africains gravement malades du sida n’ont toujours pas accès au traitement . Le sida a encore fait 3 millions de victimes en 2006, amenant le total depuis le début de l’épidémie à près de 30 millions.

2. Qu’est-ce qu’un patent pool ?

Un patent pool est type de gestionnaire de droits de propriété intellectuelle (DPI). Il résulte de la mise en commun, par un nombre élevé d’entreprises, d’un nombre élevé de brevets qui portent tous sur la même technologie.

Par exemple, la technologie ‘lecteur DVD’ est couverte par plus de 50 brevets différents, détenus par près de 20 entreprises différentes. Ainsi, cette technologie, pour être exploitée, a nécessité que les détenteurs des brevets qui la couvrent s’organisent pour gérer ensemble son exploitation.

Dans un premier temps, chaque entreprise détentrice de brevets sur la technologie DVD a versé ses brevets dans un patent pool, avec pour résultat que le patent pool a fini par contenir l’intégralité des brevets couvant la technologie DVD.

Dans un second temps, le patent pool a octroyé des licences à divers industriels de l’électronique pour exploiter la technologie : fabriquer les lecteurs DVD. En échange, les industriels bénéficiant de la licence ont dû verser des redevances au patent pool.

Le taux des redevances (pourcentage du chiffre d’affaires réalisé sur la vente des lecteurs DVD) était variable selon le niveau de revenu des pays concernés (le taux de redevances sur les ventes aux Etats-Unis était plus élevé que celui sur les ventes au Maroc).

Dans un troisième temps, le patent pool reversait ces redevances aux entreprises participantes. De savantes négociations avaient été utilisées, lors de la constitution du patent pool, pour déterminer la valeur relative de chaque brevet composant le pool, et la part, dans le total des redevances perçues par le pool, qui doit revenir à chaque brevet individuel.

3. A quoi sert un patent pool du point de vue des détenteurs de brevets ?

a) éliminer le problème des brevets bloquants, où le nombre d’entreprises détenant des brevets susceptibles de bloquer l’exploitation de la technologie est si élevé qu’il est très difficile pour un exploitant potentiel d’en faire le tour, ce qui résulte en la persistance de brevets bloquants, qui inhibe l’entrée sur le marché.
b) réduire les coûts de transaction liés à la gestion des licences, en établissant un « guichet unique » pour les gérer (ce guichet étant le patent pool).
c) éviter le problème de l’ « empilement » des redevances, situation qui se produit lorsque les taux de redevance exigés par les différents détenteurs de brevets s’ajoutent les uns aux autres, aboutissant à un taux de redevance global prohibitif pour les exploitants.
d) permettre à d’autres acteurs, y compris des start-up, à investir dans le développement pour pousser plus loin la technologie concernée, ou lui trouver des applications nouvelles. En effet, sans patent pool, le risque d’investir pour ensuite de se trouver bloqué par un brevet est désincitatif pour de nombreux acteurs.

4. Comment le patent pool pourrait-il s’appliquer aux médicaments sida ?

Les médicaments sida forment une technologie cohésive. En effet, pour chaque individu, seuls certains des 18 médicaments existant en 2007 sont utilisables (les autres médicaments étant soit toxiques pour cette personne, soit inefficace sur son virus). Dans le même temps, il est médicalement indispensable de combiner 3 ou 4 médicaments en une tri- ou quadri- thérapie pour obtenir un effet contre le VIH. Ainsi, la technologie ‘antirétroviraux’ n’est réellement utilisable, pour les malades et les médecins, qu’à la condition d’être disponible dans son ensemble.

Si les laboratoires pharmaceutiques détenteurs de brevets sur les antirétroviraux versaient ces brevets dans un patent pool, ce patent pool serait en mesure d’autoriser la commercialisation des versions génériques de ces médicaments à travers tout le monde en développement. Grâce à la taille du marché concerné, et à la concurrence entre les laboratoires génériqueurs licenciés par le patent pool, les prix des médicaments diminueraient très fortement, et la technologie ‘antirétroviraux’ deviendrait enfin abordable pour les PED. La baisse des prix rendrait aussi beaucoup moins coûteux, pour les pays donateurs, la réalisation de l’objectif G8 2005 de l’accès universel au traitement du sida d’ici 2010.

5. Quel serait l’avantage d’un patent pool, pour les Etats et pour les détenteurs de brevets ?

A. Pour les Etats :
1) le patent pool permettrait de tenir diverses promesses internationales auxquelles le grand public est très sensible : i) engagement du G8 2005 à atteindre l’accès universel au traitement du sida d’ici 2010 ; ii)) engagements pris à l’occasion de l’adoption des Décisions de l’OMC en matière d’accès aux médicaments (en novembre 2001, août-septembre 2003, et décembre 2005) que les brevets ne s’opposeront désormais plus à l’accès des pays pauvres aux médicaments.
2) le patent pool est une solution volontaire, où les laboratoires détenteurs de brevets ne retrouvent pas « expropriés de leurs brevets par l’Etat ». Ainsi, le patent pool offre à l’industrie pharmaceutique une sortie par le haut de cette crise sanitaire internationale que constitue l’inaccès aux médicaments sida dans les PED (la sortie par le bas étant alors le recours massif aux licences obligatoires).
3) le patent pool permet de mettre en avant une solution volontaire, sans pour autant stigmatiser un médicament particulier ou un laboratoire particulier (ce qui évite l’ire de ce laboratoire, et de l’Etat de son pays d’origine).
4) le patent pool, en s’adressant directement aux laboratoires détenteurs de brevets, permet de replacer dans son contexte la responsabilité de l’échec de la Déclaration de Doha à assurer l’accès aux médicaments (cet échec étant aujourd’hui largement imputé aux Etats et aux conséquences des dispositions de l’OMC en matière de propriété intellectuelle pharmaceutique).

B. Pour les laboratoires détenteurs de brevets :
1) Le patent pool permet d’éviter de devoir subir des licences obligatoires, imposées par les gouvernements des PED (comme la Thaïlande en décembre et janvier 2007).
2) Le patent pool permet de débarrasser une fois pour toute l’industrie pharmaceutique de la contestation, et des dommages d’image, que leur cause les activistes de l’accès universel au traitement sida.
3) Par rapport à de simples licences volontaires parallèles, non conjointes, le patent pool assure aux laboratoires détenteurs de brevets des redevances adaptées au revenu net de chaque pays, sans tracas administratifs, avec mutualisation à large échelle des coûts de transaction liés à la gestion des licences.

6. Quel rôle pour le G8, quel rôle pour la France ?

A. Le G8
Le G8 a déjà fait le constat, dans le paragraphe 32 du chapitre ‘maladies infectieuses’ du communiqué de Saint-Petersbourg, de ce que, malgré la Déclaration de Doha, l’accès aux médicaments reste extrêmement limité.
Par ailleurs, le G8 appelle régulièrement, dans le chapitre ‘innovation’ de son communiqué, au respect des droits de propriété intellectuelle.
Ainsin le G8 est entièrement fondé à appeler, dans son communiqué d’Heilingendamm, l’industrie pharmaceutique à imiter l’industrie du DVD, pour un enjeu humanitaire sans précédent, et à verser ses brevets dans un patent pool permettant de donner aux 40 millions de séropositifs de la planète accès à des versions génériques bon marché de l’ensemble des médicaments anti-sida.

B. La France
La France peut pousser ses partenaires du G8 à appeler publiquement, fortement et durablement l’industrie pharmaceutique à emprunter la voie du patent pool en faveur de l’accès universel aux antirétroviraux.